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L’EFFET DU TEMPS DANS LA COMPARAISON ENTRE PLUSIEURS ÉCRIVAINS Les distances intertextuelles peuvent rarement être calculées entre œuvres exactement

Dans le document Qui a écrit Aétius, Juba et Tachmas ? (Page 117-122)

COMPLEMENTS POUR UNE ATTRIBUTION D’AUTEUR

II. L’EFFET DU TEMPS DANS LA COMPARAISON ENTRE PLUSIEURS ÉCRIVAINS Les distances intertextuelles peuvent rarement être calculées entre œuvres exactement

contemporaines. La comparaison entre J. Racine, P. et T. Corneille porte sur une période relativement limitée : 18 ans séparent Œdipe (1659) de Phèdre (1677) et la majorité des couples sont séparés par moins de 10 ans. Cela permet de vérifier si ces écarts temporels sont bien sans conséquences dans la comparaison entre deux écrivains différents.

Le temps dans la comparaison entre les pièces des frères Corneille et celles présentées par J. Racine

Pour la comparaison entre les pièces présentées par P. Corneille et J. Racine, le calcul fait apparaître une légère tendance à l’accroissement des distances avec le nombre d’années séparant les pièces comparées (tableau 6) mais la pente de la droite est très faible (sur le tableau 4 l’origine est déplacée à 0.25) et, même si le coefficient de corrélation est significatif (avec 68 degrés de

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liberté mais pas avec 13 ddl et un seuil à 1%), à peine plus du tiers des fluctuations de la distance peuvent s’expliquer par l’écart temporel entre les pièces.

Tableau 6. Variation de la distance entre les tragédies présentées par J. Racine et P. Corneille en fonction de l’écart temporel séparant ces pièces (valeurs observées et ajustées)

L’ajustement est médiocre notamment parce qu’un creux important apparaît au milieu de la série et concerne quelques pièces de P. Corneille – spécialement la Toison d’or (1660), Sertorius (1662), Sophonisbe (1663) et Othon (1664) – proches de certaines pièces présentées par J. Racine - notamment Andromaque (1667), Britannicus (1669) et Mithridate (1672). Si l’on voulait creuser d’avantage l’influence "cornélienne" sur ces pièces, il faudrait donc refaire l’expérience en tenant compte de ce décalage. Mais au fond, c’est une évidence que l’influence possible d’un écrivain sur un autre se manifeste nécessairement avec un certain retard temporel.

Le même calcul appliqué à la comparaison entre T. Corneille et J. Racine fait apparaître une pente de la droite d’ajustement légèrement plus prononcée, avec une liaison faiblement significative, mais aussi une détermination de la distance par le temps également médiocre (tableau 7).

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Tableau 7. Variation de la distance entre les tragédies présentées par J. Racine et T. Corneille en fonction de l’écart temporel séparant ces pièces (valeurs observées et ajustées)

Deux conclusions s’imposent.

1. Dans la comparaison entre les frères Corneille et J. Racine, le facteur temps – dix-huit ans au maximum - a donc un poids minime.

2. L’expérience démontre que la distance intertextuelle attribue sans problème des textes à peu près contemporains (ou des œuvres séparées par un laps de temps pas trop grand), écrits dans un même genre, sur des thèmes proches, pour les mêmes comédiens et le même.

Est-ce le cas pour J. Racine, J. de la Chapelle et J.-G. Campistron alors que, cette fois, les œuvres sont décalées chronologiquement ?

Le temps dans la comparaison entre les pièces présentées par J. Racine, J. de la Chapelle et J.-G. Campistron Dans cette étude, deux dimensions sont à prendre en compte :

- Entre Andromaque (1667) et Phèdre (1677), il s’écoule dix ans.

- La dernière pièce présentée par J. Racine (Phèdre (1677) et Zaïde (La Chapelle début 1681) sont séparées de 4 ans. Entre Phèdre (1677) et Virginie (1683), il s’écoule 6 ans. Ce sont les intervalles minimaux. L’intervalle le plus important sépare Andromaque (1667) d’Aétius (1693) : 26 ans.

