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VI. Hétérogénéité spatiale et temporelle des conditions d’oxygénation et de

1. Apport de l’utilisation du TOC et des éléments traces et majeurs

1.3. Comparaison avec les bassins proximaux

1.3.1. Domaine Briançonnais

Le Domaine Briançonnais (Suisse), situé à proximité du Bassin Vocontien, correspond à un segment de la marge nord-ouest de l’Océan Ligure. Sa configuration géométrique est également proche de celle du Bassin Vocontien puisqu’il s’agit d’un bassin tectoniquement structuré avec une partie en dépression (Sub-Briançonnais) séparée de l’Océan Téthys par le haut-fond pélagique du Briançonnais.

L’analyse des concentrations en éléments traces le long de la coupe de Roter Sattel (Charbonnier et al., 2018a), et en particulier des éléments sensibles aux conditions d’oxygénation (Mo, V, U, Zn, Mn) indique des enrichissements en Mo (jusqu’à 30.8), en V (jusqu’à 8.0), en U (jusqu’à 10.1 mais quasi-exclusivement inférieurs à 4.0) et en Zn (jusqu’à 18.3) et des appauvrissements en Mn plus importants (inférieurs à 0.3) qu’au niveau des coupes du Bassin Vocontien (Fig. 6.5). Associées à des valeurs de TOC, également plus élevées (jusque 4.9 wt%) dans l’intervalle de l’OAE 2. Les d’enrichissements en Mo, V, U, Zn indiquent des conditions anoxiques davantage développer au sein de la colonne d’eau dans le Domaine Briançonnais. Tout comme dans le Bassin Vocontien, le Mo et le Zn sont les éléments présentant les plus fortes valeurs d’enrichissement tandis que celles pour l’U restent relativement modestes confirmant le caractère semi-restreint du Domaine Briançonnais

Par ailleurs, l’évolution des facteurs d’enrichissement en Mo, V, U, Zn et des valeurs de TOC à travers l’OAE 2 indiquent une réoxygénation modérée pendant le PCE. Celle-ci est marquée par des enrichissements en Mo, V et Zn, des valeurs de TOC plus faibles qu’au niveau des intervalles équivalents des Unités TH1 et TH3 du Niveau Thomel (Fig. 6.5). En revanche, contrairement aux coupes du Bassin Voncontien, l’intervalle du PCE à Roter Sattel présente des pics de TOC (jusqu’à 4.5 wt%) et des enrichissements ponctuels en Mo, V et Zn. De même, malgré une légère augmentation des enrichissements en Mn (de ~0.1 en moyenne à 0.3 pendant le PCE), ceux-ci restent très faibles. Ainsi, contrairement au Bassin Vocontien le PCE dans le domaine Briançonnais ne marque pas une réoxygénation complète de la colonne d’eau et des sédiments mais correspondrait plutôt à une transition depuis des conditions anoxiques à euxiniques vers des conditions suboxiques et ponctuellement anoxiques.

Tout comme dans le Bassin Vocontien, les unités stratigraphiques équivalentes aux unités TH1 et TH3 à Roter Sattel, présentent des fluctuations importantes des valeurs de TOC et d’enrichissements en éléments traces. De même, celles-ci suivent les variations lithologiques entre des niveaux de marnes sombres laminées et des marnes grises. Ces variations lithologiques le long de la coupe de Roter Sattel ont été interprétés comme l’expression de cycles orbitaux influençant la productivité primaire et ainsi l’export de matière organique (Charbonnier et al., 2018b).

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Figure 6.5 Evolution du TOC et des facteurs d’enrichissement des éléments sensibles aux conditions

d’oxygénation à travers les unités stratigraphiques (Pré-OAE 2, TH1, Plenus Cold Event (PCE), TH3, Post-OAE 2) décrites pour les coupes du Bassin Vocontien et ses équivalents le long de la coupe de Roter Sattel (Domaine Briançonnais; Charbonnier et al., 2018a). Les barres verticales en pointillées correspondent aux intervalles comprenant entre 2 et 5 valeurs et sont considérées comme peu représentatives.

