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Comprendre les patients : des soins centrés sur la personne

Lorsqu’on est malade on se soucie beaucoup moins de considérations de gestion telles que producti- vité, cibles sanitaires, rendement et organisation rationnelle que de ses propres difficultés. Chacun affronte à sa manière ses problèmes de santé dans les circonstances de vie particulières qui sont les siennes.31 Les agents de santé doivent être

capables de faire face à cette diversité. Pour les agents de santé qui se trouvent à l’interface entre la population et les services de santé, le défi est bien plus difficile à relever que pour un service de recours spécialisé : prendre en charge une mala- die bien définie est une tâche relativement simple. Affronter des problèmes de santé est en revanche compliqué par le fait qu’il s’agit de comprendre tous les éléments qui font les patients : leurs pré- occupations physiques, émotionnelles et sociales, leur passé et leur avenir, ainsi que les réalités du monde dans lequel ils vivent. Si l’on ne prend pas en compte la personne dans son ensemble, dans son contexte familial et social, on passe à côté d’aspects importants de la santé qui n’entrent pas immédiatement dans la catégorie des maladies. La violence que des femmes subissent de la part de leurs partenaires (Encadré 3.3), par exemple, peut être détectée, évitée et ses effets atténués par des services de santé suffisamment proches de la collectivité qu’ils desservent et par des agents de santé qui connaissent les membres de cette collectivité.

Les gens veulent savoir que leurs agents de santé les comprennent, ainsi que leurs souffran- ces et les contraintes auxquelles ils sont soumis. Malheureusement, de nombreux prestataires de soins négligent cet aspect de la relation théra- peutique, particulièrement lorsqu’ils s’occupent de groupes désavantagés. Dans de nombreux services de santé, la réactivité et le centrage sur la personne sont considérés comme des produits de luxe réservés à quelques heureux élus.

Au cours des 30 dernières années, une quan- tité considérable de résultats de recherches ont montré que le fait de centrer les soins sur la personne est important non seulement pour atténuer l’anxiété du patient, mais aussi pour améliorer la satisfaction du prestataire.50 L’in-

tervention contre un problème sanitaire a plus de chances d’être efficace si le prestataire en saisit les diverses dimensions.51 Commencer en

demandant simplement aux patients comment ils se sentent, comment leur vie est affectée, plutôt que de se concentrer uniquement sur la maladie elle-même, a pour effet d’accroître sensiblement la confiance et l’acceptation52 qui permet au

patient et au prestataire de s’entendre sur la prise en charge clinique et facilite l’intégration de la prévention et de la promotion de la santé dans l’action thérapeutique.50,51 Le fait de centrer les

soins sur la personne devient donc la « méthode clinique de démocratie participative »53 qui amé-

liore la qualité des soins, l’issue du traitement et la qualité de vie de ceux qui bénéficient de tels soins (Tableau 3.2).

En pratique, les cliniciens tiennent rarement compte des préoccupations de leurs patients, de ce qu’ils croient et de leur perception de la maladie et ils partagent rarement avec eux les options de prise en charge des problèmes.58 Ils se

Encadré 3.3 La réponse des soins de santé à la violence contre les femmes

La violence exercée par un partenaire intime a un certain nombre de conséquences bien démontrées pour la santé des femmes (et pour celle de leurs enfants), qu’il s’agisse de blessures, de douleurs chroniques, de grossesses involontaires et non désirées, de complications de la grossesse, d’infections sexuellement transmises et de toute une série de problèmes de santé mentale.32,33,34,35,36,37 Les femmes

qui subissent des violences ont fréquemment recours à des soins de santé.38,39

Les agents de santé sont donc bien placés pour identifier les victimes de violence et pour leur dispenser des soins, notamment en les orientant vers des services psychosociaux, juridiques et autres. Leurs interventions peuvent réduire les effets de la violence sur la santé et le bien-être d’une femme et sur ceux de ses enfants, tout en contribuant à prévenir de nouvelles violences.

Des recherches ont révélé que la plupart des femmes sont d’avis que les prestataires de soins doivent poser des questions sur la violence.40 Même si elles n’attendent pas d’eux qu’ils résolvent leur problème, elles voudraient être écoutées et traitées sans être

jugées et recevoir le soutien dont elles ont besoin pour prendre le contrôle de leurs décisions. Les prestataires de soins ont souvent de la peine à interroger les femmes sur la violence. Ils n’ont ni le temps ni la formation et les compétences pour le faire correctement et ils ne veulent pas être impliqués dans des procédures judiciaires.

La manière la plus efficace pour les prestataires de soins de répondre à la violence continue à faire l’objet de débat.41 On leur conseille

généralement d’interroger toutes les femmes sur d’éventuels mauvais traitements qu’elles auraient subis dans le cadre de l’entretien de routine qui accompagne tout examen médical, que l’on qualifie généralement de « filtrage » ou d’enquête systématique.42 Plusieurs

études ont révélé que cette technique permet d’accroître le taux d’identification des femmes ayant subi des violences dans les cliniques prénatales et de soins primaires, mais il y a peu de raisons d’espérer que ce sera durable40 ou efficace en termes de résultats sanitaires.43