Pour mesurer le poids de ce décalage temporel, on répète l’opération présentée au paragraphe précédent : calcul des écarts temporels séparant les pièces considérées par couples que l’on associe aux moyennes des distances correspondantes puis on réalise un ajustement linéaire de

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ces données. L’opération est effectuée uniquement sur les couples formés par le rapprochement entre ces pièces et celles de J. Racine (tableau 8).

Ces écarts et les distances correspondantes sont portés sur le diagramme ci-dessous), avec le prolongement de la tendance propre au corpus Racine sur ce même laps de temps, telle qu’elle a été calculée dans la section précédente (pointillé gras).

Tableau 8. Accroissement de la distance en fonction du temps (distances entre les œuvres de J. Racine et celles présentées sous les noms La Chapelle et de Campistron)

Le trait gras pointillé est l’accroissement théorique des distances calculé d’après la tendance observée sur les pièces présentées par J. Racine (tableau 3). Si le même rythme de renouvellement, observé entre 1667 et 1677, s’était poursuivi jusqu’au bout, la distance entre Aétius et Andromaque aurait été de 0.33 alors qu’elle n’est que de 0.26. Toutes les observations sont inférieures à la tendance, sauf les trois premières (distances entre Phèdre et les pièces parues sous le nom de J. La Chapelle). En dehors de cette exception, les pièces présentées par J. de La Chapelle et par J.-G. Campistron sont "trop" proches de celles de J. Racine par rapport à ce que les écarts temporels laisseraient attendre.

La tendance à l’accroissement des distances en fonction du temps après 1677 est donc beaucoup plus lente qu’auparavant (quatre fois moins rapide). La pente de la droite d’ajustement est d’ailleurs presque nulle (0.0011). Mais la liaison demeure. Avec 24 degrés de liberté, le coefficient de corrélation (0.69) est même très significatif : on a moins de 1 chances sur 1000 de se tromper en acceptant une augmentation faible mais continue des distances entre les pièces présentées sous le nom de J. Racine et celles présentées par J. de La Chapelle puis par J. G. Campistron, mais le temps n’explique que la moitié des fluctuations de la variable, fluctuations au demeurant très faibles.

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Plusieurs interprétations sont possibles (et cumulables) :

- à part sans doute Adrien (1690), les tragédies présentées sous le nom de J. de La Chapelle puis de J.-G. Campistron auraient, pour la plupart, été composées plusieurs années avant leur parution et n’auraient pas été présentées dans l’ordre de leur composition. Ceci vaut principalement pour les dernières pièces (Tiridate, Pompéia, Aétius) qui semblent nettement antérieures. Juba lui-même aurait été commencée bien avant 1695 ;

- les pièces qui ont assuré les plus grands succès avant 1677 (Iphigénie, Andromaque…) ont servi de modèles pour les pièces présentées sous les noms de J. de La Chapelle puis de J.-G. Campistron. Autrement dit, les premiers succès ont servi de matrice pour les pièces de l’ombre ;

- le renouvellement du vocabulaire et des thèmes est plus faible après 1677, ce qui est l’idée ci-dessus formulée différemment.

Enfin, ce constat renforce l’attribution à une même plume de toutes les tragédies présentées, entre 1666 et 1693, sous les noms de J. Racine, de J. de La Chapelle puis de J.-G. Campistron puisque les distances constatées sont inférieures aux valeurs attendues pour un auteur unique et étant donné le laps de temps qui séparent leurs dates de création.

D’autres dimensions peuvent caractériser un écrivain et aider à lui attribuer un texte d’origine inconnue ou douteuse. En ce qui concerne le théâtre en vers du XVIIe, la longueur et la structure de la phrase sont des indices stylométriques particulièrement intéressants.

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CHAPITRE VIII.

Dans le document Qui a écrit Aétius, Juba et Tachmas ? (Page 117-122)