Les indicateurs de productivité (P, Ni, Cu) dans le Domaine Briançonnais présentent, comme dans le Bassin Vocontien, des valeurs d’enrichissements relativement modestes (Fig. 6.6) comparées à celles enregistrées dans l’Atlantique Central ou dans l’Ouest-Téthys. Les facteurs d’enrichisssements (EFs) ne présentent que ponctuellement des valeurs supérieures à 5. En revanche, contrairement à Pont d’Issole, l’initiation de l’OAE 2 à Roter Sattel est caractérisée par une augmentation des EF en P au sein

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de l’équivalent du TH1, alors que le Mn ne présente aucune trace d’enrichissement (Fig. 6.6). De même le pic important en P à la fin du PCE (EF ~28) n’est pas corrélé avec une augmentation de l’EF en Mn. Ce pic d’enrichissement en P au sein de cet intervalle semble indiquer une forte augmentation ponctuelle de la productivité primaire. Les faibles enrichissements en Ni et Cu non corrélés avec les intervalles d’enrichissement en TOC dans l’ensemble de l’OAE 2 excluent cependant un contrôle unique de la production primaire dans la mise en place de conditions anoxiques dans le Domaine Briançonnais.

Une plus forte productivité primaire dans le Domaine Briançonnais que dans le Bassin Vocontien pourrait expliquer une plus forte désoxygénation de la colonne d’eau ainsi qu’un export de matière organique plus important vers les sédiments. En revanche, dans ces deux bassins intracontinentaux tectoniquement structurés, le développement de conditions appauvries en oxygène ne semble pas résulter uniquement d’une augmentation de la productivité primaire comme dans le cas de zones d’upwellings. Le ralentissement du renouvellement des eaux profondes indiqué par un cycle redox du Mn stable soutenu par des périodes d’augmentation de la productivité primaire semble être le modèle commun d’établissement et de maintien de l’appauvrissement en oxygène au sein du Bassin Vocontien et du Domaine Briançonnais.

Figure 6.6 Evolution du TOC et des facteurs d’enrichissement des éléments sensibles à la productivité à travers

les unités stratigraphiques (Pré-OAE 2, TH1, Plenus Cold Event (PCE), TH3, Post-OAE 2) décrites pour les coupes du Bassin Vocontien et ses équivalents le long de la coupe de Roter Sattel (Domaine Briançonnais; Charbonnier et al., 2018a)

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1.3.2. Domaines de plateformes continentales

En Europe, plusieurs coupes de domaines de plateforme continentale (Eastbourne, Bassin Anglo-Parisien; South Ferriby, Nord-Est de l’Angleterre; Raia del Pedale, Sud des Apennins; Chrummflueschlucht, Plateforme helvétique) enregistrent l’OAE 2 mais ont un contenu organique très faible (TOC < 1.0 wt %) ou absents. De même, leur contenu en Al très faible (< 1%) ne permet pas de représenter des facteurs d’enrichissement à comparer avec ceux mesurés dans le Bassin Vocontien. À Eastbourne, les concentrations en Mo (< 1 ppm) (Owens et al., 2012) et V (< 5 ppm) sont extrêmement faibles indiquant des conditions oxygénées. Des rapports I/Ca, Ce/Ca (Lu et al., 2010; Zhou et al., 2015), U/Ca (Clarkson et al., 2018), mesurés le long de cette coupe d’Eastbourne indiquent des variations faibles de conditions d’oxygénation représentées par deux phases distinctes de dysoxie interrompues par une réoxygénation lors du PCE (Jenkyns et al., 2017).

Au niveau de la coupe de Raia del Pedale, la présence de fins niveaux de marnes sombres intercalés au sein d’une succession de bancs calcaires riches en foraminifères benthiques et en rudistes indique un environnement de dépôt majoritairement bien oxygéné, ponctuellement perturbé par le développement de conditions appauvries en oxygène (Parente et al., 2008). Par ailleurs, des mesures de rapports I/Ca le long de cette coupe indiquent des valeurs constamment faibles (< 1 µmol/mol) (Zhou et al., 2015) signifiant que les eaux de porosité furent appauvries en oxygène pendant l’ensemble de l’évènement.

Au niveau de la plateforme helvétique, les concentrations en V et U sont également très faibles (respectivement < 6 et < 1 ppm), et les valeurs plus forts en Mo (jusqu’à 6 ppm) ont été interprétés comme correspondant à des apports détritiques plus importants (Westermann et al., 2010).

Ainsi, l’ensemble des domaines de plateforme en Europe semble être caractérisé par des conditions majoritairement oxiques. L’enregistrement de périodes de désoxygénation indique alors l’expansion ponctuelle de zones à minimum d’oxygène jusqu’au sein des domaines de plateformes.

1.3.3. Domaine océanique Ouest-Téthysien

Les coupes italiennes de La Contessa, Furlo et Botaccione du Bassin d’Ombrie-Marche (Italie Centrale) (Scopelliti et al., 2006; Turgeon et Brumsack, 2006; Westermann et al., 2014) et celle de Calabianca dans le Nord-Ouest de la Sicile (Scopelliti et al., 2006) exposent le Niveau Bonarelli. Situées en domaines de pente et de bassin océanique profond au-dessus de la CCD (entre -1500 et -2500 m de profondeur; Arthur et Premoli Silva, 1982), ces coupes de l’Ouest-Téthys sont caractérisées par des TOC atteignant 26 wt% (Scopelliti et al., 2008). Par ailleurs, contrairement aux coupes plus proximales, les coupes italiennes présentent des intervalles pré-OAE2 d’enrichissement en matière organiques sous formes de fins niveaux de black-shales contenant jusqu’à 10 wt% de carbone organique (Turgeon et Brumsack, 2006). Au sein du Niveau Bonarelli, les valeurs de TOC présentent également des fortes variations plus ou moins marquées selon les coupes mais décrivant deux phases de forts enrichissements

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(TOC > 10 wt%) entrecoupées par un intervalle plus pauvre en matière organique (TOC jusqu’à 0.3 wt% au minimum; Jenkyns et al., 2007; Westermann et al., 2014). Bien que cet intervalle ne soit pas décrit, dans la littérature, comme l’enregistrement du PCE, sa position stratigraphique basée sur l’enregistrement du δ13C (Tsikos et al., 2004; Westermann et al., 2014) pourrait correspondre à celle du PCE. L’enregistrement des enrichissements en Mo, V, U, Zn et Mn le long des coupes de La Contessa et de Furlo (Westermann et al., 2014) et de Calabianca (Scopelliti et al., 2006) indiquent des valeurs largement supérieures à celles mesurées au niveau des coupes du Bassin Vocontien et du Domaine Briançonnais. Les valeurs maxima des EF à La Contessa/Furlo (Westermann et al., 2014) et Calabianca (Scopelliti et al., 2008), atteignent respectivement 143 et 293 pour le Mo, 51 et 44 pour le V, 29 et 61 pour l’U (Fig. 6.7), 175 et 115 pour le Zn (Fig. 6.9). Ces valeurs d’enrichissement très élevées indiquent ainsi une extension verticale de conditions anoxiques-euxiniques au sein de la colonne d’eau suffisamment large pour piéger une quantité importante de ces éléments depuis le réservoir de l’eau de mer vers les sédiments sous formes de sulfures et au sein de la matière organique.

Alors que les valeurs d’EF pour le Mn sont toujours inférieures à 0.3 dans les coupes d’Ombrie-Marche indiquant des conditions au minimum suboxiques, celles enregistrées en Sicile présentent des oscillations entre 0.2 et 3.0 et laissent penser que les conditions au sein du Bassin Sicilien ont fortement évoluées entre des conditions oxiques et des conditions fortement appauvries en oxygène, probablement anoxiques-euxiniques. En effet, les très forts enrichissements en Mo conjugués avec des forts enrichissements en U au sein du Niveau Bonarelli de l’ensemble des coupes italiennes semblent indiquer des conditions hydrographiques ouvertes (Ce point sera davantage développé dans le paragraphe 2. de ce chapitre) dans cette région de la Téthys, au sein de laquelle la zone à minimum d’oxygène se serait développée dans une grande partie de la colonne d’eau. Une diminution des EF pendant l’intervalle synchrone du PCE jusqu’à des valeurs plus modestes, indiquerait une réduction de la zone à minimum d’oxygène.

Contrairement au Niveau Thomel, le Niveau Bonarelli représente un intervalle de forts EF en P (jusqu’à ~14), Cu (jusqu’à ~70) et Ni (jusqu’à ~33) (Scopelliti et al., 2006; Turgeon et Brumsack, 2006; Westermann et al., 2014) (Fig. 6.9). L’augmentation rapide du taux d’accumulation du P par rapport à celui du TOC observé à Furlo (Mort et al., 2007b) indique, par modélisation, une augmentation de la productivité trois fois supérieure pendant l’OAE 2 dans le bassin d’Ombrie-Marche. Ainsi, il est possible d’envisager qu’au sein de ces environnements océaniques plus ouverts des périodes d’upwellings intenses aient permis une eutrophisation des eaux de surface, favorisant l’expansion de la zone à minimum d’oxygène. La présence de composés organiques (maléimides) dérivés de bactéries sulfureuses retrouvés le long de la coupe de Gubbio (Pancost et al., 2004) indique, par ailleurs, l’apparition de conditions euxiniques ponctuelles à la base de la zone photique.

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