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La concentration des grands équipements : la pénétration de la "big science"

III. Des logiques de diffusion et d'interdépendance dans les avancées scientifiques

3.1. Des avancées technologiques cumulatives, productrices d'irréversibilités

3.2.3. La concentration des grands équipements : la pénétration de la "big science"

Le programme Génôme avait initialement pour but l'établissement d'un inventaire des gènes humains, et ses promoteurs prônaient un modèle organisationnel transformant l'échelle, les méthodes, le mode de travail de la biologie. Mais dans l'attente d'une nouvelle technique de séquençage, les Genomes Centers aux Etats-Unis se dirigèrent sur le balisage de chromosomes, méthodologie temporaire et non fiable, avec des techniques automatisées et, après le succès de la logistique du Généthon, des méthodes

quasi-industrielles. Pendant dix ans il n'y a pas eu de bouleversement technique important propre à remettre en question la méthode classique de séquençage par la terminaison des chaînes de Fred Sanger, mais les progrès ont été dus à l'automatisation et à la robotisation accélérant les capacités de traitement et ce sont les laboratoires les plus lourdement équipés qui ont pu obtenir les fragments de séquence les plus longs, face aux méthodes artisanales et aux coûts élevés des analyses de séquences des laboratoires classiques.

Dans ces conditions, à la suite de la proposition début 1995 du consortium anglo- américain conduit par John Sulston (Sanger Center) et Robert Waterston (Université de Saint Louis) de remettre le séquençage du génôme humain à l'ordre du jour, se pose la question du bien-fondé du séquençage systématique, et par là même, du développement en biologie du concept de "big science".

Plusieurs arguments ont milité en faveur du séquençage intégral :

Sur un plan scientifique, la cartographie a été une étape incontournable à un moment donné comme moyen pour accéder à l'information génétique, mais ce n'était pas une approche réellement génomique. Pour les partisans du séquençage systématique, au- delà de la connaissance des gènes et de leur séquence de régulation, un génôme n'est pas uniquement une collection de gènes et l'ensemble est plus que la somme de ses parties. Le séquençage systématique "est un but en soi" (P. Slonimski), parce qu'à un certain moment du développement d'une science, il est utile de faire un catalogue complet, hiérarchisé, structurant des objets en les décrivant comme appartenant à un ensemble fini, clos ; à partir de ce tremplin, on peut faire avancer la science par la généralisation et la théorie, qui deviennent possibles. Déjà, avec le séquençage systématique, ont émergé des concepts fondamentaux comme le recouvrement des gènes et le chevauchement de l'information génétique, l'existence de codes génétiques alternatifs au code universel, etc... c'est-à-dire un ensemble de retombées pour l'ensemble de la communauté biologique, dans laquelle se diffuse alors l'adhésion au séquençage génomique exhaustif.

Sur le plan organisationnel, la solution pour le séquençage intégral de grands génomes qui s'est imposée est celle de grands centres de séquençage à haut débit, tels ceux des Etats-Unis ou du Japon, ou le Sanger Center au Royaume-Uni, donc la concentration sur de grands instruments collectifs.

La nécessité de structures hautement automatisées, à organisation quasi industrielle répond à des raisons de type technique et économique.

Techniquement, les centres spécialisés creusent le décalage dans la rapidité d'acquisition d'informations avec les laboratoires traditionnels, ils sont plus efficaces, et ils bénéficieront des avancées sur les séquenceurs et les automates, qui vont encore progresser. Ainsi Applied Biosystems prévoit la distribution d'une nouvelle génération d'automates, quatre fois plus rapide que la famille précédente. La centralisation des équipements permet aussi une diversification d'usages, et à côté du génome humain, les projets sur les génomes d'intérêt industriel ou académique sont éligibles.

Economiquement, le prix de revient du séquençage systématique dans un centre de très grand séquençage devrait revenir au moins dix fois moins cher que dans un laboratoire classique, et la mise en œuvre du déchiffrage à grande échelle du GH pourrait s'estimer à 300 ou 400 millions de dollars. Autre argument économique, les centres de très grand séquençage développeront en périphérie des activités industrielles situées en amont du processus. Enfin, ils seront un stimulant à l'informatique qui devra imaginer des solutions aux problèmes de stockage, de manipulation, et d'interprétation, de toutes ces données acquises.

Ainsi, avec la standardisation d'une technologie générique, le séquençage, liée à une homogénéisation des méthodes par une utilisation quasi-exclusive de la technique Sanger, s'introduit une rationalisation des procédures par concentration du séquençage sur de grands équipements. L'intrusion de la "big science" dans la biologie moderne transforme le mode de production sur un segment centralisé du procès de production scientifique : la phase de la collecte des données se fera dans des centres de séquençage à grande échelle, employant une centaine de personnes dont 80 % font de l'ingénierie, et conçus comme des entreprises industrielles très structurées : ligne de production, service de développement pour tester les innovations, contrôle de qualité selon des normes. Mais sur les segments décentralisés du procès de production, la diversité subsiste dans les phases d'analyse et d'exploitation des données, dans une organisation du travail traditionnelle. Les progrès technologiques accomplis dans le stockage et la diffusion de l'information permettent que ces données soient utilisables par des laboratoires conventionnels, qui restent le plus souvent encore des petites équipes. Mais cet équilibre est menacé. Des évolutions techniques sont en cours, qui permettront de traiter 10000 gènes à la fois, et qui bouleverseront la biologie individualiste.

3.2.4. La structuration de la "filière" de thérapie génique : ouverture en amont