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Commerce international et IDE à l'heure de la globalisation

Guy SCHULLER

Encadré 2: Commerce international et IDE à l'heure de la globalisation

Depuis le début des années quatre-vingt, la croissance en volume des IDE a été supérieure à celle du commerce international, elle même supérieure à celle de la production mondiale. Cette double accélération des relations transnationales est le reflet du processus de globalisation. Elle retrace bien ce mouvement de plus grande intégration économique au niveau des régions continentales, la poursuite de l’ouverture des économies nationales entraînant une plus grande interdépendance des économies. Mais ces évolutions – en continuité d’un processus d’ouverture des économies enclenché de longue date (dès le lendemain des accords de Bretton Woods et des accords du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade) conclus tous les deux à la fin de la seconde guerre mondiale) – ne sont qu’une facette du phénomène complexe de la globalisation.

En effet, au-delà du processus d’ouverture l’on assiste à deux autres mutations qui expliquent une part

importante de l’évolution plus rapide (comparée à la production) du commerce international et des IDE. Ces deux mutations sont d’ailleurs directement inter-liées et sont à mettre en relation avec le processus de

multinationalisation des entreprises, qui est en fait le véritable moteur du phénomène de globalisation. La plupart des analystes conviennent d’ailleurs de dire que ce phénomène est largement engendré par une large panoplie de déterminants comme le processus de libéralisation et de déréglementation, les progrès technologiques facilitant les transports et les communications au plan mondial, la réduction substantielle de leurs coûts, ainsi que l’amélioration du confort et des conditions de transport et de

communication. La conjonction de tous ces aspects a permis aux entreprises – essentiellement multinationales – de restructurer sensiblement leur organisation, ainsi que leurs stratégies de production et de

commercialisation. Une des conséquences pour les relations inter- voire transnationales a été la

fragmentation1

du processus de production. Elle se traduit

par la réalisation d’un même bien final en plusieurs phases à des endroits différents (que ce soit dans des unités de production appartenant au même groupe et/ou dans des entités externes).

Fragmentation du processus et allongement de la chaîne de production

Pour le commerce international, les effets de cette fragmentation se traduisent non seulement par une augmentation des échanges, mais également par une mutation de la structure des échanges2

. Pour illustrer l’évolution des dernières décennies nous proposons un exemple en deux temps:

Dans les années 70, la production sidérurgique a été traditionnellement réalisée à partir de minerais de fer, et la production intégrale a en général été achevée dans un même site. Admettons que le pays A est spécialisé dans l’extraction de minerai de fer et que le pays B est producteur d’acier vendant le produit final au pays C. Nous sommes alors en présence de relations

internationales très classiques avec trois agents

économiques indépendants opérant dans trois pays et un commerce international composé de:

- matières premières (de A vers B) - produits manufacturés (de B vers C)

Dans l’hypothèse où A est un pays en développement et B et C des pays industrialisés, toutes les acceptions

classiques sont confirmées: Echange de produits différents entre pays différents et échange de produits similaires entre pays similaires.

Pour l’analyse de la mutation en cause nous pouvons toujours partir de la production sidérurgique, mais dans un contexte organisationnel différent.

Première modification: l’entreprise spécialisée dans l’extraction de minerai de fer établie dans le pays A a été entretemps rachetée par l’entreprise sidérurgique établie dans le pays B (internalisation de l’exploitation des matières premières). Par ailleurs, l’entreprise B a décidé de fragmenter le processus de production en établissant deux entités dans deux autres pays différents pour bénéficier des avantages absolus existant tant au niveau des compétences et des spécialisations qu’en matière de coûts salariaux. Ce sont les évolutions favorables des coûts de transport qui ont favorisé ces décisions.

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1

Cette fragmentation a pris différentes appellations dans la littérature économique: désintégration internationale de la production (Feenstra 1998), "saucissonnage" de la chaîne de production (Krugman 1995), partage mondial de la production (Yeats, 2001), intégration internationale de la production (CNUCED, 1993), intégration verticale, spécialisation verticale (Hummels, Rapoport et Yi, 1998) fragmentation (Arndt et Kierzkowski, 2001), avènement des réseaux mondiaux de production (Ernst, