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II. Echappement des cancers aux réponses immunitaires

II.1 Concept d’ « immunoediting »

A son fondement, l’immunosurveillance antitumorale était considéré comme un processus simple durant lequel le système immunitaire protégeait l’hôte du développement d’une tumeur ou ne le protégeait pas 3. On pensait par ailleurs, que l’action protectrice du système immunitaire avait lieu seulement aux stades les plus précoces de la tumorigénèse. Cependant, les récentes études sur le développement de tumeurs dans des hôtes immunocompétents indiquent que même si le système immunitaire ne contrôle plus la croissance tumorale son influence sur l’évolution de la tumeur n’est pas terminée car il exerce sans cesse une pression de sélection contre celle-ci 209.

Les expériences visant à étudier l’immunogénicité de tumeurs issues d’hôtes immunocompétents ou immunodéficients démontrent bien la complexicité de l’interaction entre les cellules cancéreuses et le système immunitaire. Par exemple, il est connu que l’ensemble des tumeurs dérivées de souris sauvages ou de souris RAG2-/- se développent progressivement lorsqu’elles sont transplantées dans des souris RAG2-/-. À l’inverse, seulement une faible proportion des tumeurs issues de souris RAG2-/- se développent dans des souris sauvages alors que toutes les tumeurs issues de souris sauvages poussent progressivement lorsqu’elles sont transplantées dans des souris sauvages 12. De manière similaire, les sarcomes induits par le MCA dans des souris nude ou SCID 210 sont rejetés de manière beaucoup plus fréquente que les sarcomes issus de souris sauvages lorsqu’ils sont transplantés dans des souris immunocompétentes. Ces expériences nous démontrent que les tumeurs ayant poussé dans des souris immunocompétentes sont beaucoup moins immunogènes que les tumeurs ayant poussé dans des souris immunodéficientes. En effet, en éliminant les cellules tumorales très immunogènes, le système immunitaire sélectionne les variants tumoraux avec une immunogénicité réduite et favorise donc le développement de tumeurs faiblement reconnues par le système immunitaire ou ayant acquis des mécanismes pour bloquer son action.

Figure 10. Les trois phases du processus d’immonediting des cancers. Tiré de Dunn et al, Nat rev immunol,

2006 8.

Cette démonstration fonctionnelle du fait que les tumeurs portent l’empreinte de l’environnement immunitaire dans lequel elles se sont développées amena l’équipe de Robert Schreiber à inventer le concept d’immunoediting 1. Ce concept, qui englobe la notion d’immunosurveillance, possède trois phases ; l’élimination, l’équilibre et l’échappement (Figure 10).

La phase d’élimination correspond à la phase de reconnaissance et de destruction par le système immunitaire de la tumeur. Elle peut aboutir à l’éradication totale de la tumeur ou à l’établissement d’une phase d’équilibre dynamique entre le système immunitaire et la fraction de cellules cancéreuse ayant échappé à la phase d’élimination. L’équilibre correspond à une phase durant laquelle le système immunitaire continue à exercer une importante pression de

sélection sur les cellules tumorales permettant de contenir la tumeur mais qui est insuffisante pour totalement l’éteindre en raison du grand nombre de cellules et de l’instabilité génétique de celles ci. De nombreuses observations cliniques tendent à démontrer l’existence de cette phase. Il a été rapporté plusieurs cas de cancers secondaires chez des personnes transplantés avec des organes prélevés sur des donneurs ayant été atteints de cancer de nombreuses années auparavant 211. L’un des cas les plus célèbres correspond à un donneur qui avait été opéré en 1982 d’un mélanome invasif et pour qui aucune tumeur n’était détectable depuis plus de 15 ans au moment du don de ses deux reins. Malheureusement, des cellules tumorales persistaient sous le contrôle du système immunitaire chez cet individu car les deux receveurs de ses reins développèrent, en raison du traitement immunodépresseur, un mélanome secondaire d’origine du donneur, qui fut fatal pour l’un d’eux 212. De nombreux cas de cancers latents sont également découverts lors d’autopsies en l’absence de tout signe clinique ayant pu faire penser à la présence d’un cancer chez ces individus 213, 214.

Une étude récente, réalisée par l’équipe de Schreiber sur un modèle murin de sarcome induit, démontre de manière formelle l’existence de cette phase d’équilibre 215. Dans cette étude, les auteurs se sont intéressés aux souris qui ne développaient pas de tumeurs apparentes 200 jours après le traitement au MCA imaginant que dans ces souris des petites tumeurs pouvaient exister dans une phase d’équilibre avec le système immunitaire. Après déplétion du compartiment lymphocytaire T CD4 ou CD8 de ces souris, les auteurs ont ainsi pu s’apercevoir qu’en l’absence d’immunité adaptative, la proportion de souris qui développait des tumeurs tardives était bien plus importante. Par ailleurs, en transplantant dans d’autres souris sauvages les tumeurs prélevées aux différents stades, les auteurs de cette étude ont pu démontrer que les tumeurs qui sont maintenues à l’état d’équilibre par le système immunitaire sont plus immunogènes que celles qui échappent naturellement à celui-ci.

On peut donc penser qu’une sélection de type darwinienne s’opère lors de la phase d’équilibre où de nombreux variants tumoraux sont éliminés mais où les variants qui portent des mutations leur conférant un avantage en terme résistance vis à vis du système immunitaire sont sélectionnés. La phase d’équilibre peut donc durer de nombreuses années durant lesquelles le système immunitaire et la tumeur sont en perpétuelle interaction. Pour entrer dans la phase d’échappement et devenir cliniquement détectable, la tumeur doit accumuler un certain nombre de changements génétiques et épigénétiques lui permettant de résister aux différents effecteurs immunitaires ou d’induire un état de tolérance. Ainsi, afin d’échapper au système immunitaire, les cellules tumorales peuvent employer de multiples stratégies qui ont fait l’objet de nombreuses recherches ces dix dernières années. Quelques unes des stratégies

les plus communément retrouvées dans les tumeurs humaines seront développées dans les paragraphes suivant.

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