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LE BETAIL: BOEUF, TAUREAU, VACHE.

LES ANIMAUX SURNATURELS /SAUVAGES/ ET LEUR LIEN AVEC LE MONDE /CHTHONIEN/

II- A/ COMPOSANTE NARRATIVE.

Dans les récits où le motif du "sanglier" est présent, on note que la trame narrative est sous-tendue par trois PN successifs, que l'on retrouve toujours.

1/ le PN /métamorphose/.

Il se présente sous deux formes. D'abord, il s'agit d'une opération transitive, et un être humain ou surnaturel est changé en sanglier. C'est ainsi que, dans le récit The Pigs of Angus, le dieu transforme ses guerriers, parmi lesquels son fils, en sangliers afin d'attaquer les Fianna, avec lesquels il s'était querellé:

-" And then Bran made away from the leash that Finn was holding, and the pigs ran their best, but she came up with them, and took hold of a pig. And at that Angus said:"O Bran, fosterling of fair- haired Fergus, it is not a right thing you are doing, to kill my own son" (p.240);

-""O Finn, father of Oisin, it is sorrowful to me the loss of my own good son is. For as to the black pig that came before you on the plain... it was no common pig that was in it, but my own son.... And it is a pity for you, sweet daring Bran", (Angus) said, "fosterling of Fergus of the thirty woods and plains, that you did not do something worth praise before killing your own foster-brother" (p.241).

Il arrive, ensuite, que cette /métamorphose/ soit le résultat d'une opération réflexive, dans le but d'acquérir, pour le sujet opérateur,

les qualités inhérentes à l'animal, ou bien une "protection" (une dissimulation). Le père de Lug, Cian, se transforme en sanglier pour échapper à ses poursuivants, les fils de Tuireann:

-" Then Cian said:"If my two brothers had been here, it is a brave fight we would make; but since they are not, it is best for me to fall back". Then he saw a great herd of pigs near him, and he struck himself with a Druid rod that put on him the shape of a pig of the herd, and he began rooting up the ground like the rest."31

-"And the pig began to scream, and with that a very tall man came out of the hill and he asked Finn to let the pig go free. And when he agreed to that, the man brought them into the hill of the Sidhe at Glandeirgdeis; and when they came to the door of the house he struck the pig with his Druid rod, and on the moment it changed into a beautiful young woman, and the name he called her by was Scathach, The Shadowy One".32

Ce second passage appelle trois remarques:

- l'opération, transitive, est ici envisagée dans son mouvement contraire, à savoir le passage de l'animal vers l'humain. Ceci montre quelle est la répartition des rôles du /contenant/ (l'animal) et du /contenu/ (l'humain): le sanglier ne tient lieu que de /paraître/, qui plus est à titre temporaire, puisque le "but" de cette métamorphose est, encore une fois, d'attirer les Fianna vers l'une des entrées du Sid dans ce récit, de même qu'elle offre à la jeune fille la "protection" du /contenant/, l'opération s'effectuant sur le mode du /secret/.

- Contrairement aux autres textes déjà cités, le /contenu/ n'est pas un homme, mais une belle jeune fille, à l'instar du motif du "cerf", mais il s'agit d'un cas relativement isolé. Cependant, il faut aussi y

31 The Sons of Tuireann, in Gods & Fighting Men, opus cit., p.44 32 The Shadowy One, in: Gods & Fighting Men, p.231

voir l'indépendance du motif par rapport au sexe de son /contenu/ humain.

- L'opération se déroule sur la frontière même entre Sid et monde humain, représenté par le /dehors/ ("when they came to the door"). Le Sid est bien représenté sous la forme d'une résidence /souterraine/ ("came out of the hill") close (un /dedans/). La /métamorphose/ se déroule sur le point de rupture des deux univers, montrant que le passage d'un monde à l'autre suppose l'abandon des artifices (représentés par le /contenant/ animal) car ils n'ont de valeur que par rapport aux chasseurs qu'ils ont pour fonction d'attirer. Cette rupture qui se dessine à la frontière du Sid s'accompagne parfois d'un changement plus profond. Le /contenant/ animal abolit les contraintes de la vie humaine, dont le cours est suspendu pour accorder à l'être ainsi métamorphosé un statut d'immortalité. Dans le récit The Birth of Diarmuid, Donn, son père, est invité avec les Fianna dans la résidence d'Oengus. Diarmuid est admiré pour sa beauté, ainsi que son frère de lait, le fils de l'intendant du dieu. Jaloux, Donn étouffe l'enfant et fait croire à la culpabilité des chiens de Finn. Mais le coupable est démasqué et l'intendant décide de venger la mort de son fils:

