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Partie 3 – Mon projet d'ingénierie pédagogique

3. S YNTHÈSE DU PROJET

1.3. Le concept de langue-culture

En réfléchissant sur le lien entre individu, langue, culture, nation et société, le philosophe Humboldt, au début du XIXème siècle, a introduit le concept de langue-culture26.

Selon lui, la langue est constitutive de l'humain et elle est indissociable de la culture. La langue marque une appartenance à une culture et réciproquement, les faits linguistiques sont imprégnés de représentations culturelles. Pour Galisson, la langue est aussi une pratique sociale, "véhicule, produit et producteur de toutes les cultures" (1991, cité par Chaves et ali., 2012 : 15).

De nombreuses années plus tard, Leylavergne et Parra reprennent cette idée et mettent en évidence que "la culture, qu’elle soit anthropologique ou cultivée, constitue une composante inhérente à chaque individu et à la langue dans laquelle il s’exprime. S’il n’y a pas de culture sans langue, il n’y a pas, non plus, de langue sans culture" (2010 : 118). Pour étayer leurs propos, ces auteurs ajoutent que dès lors qu'on appartient à une communauté, on reçoit "une langue et une identité sociale et culturelle" (2010 : 120).

Dans le CECRL, il est précisé que "les langues et les cultures ne sont pas confinées dans des espaces mentaux cloisonnés" (2008 : 164), parce qu'en réalité elles sont étroitement liées. Coracini précise qu'on ne peut pas réduire la culture à un "contenu

26Théorie de Humboldt, présentée par Spaëth, https://hal-univ-paris3.archives-ouvertes.fr/hal-

informationnel", tels la cuisine et les mœurs, mais que "la culture est dans la langue et la langue, dans la culture; c’est donc la langue-culture qui moule l’être, le raisonnement, les croyances, les valeurs etc" (Coracini, 2010 : 159) et c'est cette langue-culture qu'il convient d'enseigner. Leylavergne et Parra nous rappellent qu'une "langue ne peut se former et vivre que si elle est l’expression linguistique d’une culture" (2010 : 118). Selon eux, il est indispensable d'enseigner les aspects culturels qu'une langue véhicule quand on enseigne une langue vivante (2010 : 120) car langue et culture sont imbriquées. La culture est en quelque sorte le ciment de la langue. Ils précisent d'ailleurs que "d’une certaine manière, on peut dire que l’apprenant en langue étrangère devient la somme culturelle des deux langues appropriées" (Leylavergne et Parra, 2010 : 121), c'est-à-dire que l'apprenant dispose de la culture associée à sa langue première et intègre petit à petit celle de la langue qu'il est en train d'apprendre. Ces auteurs précisent que la culture première de l'apprenant reste dominante et que celui-ci n’intégrera que la partie culturelle dont il a besoin pour donner du sens à cette langue cible qu'il apprend (ibid.). Les deux cultures seront ainsi partie intégrante de l'individu qui apprend une nouvelle langue.

Les travaux du psycholinguiste Slobin montrent que quand on apprend une langue, on doit penser différemment, car on s'imprègne de la culture inhérente à la langue, et ce, parce que chaque langue a une manière différente d'encoder la pensée (1987 : 435). Par exemple, en français on dira "j'ai oublié mes clés". La responsabilité revient au sujet qui n'a pas pensé à prendre ses clés. Alors qu'en espagnol, on dira "se me olvidó las llaves" (littéralement : les clés ont été oubliées). Dans ce deuxième cas, le sujet n'est pas responsable de l'acte de perdre les clés. Dans ces deux langues, on traduit différemment la même idée. On pourrait aussi citer le cas de l'expression imagée " Il pleut des cordes " qui serait traduite en anglais par "It's raining cats en dogs" (traduction littérale : il pleut des chats et des chiens). On voit là encore que chaque langue a sa propre manière de signifier une idée similaire : quand il pleut énormément, en français ce sont des cordes qui tombent du ciel, en anglais, des animaux de compagnie. De même, le genre du pronom utilisé pour désigner les objets en anglais représente un phénomène langagier directement lié à la culture. En général, les objets ne sont ni féminins ni masculins mais neutres (it). Cependant, on peut noter que le bateau (ship), bien qu'étant un objet, est repris par le pronom féminin she. Cette féminisation du bateau donne une idée de la place accordée à cette objet sur l'île britannique (mais aussi de la solitude des marins qui naviguent de longs jours durant …). De la même manière, certains mots ne sont pas traduisibles car ils

évoquent un concept inhérent à la langue. Il existe 50 mots en langue inuit27 pour définir la

neige selon qu'elle est mouillée, craquante, par terre, molle, alors qu'en français on ne

dispose que d'un mot. Mais aussi la dolce vita italienne ("vie facile, oisive et veule menée par certains riches" selon le dictionnaire Larousse28) ou la despedida espagnole (fait de se

retrouver pour se dire au-revoir).

En d'autres termes, apprendre une langue ne peut se résumer à apprendre des contenus linguistiques, tels la grammaire et le vocabulaire. Il est nécessaire d'apprendre la culture associée à la langue ainsi que son fonctionnement, car apprendre une langue, c'est apprendre à penser différemment et être capable d'utiliser les contenus linguistiques de manière appropriée. Pour cela, il est nécessaire de connaître les codes sociaux et culturels. C'est pourquoi, dans ce mémoire, on s'intéressera à la langue-culture, c'est-à-dire à la langue comme moyen d'accéder à la culture, et non uniquement comme objet linguistique à acquérir, mais aussi à la culture comme moyen de favoriser l'acquisition de la langue. Langue et culture s'enrichissent mutuellement si on opère des va-et-vient entre les deux.