Parmi les femmes ayant séjourné dans des abris, tout indique que celles qui ont bénéficié d’un service de conseil personnalisé ont été moins sujettes à récidive et ont vu leur qualité de vie s’améliorer.44 De même, parmi les femmes ayant subi des violences pendant leur

grossesse, celles qui ont reçu des conseils appropriés ont fait état d’une amélioration de leur condition et d’une baisse de la violence physique et psychologique : elles ont aussi obtenu des scores inférieurs en matière de dépression postnatale.45

Bien qu’il n’existe pas encore de consensus quant à la stratégie la plus efficace, on s’accorde de plus en plus à considérer que les services de santé devraient aider à identifier et à soutenir les femmes victimes de violence46 et que les prestataires de soins de santé

devraient au moins recevoir une formation dans le domaine de la violence contre les femmes, de sa prévalence et de ses répercussions au niveau de la santé, ainsi que sur la manière de la suspecter et d’y réagir le mieux possible. Tout ceci comporte manifestement une dimension technique. Ainsi, par exemple, dans le cas d’une agression sexuelle, les prestataires doivent être capables de dispenser le traitement et les soins nécessaires, notamment en mettant en oeuvre une contraception d’urgence et une prophylaxie contre les infections sexuellement transmissibles, notamment le VIH le cas échéant, ainsi qu’un appui psychologique. Il existe également d’autres dimensions : les agents de santé doivent être capables d’enregistrer toute blessure le plus complètement et le plus soigneusement possible :47,48,49 ils doivent aussi savoir travailler avec les collectivités – en particulier avec les hommes et les jeunes garçons – afin de

bornent à de simples prescriptions techniques, en ignorant les dimensions humaines complexes qui sont critiques pour que les soins qu’ils dispensent soient appropriés et efficaces.59

Les conseils techniques relatifs au mode de vie, à la posologie ou à l’orientation négligent donc trop souvent non seulement les contraintes liées

au milieu dans lequel vivent les patients, mais aussi leur potentiel d’auto-assistance face à une foule de problèmes de santé qui vont des maladies diarrhéiques60 à la prise en charge du diabète.61

Pourtant, ni l’infirmière du centre de santé rural au Niger ni le médecin généraliste en Belgique ne peuvent faire hospitaliser un patient sans autre forme de procès :62,63 en plus des critères

médicaux, ils doivent tenir compte des valeurs du patient, de celles de sa famille, ainsi que de leur mode de vie et de leur conception de la vie.64

Peu de prestataires de soins ont été formés aux soins centrés sur le patient. A ce manque de préparation appropriée s’ajoutent conflits inter- culturels, stratification sociale, discrimination et ostracisme.63 En conséquence de quoi, ils font

beaucoup trop peu appel au potentiel considéra- ble qu’ont les patients de contribuer à leur propre santé par leur mode de vie, leur comportement et en se soignant eux-mêmes, ainsi qu’en adap- tant au mieux les conseils des professionnels aux circonstances de leur vie. Nombreuses, bien que souvent manquées, sont les occasions de donner aux patients les moyens de participer aux déci- sions qui affectent leur propre santé et celle de leurs familles (Encadré 3.4). Il faut pour cela des

Encadré 3.4 Donner les moyens aux patients de participer aux décisions qui affectent

leur propre santé

On peut donner aux familles le pouvoir de faire des choix pertinents pour leur santé. Les plans de naissance et d’urgence,66 par

exemple, sont basés sur un examen effectué en commun par la future mère et le personnel de santé – bien avant l’accouchement – de ses attentes en relation avec la naissance. Parmi les questions abordées figurent notamment l’endroit où aura lieu l’accouchement et la manière dont sera organisée une aide au foyer ou à d’autres enfants pendant que la mère accouchera. La discussion peut porter également sur la planification des dépenses, sur les arrangements relatifs au transport et aux fournitures médicales, ainsi que sur l’identification d’un donneur de sang compatible en cas d’hémorragie. De tels plans de naissance sont mis en oeuvre dans des pays aussi différents que l’Egypte, le Guatemala, l’Indonésie, les Pays-Bas et la République-Unie de Tanzanie. Ils constituent un exemple de la façon dont les patients peuvent participer aux décisions concernant leur santé d’une manière qui les responsabilise.67 Les stratégies

de responsabilisation sont susceptibles d’améliorer les résultats sanitaires et sociaux de différentes manières ; la condition du succès est qu’elles soient ancrées dans les contextes locaux et reposent sur une relation forte et directe entre les patients et leurs agents de santé.68 Ces stratégies peuvent porter sur divers domaines, comme on le voit ci-dessous :

en développant les capacités du foyer à rester en bonne santé, à prendre les bonnes décisions et à réagir en cas d’urgence –

organisation d’entraide des diabétiques en France,69 programmes de responsabilisation des familles et de formation des parents

en Afrique du Sud,70 plans de traitement négociés pour la maternité sans risque en République-Unie de Tanzanie71 et programme

incitant à vieillir en restant actif au Mexique ;72

en rendant les citoyens plus conscients de leurs droits, de leurs besoins et de leurs problèmes potentiels

– information sur les droits au Chili73 et Déclaration sur les droits des patients en Thaïlande ;74

en renforçant les liens générateurs de soutien social au sein des collectivités et avec le système de santé

– appui et conseils aux personnes qui s’occupent des familles et sont confrontées à des cas de démence dans des pays en déve- loppement,75 programmes de crédit ruraux au Bangladesh et leurs répercussions sur le comportement des demandeurs de soins76

et initiatives en matière d’environnement des quartiers au Liban.77

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