• Aucun résultat trouvé

De fait, les membres du collectif du 29 Juin se posent souvent la question « mais ils sont où les papas ? », une membre fondatrice évoquant notamment « je me rapelle lors d'une marche, je me vois interpeler les papas en leur disant « mais vous êtes où ? Pourquoi y a que nous, les femmes, dans la rue ? » ». La plupart des membres ont d'ailleurs du mal à se l'expliquer ou ne se l'explique pas.

Toutefois, la collaboratrice du Maire note que des pères de famille se sont investis dans certaines actions du collectif, prenant le rôle de « petites mains » notamment à l'occasion d'une marche contre la violence organisée par le collectif « où ils prenaient les barrières, ils faisaient la sécurité, ils organisaient le point de ravitaillement, ils s'occupaient des petits jeunes qui ne voulaient pas rentrer dans la manifestation ». Selon elle, les pères investis préfèreraient donc « fonctionner sur un mode « on vous aide » plutôt que de se dire « nous aussi on intervient au premier plan, on a notre mot à dire ».

Il semble alors intéressant de rappeler le contexte local de Villiers-le-Bel, marqué comme nous l'avons vu par un fort taux de chômage et de précarité de l'emploi. Par ailleurs, on retrouve aussi dans cette ville une forte proportion de familles monoparentales, avec un taux de monoparentalité local de 22,5%, dont 19,6% de femmes seules avec enfant(s), soit des pourcentages près de trois fois supérieur au niveau national121.

Il apparaît alors que cette quasi-absence des pères de famille au sein du collectif du 29 Juin puisse en partie s'expliquer par le phénomène de « dépaternalisation » relative dans les quartiers d'habitat social, que nous évoquions en première partie.

Effectivement, il est tout à fait probable que certains pères de famille beauvillésois se rapprochent des deux autres figures paternelles évoquées par Pascale Jamoulle dans son ouvrage Des hommes sur le fil : la construction de l'identité masculine en milieux précaires122.

Certains pères reproduisent donc très certainement une attitude distante et autoritariste à l'égard de leurs enfants, cette attitude socialisant à la violence et pouvant être perçue comme illégitime par les

121

Voir le dossier statistique complet de la commune, produit par l'Institut National de la Statistique et des Études Économiques (INSEE) :http://www.insee.fr/fr/bases-de-donnees/esl/comparateur.asp?codgeo=com-95680 .

57

enfants dans le contexte actuel, d'autant plus si ces pères se trouvent confrontés à une situation économique et professionnelle difficile.

Une des membres fondateurs du collectif du 29 Juin fait notamment part de ses discussions avec certains maris sur l'éducation en mentionnant qu' « il y a beaucoup à dire. Par exemple, sur la valeur du châtiment physique. Certains nous disent : « moi je les tape, vous ,vous ne le comprenez pas mais...». Donc il y a un porte-à-faux entre ce qui est défendu au niveau de l'éducation dans la société actuelle et par les institutions françaises et ce qui est défendu dans ces familles ».

D'autres pères peuvent aussi se dés-impliquer de l'éducation de leurs enfants, suite à une situation professionnelle compliquée, à une rupture conjugale, et/ou une dépression ou enfin par reproduction de leur propre enfance. Ils sont alors généralement infantilisés par leur femme ou ex-femme et deviennent aussi illégitimes dans leur rôle de père aux yeux de leurs enfants.

Une autre membre du collectif assure ainsi que pour « certains pères ça doit être difficile à vivre, d'avoir une autorité s'ils veulent l'exercer et qu'ils ne savent pas trop comment l'exercer ou alors qui est contestée ».

En outre, une membre fondateur du collectif revient longuement sur ce point en témoignant que « une spécificité de Villiers-le-Bel, c'est qu'il y a des familles où on a toujours vu papa en train de chercher du boulot, ou ne pas travailler. Donc, ce père, quelle emprise tu veux qu'il ait sur son fils?... La fonction de père en elle-même, pour le monde en général ça représente l'autorité, ça représente celui qui nourrit sa famille, celui qui assume sa famille...Moi, j'ai toujours vu mon père se lever le matin, aller travailler pour nous nourrir. Et quand tu n'as pas ça, tu es diminué !!...Vis-à- vis de ton gamin, il te dit :« bah voilà, je me démerde pour avoir ce que j'ai, toi tu ne me donnes pas ce dont j'ai besoin. Donc tu n'as rien à me dire ». Et ça, on le voit régulièrement...

Ces hommes- là ils se retirent, ils se retirent parce qu'il y a la honte, et aussi peut-être le fait de pas parler la langue française. Tu vois, c'est plein de petits facteurs comme ça qui sont là et qui détruisent une famille ».

Cette dépaternalisation relative entrainant donc notamment des relations pères-fils houleuses à même d'encourager les prises de risques, les trajectoires délinquantes et la pratique d'un fort contrôle social sexué sur les jeunes femmes des quartiers d'habitat social.

En outre, cet effacement relatif des pères entraine en retour une sur-valorisation du statut maternel,ce qui l'a aussi peut expliquer la présence quasi-exclusive de mères de famille dans le collectif du 29 Juin.

58

Section 3 : Un statut maternel sur-valorisé comme conséquence de la