2. Peut-on parler de culture francophone ?

Du grec phôné, la voix et de franco, le français, la francophonie est définie par l'Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) comme "'l'ensemble des personnes et des pays utilisant le français29". Ce terme est apparu à la fin du XIXème siècle et désigne

un espace linguistique partagé, à savoir celui où l'on parle le français. Actuellement, selon l'OIF, il y a 300 millions de locuteurs francophones et 235 millions d'entre eux l'utilisent au quotidien. Ils sont répartis sur les cinq continents. Aujourd'hui, la francophonie revêt des réalités très différentes selon les pays où le français est parlé. Maurer définit trois "planètes francophones" (2015 : 4) : celle où les individus naissent avec le français, celle où ils vivent avec plusieurs langues dont le français et celle "en orbite" du français langue étrangère où on fait le choix d'apprendre le français. Au vu des différentes cultures en présence dans l'espace francophone, dans l'idée de créer un environnement francophone dans l'école où je travaille, et ne pas me restreindre à la culture française, je me questionne sur l'existence d'une culture francophone, culture constitutive de l'espace francophone mondial.

27https://deplacements.blogspot.com/2012/12/les-50-mots-des-inuit-pour-dire-la-neige.html (consulté le

28/08/2019)

28https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/dolce_vita/26319 (consulté le 28/08/2019)

Senghor a popularisé le terme francophonie qui correspond, selon lui, à la conscience d'avoir une langue et une culture francophones, plus qu'à des données chiffrées ou des décisions officielles30. Pour lui la francophonie, c'est avant tout rassembler des

peuples autour d'une langue. Dans son célèbre écrit intitulé Le français, langue de culture, il explique que "la principale raison de l'expansion du français hors de l'hexagone, de la naissance d'une Francophonie est d'ordre culturel" (1962 : 838). Senghor explique que parfois, les locuteurs francophones, notamment en Afrique, s'expriment mieux en français que dans leur langue maternelle (1962 : 839) et que cela pouvait être un avantage à l'époque où le français était "une langue d'une audience internationale" (1962 : 842). Tous ces peuples francophones, bien que très différents culturellement, ont en commun la langue française, et c'est ce qui les unit. Comme disait Senghor, "le français, [est ce] Soleil qui brille hors de l'Hexagone" (1962 : 844). Dumont, s'oppose à cette idée du français comme langue d'excellence qui, pour ne pas disparaître, doit s'étendre au delà de la France, et se substituer aux langues locales. Mais il explique que l'enjeu de la francophonie est de "proclamer à travers la langue française son attachement à une culture et à des traditions qui ne sont pas nécessairement celle de la France" (1990 : 41). Selon lui, chaque pays francophone doit continuer à s'approprier la langue française et ainsi permettre à la langue française d'être multiple (1990 : 42-43). Il nous met néanmoins en garde car "il faut que soit respecté le principe de l'égalité des langues sans que l'une d'entre elle s'arroge un quelconque monopole, ni l'anglais celui de la communication, ni le français celui de la culture" (1990 : 45). Selon lui, la francophonie doit être "un espace d'échanges" et de partage (ibid.) : un "espace francophone multilingue" (Dumont, 1990 : 46). Il insiste sur le fait que le français ne se résume pas à la culture française, mais qu'elle peut "être l'expression de cultures autres que françaises" (ibid.).

Il semble qu'une culture francophone existe mais qu'elle soit plurielle. Elle serait avant tout une culture commune à tous les locuteurs francophones, véhiculée par la langue française, car comme nous l'avons vu précédemment, langue et culture sont indissociables. L'unité de cette culture francophone est un héritage qui vient de l'histoire que ces pays francophones ont avec le français. En effet, c'est bien souvent le résultat de la colonisation au cours de laquelle la langue française a été imposée aux habitants autochtones. C'est le cas par exemple dans de nombreux pays africains francophones ou au Québec. D'autre part, cette culture francophone serait une culture d'une grande richesse puisqu'elle se nourrit des cultures locales où l'on parle le français et que ces cultures locales

enrichissent la langue elle-même. On peut citer par exemple l'expression "C'est le souk" qui par analogie avec le marché arabe désigne un lieu vivant où règne bruit et désordre ou encore l'expression québecoise "Frapper son Waterloo"31 utilisée lorsqu'on rencontre un

obstacle ou qu'on subit un échec. Elle fait référence à la célèbre bataille où l'armée française, menée par Napoléon, a reçu une défaite historique.

3. L'interculturel en classe de langue

Récemment, face à l'augmentation des échanges entre les peuples, face à la montée du racisme et de l'intégrisme, et inversement face à la volonté de favoriser l'harmonie linguistique et culturelle, le Conseil de l'Europe a introduit la dimension interculturelle dans le CECRL, cadre de référence dans l'enseignement des langues étrangères. Depuis 1986, sous l’impulsion de Porcher, l’interculturel ne se cantonne plus aux problématiques d'immigration et fait son entrée dans l’apprentissage du français langue étrangère.

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