-"Then the steward came again, having a Druid rod with him, and he struck his own son with the rod, and he made of him a wild boar, without bristle or ear or tail".33

Le sanglier, "vivant", /contient/ un jeune garçon "mort": à la /métamorphose/ se superpose une /résurrection/, mais pas au sens habituel du terme. L'enfant ne renaît pas à la vie tel qu'il était, mais sous un /paraître/ animal. D'autre part, le sanglier se distingue de ses congénères par plusieurs traits, ou plutôt par l'absence ce

certains traits: pas d'oreilles, pas de soies, pas de queue. Ces éléments le désignent comme un animal surnaturel à la fonction très précise, tandis que le but d'autres métamorphoses est au contraire, de "dissimuler" le /contenu/ humain, ce qui n'est pas le cas dans cet exemple. De par son apparence, le sanglier de Slieve Gullion est reconnaissable entre tous, car c'est celui qui devra donner la mort à Diarmuid.

2/ le PN /rencontre/.

Il est basé sur un déplacement dans l'espace, mais il s'oppose au PN /poursuite/ associé au motif du cerf. Ce dernier est axé sur la trajectoire de l'animal qui part du point de rencontre avec le chasseur, dans l'univers humain, pour s'achever à la frontière du Sid, représentée par la "montagne", la "colline".

Le sanglier, quant à lui, se dirige vers le chasseur-guerrier, et il se révèle un /opposant/ redoutable, toujours en provenance du Sid. Ainsi:

-"It was on the mountain of Bearnas Mòr (Finn) was hunting and a great wild pig turned on the hounds of the Fianna and killed most of them..." (The Shadowy One, p.231);

-"And (the Fianna) were not long then with their hounds till they saw on the plain to the east a terrible herd of great pigs, every one of them the height of a deer" (The Pigs of Angus, p.240);

-"With that the wild boar rose up and ran out of the open door; and he was called afterwards the Boar of Slieve Gullion, and it was by him Diarmuid came to his death at the last" (The Birth of Diarmuid, p.250).

On le voit, ce PN est à l'opposé du PN /poursuite/ associé au motif du "cerf". Ce dernier met surtout l'accent sur la "direction" de la

trajectoire de l'animal, qui va du point de rencontre entre l'animal et le "chasseur", et de l'univers humain vers le Sid. Le PN /rencontre/ procède différemment: le "sanglier" vient à la rencontre du héros en provenance du Sid. Cette "inversion" syntaxique n'est pas sans importance: dans le PN /poursuite/, se dessine en surface la configuration de la "chasse", tandis que l'attitude "menaçante" du sanglier constitue le préliminaire à un /affrontement/, ce qui distribue les rôles actantiels d'une autre façon, ainsi que les parcours figuratifs qu'ils sous-tendent.

3/ le PN /attaque/ et la configuration de la "guerre".

Le contexte des récits est celui de la "chasse", mais elle se teinte de connotations "guerrières", dans la mesure où l'affrontement entre chasseur et sanglier se fait sur une base d'antagonisme sanglant, car l'un et l'autre essaient de "détruire" l'adversaire:

-"And it was all over Slieve Cua the hunt went, and Slieve Crot and from Magh Cobha to Cruachan, and to Fionnabraic and to Finnias. And at evening when the hunt was over, there was not one pig of the whole herd without a hurt, and there was but a hundred and ten pigs left living. But if the hunt brought destruction on Angus, it brought losses to the Fianna as well, for there were ten hundred of their men missing besides serving lads and dogs"34.

-"A great wild pig turned on the hounds of the Fianna and killed the most of them"35.

