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III. CELLULES ENDOTHELIALES CORNEENNES HUMAINES NORMALES _____________________ 82

III.1.2. Compensation de la perte cellulaire

Dans de nombreux types cellulaires, y compris les cellules épithéliales cornéennes [346, 347] et les kératocytes du stroma [315, 316], la division cellulaire contribue à la réparation des dommages subis par le tissu. A l’opposé, la division cellulaire, si elle a lieu, ne joue qu’un rôle tout à fait marginal in vivo, dans les mécanismes de réparation de l’endothélium cornéen mature. En microscopie spéculaire in vivo des images suggérant la possibilité de division de CE a été rapportée dans des circonstances très particulières par Laing en 1984 [348]. Différentes mesures en séries de la surface endothéliale ont été réalisées après une réaction de rejet sur une greffe de cornée. Quelques images compatibles avec des mitoses ont été observées et, avec le temps, des clusters de plus petites cellules environnantes à ces CE « prolifératives ». Ces résultats suggéraient qu’une prolifération avait lieu dans les régions focales de l’endothélium et de ce fait augmentaient la DCE dans ces zones. Nartey et al. ont observées ex vivo des cellules binucléées en microscopie électronique à balayage dans des endothéliums cornéens humains normaux chez un adulte (65 ans ; délai post-mortem 12 heures) et un enfant (3 mois ; délai post-mortem 4 heures) [349]. Que ce soit dans l’endothélium adulte ou dans celui de l’enfant, une seule cellule binucléée était détectée. L’état binucléé peut-être expliqué par la division cellulaire [350]. Ce faible taux prolifératif indique que la division cellulaire complète

in vivo dans l’endothélium cornéen humain est très rare et ne peut remplacer efficacement les

cellules mortes ou endommagées. Des études in vivo, portant sur la réparation endothéliale de cornées de singes lésées, comparaient la contribution relative de la mitose et de la migration cellulaire à la guérison de ces cornées. Les résultats ont conduit à la conclusion que le nombre de mitoses était trop faible pour contribuer de manière significative à la compensation des lésions et que la migration des cellules était le principal moyen de guérison [351].

De nombreuses études sur la cicatrisation des plaies in vivo indiquent que, dans l'endothélium cornéen mature, la cicatrisation se fait principalement par élargissement et migration cellulaires. Lorsque seul un petit nombre de cellules ont été lésées, la guérison se produit uniquement par l'élargissement des cellules à proximité immédiate de la plaie. La réparation apparait être initiée par une perte de contact cellules-cellules dans la zone de lésion. Les cellules, après élargissement, établissent à nouveau des contacts cellules-cellules matures.

A RETENIR

 La perte des CE avec l’âge est compensée par une migration et un élargissement cellulaire conduisant à un polymégathisme et pléomorphisme des CE.

86 Ce mécanisme de réparation ne provoque pas seulement l'élargissement de la cellule, mais aussi l'aplatissement des cellules impliquées dans le processus de réparation [352]. Les observations microscopiques ainsi que les analyses morphométriques de la morphologie des CE démontrent une augmentation de la taille cellulaire liée à l’âge [317, 320, 338, 353]. Différentes études ont démontré que l’élargissement cellulaire, plutôt que la division, est le mode prédominant de réparation des lésions. Comme conséquence à cette forme de réparation, il n’y a pas non seulement une augmentation de la taille des cellules avec l’âge (polymégéthisme) mais également une altération graduelle de la forme hexagonale caractéristique des CE vers une forme plus polygonale (pléo ou poly-morphisme) (Figure 30) [320, 322, 354-356].

Figure 30 : Polymégéthisme et pléomorphisme des cellules endothéliales cornéennes humaines liés à l'âge.

Micrographie spéculaire non contact TOPCON SP2000 (Topcon, Tokyo, Japon) chez des sujets de 20 ans (A), 35 ans (B), 50 ans (C), 70 ans (D). Endothélium pléomorphe chez un patient opéré 10 ans plus tôt de cataracte avec implant de chambre antérieure (E). Courtesy : Prof J. Maugery, CHU St Etienne.

Dans le cas de lésions importantes, la réparation est le résultat coordonnée d’un élargissement des cellules adjacentes à la blessure ainsi que des cellules en proche périphérie. Honda et al. ont utilisé la microscopie spéculaire in vivo afin d’étudier les réparations de l’endothélium cornéen de chat suite à une importante lésion [357]. Il a été observé que les cellules s’élargissaient et s’allongeaient avant de migrer et de recouvrir la lésion. Sans perdre le contact avec les cellules voisines, les cellules élargies se contractaient et attiraient d’autres cellules dans la zone de la blessure. Cette forme de réparation a été désignée comme « diffusion » de la monocouche [358, 359].

La migration des cellules individuelles apparait également contribuer à la repopulation des grandes plaies. Des études portant sur la cicatrisation, in vivo, de grandes lésions de l’endothélium cornéen de lapin ont révélé que la cicatrisation se faisait par migration cellulaire [360, 361]. De plus, des observations portant sur des cornées organocultivées lésées [362] ainsi que sur des modèles de culture cellulaire ont également indiquée que la migration

87 des cellules jouait un rôle primordiale dans la réparation endothéliale [359, 363, 364]. La diffusion de la monocouche ainsi que la migration cellulaire résulteraient des altérations, créées par la lésion, dans l’expression et l’organisation des éléments du cytosquelette tels que les filaments d’actine et les microtubules [359, 365-369]. La migration des cellules en réponse à une lésion est sérum indépendante [370].

En 2008, Lagali et al. ont démontré que les CE d’un patient ayant subi une kératoplastie transfixiante migraient et colonisaient le greffon [371]. Les CE de trente-cinq boutons cornéens explantés de patients ayant été greffés, suite principalement à un kératocône (n=22) ou à un œdème cornéen (n=12), avec des cornées provenant d’un donneur du sexe opposé et devant subir une nouvelle greffe étaient analysées par FISH (« Fluorescence In Situ

Hybridization »). Cette technique ciblait les chromosomes sexuels permettant ainsi de faire la

différence entre les cellules des donneurs et celles des receveurs. L’analyse des CE à partir de 35 boutons cornéens révélait 9 cas dans lesquels les CE des donneurs étaient complètement remplacées par celles du receveur, 24 cas dans lesquels les CE du donneur et du receveur coexistaient et 2 cas dans lesquels seules les CE provenant du donneur étaient présentent. Dans les cas de coexistence, la proportion de cellules provenant du donneur variait de 6 à 95%. La survie des CE des donneurs n’était pas corrélée avec l’âge de la greffe, la transparence cornéenne ni avec la pathologie initiale ayant entraîné la première greffe. La présence de CE provenant du receveur sur le greffon à long terme indique bien une migration cellulaire mais les CE du donneur ne sont pas totalement remplacées : un équilibre se forme sur le greffon entre les cellules du donneur et du receveur. La survie des CE du greffon est sujette à des facteurs interindividuels importants. Des facteurs tels que la réaction immunitaire, les complications postopératoires et certaines dystrophies présentes chez le receveur peuvent perturber cet équilibre et faire pencher la balance en faveur des CE du receveur ou du donneur.

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