Sanglier et chasseur sont les sujets opérateurs de deux PN antagonistes au but réciproque et identique, /détruire/ l'adversaire. Que le contexte soit celui de la chasse ou non, le texte met en

34 The Pigs of Angus, in: Gods & Fighting Men, p.241 35 The Shadowy One, ibid., p.231

évidence les forces en présence, le /pouvoir-faire/ inhérent à chaque sujet.

La /compétence/ des deux opposants est passée en revue, et les "armes" du guerrier-chasseur sont mises sur le même plan que les défenses naturelles de l'animal, créant une opposition /offensif/ vs /défensif/ caractéristique de la "guerre". Nous prendrons appui sur l'extrait du récit de la mort de Diarmuid dans son combat contre le Sanglier de Slieve Gullion36:

-"The boar came up the face of the mountain "(...)Then (Diarmuid) put his fingers into the silken strings of the Gae Buidhe, and took a straight aim at the boar and hit him full in the face"; "Diarmuid drew the Beag-alltach", " full stroke at the back of the boar", "but neither did that make a wound on him, but it made two halves of the sword". " the boar made a brave charge at Diarmuid", that ...brought him down; "And then the boar made a rush at him, and ripped him open, that his bowels came out about his feet. But if he did Diarmuid made a cast at him with the hilt of his sword that was in his hand yet, and dashed out his brains, so that he fell dead there and then".

Diarmuid est doté d'un équipement guerrier complexe, composé de deux lances (Gae Dearg & Gae Buidhe), servant au "combat" à

36 Diarmuid and Grania, ibid., p.303:-"The boar came up the face of the mountain and the

Fianna after him. Diarmuid loosed Mac anChuill from his leash then, but that did not serve him, for he did not wait for the boar, but ran from him. "It is a pity not to follow the advice of a good woman", said Diarmuid, "for Grania bade me this morning bring the Mòr-alltach and the Gae Dearg with me". Then he put his fingers into the silken strings of the Gae Buidhe, and took a straight aim at the boar and hit him full in the face; but if he did, the spear did not so much as give him a scratch. Diarmuid was discouraged by that, but he drew the Beag-alltach, and made a full stroke at the back of the boar, but neither did that make a wound on him, but it made two halves of the sword. Then the boar made a brave charge at Diarmuid, that cut the sod from under his feet and brought him down; but Diarmuid caught hold of the boar on rising, and held on to him, having one of his legs on each side of him, and his face to his hinder parts. And the boar made away headlong down the hill, but he could not get rid himself of Diarmuid; and he went on after that to Ess Ruadh, and when he came to the red stream he gave three high leaps over it, backwards and forwards, but he could not put him from his back, and he went back by the same path till he went up the height of the mountain again. And at last on the top of the mountain he freed himself and Diarmuid fell on the ground. And then the boar made a rush at him, and ripped him open, that his bowels came out about his feet. But if he did Diarmuid made a cast at him with the hilt of his sword that was in his hand yet, and dashed out his brains, so that he fell dead there and then".

distance, de deux épées (Mòr-alltach & Beag-alltach) pour le corps-à-corps: les armes les plus puissantes ne sont d'ailleurs pas avec lui pour ce combat.

Ce sont des éléments plutôt /offensifs/, qui induisent l'"attaque" comme stratégie, et elles ont été façonnée de main d'homme: elles appartiennent à l'isotopie du /culturel/, car elle ne sont pas le "prolongement" du guerrier, mais les figures de son /pouvoir-faire/, des "auxiliaires".

Le sanglier possède lui aussi une panoplie /offensive/, principalement ses défenses ("ripped"), et sa "masse" ("charge"), qui ne sont utilisables que dans le corps-à-corps avec l'adversaire, et qui répondent à l'épée.

De plus, l'animal peut aussi se "protéger"( système /défensif/) grâce à l'épaisseur de sa peau ("did not... give a scratch", "(no) wound"). Le sanglier est lié à l'isotopie du /naturel/, car tous ses moyens de défense sont le prolongement de ses organes.

La /performance/ s'accomplit sous le signe du "combat singulier", alliant des traits comme l'/aigu/ ("armes"),le /rectiligne/ ("mouvement", "trajectoire"), le /vertical/ (mouvement d'ascension et de descente: "up the face of the mountain"vs "headlong down the hill", "brought him down" vs "rising", "high leaps" vs "fell on the ground"). La /sanction/ ne fait que confirmer la teneur "destructrice" de la /performance/, puisque l'on retrouve alliées le parcours figuratifs de la "blessure", de la "mort", à la couleur /rouge/ ("Gae dearg", "Ess Ruadh", "red stream") dont nous avons vu qu'elle caractérisait l'isotopie du /guerrier/.

Les forces en présence sont d'ailleurs à peu près équivalentes dans la plupart des récits, les morts et les blessés s'équilibrant dans les deux camps.

Le conflit se prolonge dans la phase de /manipulation/ des deux PN contradictoires. Dans le récit de la mort de Diarmuid, ce dernier est soumis à deux /compétences/ contradictoires:

a/ /Destinateur/= Angus ("I was never one night... without keeping watch or protection over you") => /destinataire/= Diarmuid => /compétence/= /devoir-ne-pas-faire/+/pouvoir-faire/ ("Angus knew it well when he put bonds on you not to go hunting pigs") => /performance/= "tuer le sanglier".

Il existe bien un conflit dans la /compétence/ du sujet opérateur: Diarmuid peut, a la capacité de tuer le sanglier, et c'est son devoir de guerrier, vis-à-vis des Fianna, mais il s'agit d'un interdit posé par le Destinateur; comme nous allons le constater, cette opposition place Diarmuid dans un dilemme insoluble: ou bien il obtempère devant Angus et il renie son "code de l'honneur" des Fianna (combattre et chasser), ou bien il se soumet à ce code et il perd la vie. C'est d'ailleurs sur celà que Finn base sa "vengeance", méditée après l'enlèvement de Grania, sa fiancée, par Diarmuid.

b- l'autre relation Destinateur/Destinataire unit Diarmuid à Finn, qui représente l'autorité humaine, face à l'autorité divine qu'incarne Angus. Mais Finn se distingue par ses intentions "négatives" à l'égard de Diarmuid: "I give my word", said Diarmuid, "you made this hunt for my death, Finn ". La /compétence/ du guerrier se décompose comme suit:

- /ne-pas-devoir-ne-pas-faire/: "let us leave this hill to (the boar) now (said Finn);it would be best for you Diarmuid... for it is the earless Green Boar of Slieve Gullion"; mais Finn feint seulement de l'écarter (discours /mensonger/);

- /ne-pas-vouloir-ne-pas-faire/: "I will not quit this through fear of (the boar)".

Le sanglier, lui, ne connaît aucun conflit de /destinateurs/, mais il s'agence dans le récit à un autre niveau de dérivation. Ainsi le PN /détruire/ se structure comme suit:

-/destinateur/= l'intendant d'Angus => /destinataire/= le sanglier; - /compétence/= /devoir-faire/ ("I put you under bonds") + /pouvoir-faire/ ("bring Diarmuid to his death") ; contrairement à Diarmuid, le sanglier "obéit" aveuglément à son père, qui lui a rendu la vie sous un autre /paraître/ que le sien.

- /performance/= "tuer Diarmuid";

- /sanction/= "your life will be no longer than his life".

On peut noter une convergence entre les deux /destinateurs/, Finn et l'Intendant, puique tous deux ont pour but de faire mourir Diarmuid, s'opposant en celà à Angus. Cependant, le PN /détruire/ dont le sanglier est le sujet opérateur préexiste: depuis son plus jeune âge, Diarmuid est "destiné" à mourir des blessures infligées par le sanglier, de même que ce dernier doit périr de la main de son adversaire. En fait, le conflit ne concerne que deux destinateurs situés au même niveau de dérivation, Angus et son Intendant, l'un protégeant, l'autre voulant détruire, le jeune guerrier. Finn n'est seulement que l'expression d'une destinée déjà programmée: il représente simplement les circonstances matérielles de son accomplissement.

Nous pouvons d'autre part tirer une seconde remarque de ce conflit de destinateurs: si le guerrier-chasseur peut être "manipulé" par un destinateur "humain" et/ou "surnaturel", le sanglier est uniquement une "émanation" du Sid, son instrument, et ne saurait intervenir autrement dans les affaires des hommes. Le monde surnaturel

domine la dimension cognitive du récit, au sein duquel elle est représentée par la vague figure de la "destinée".

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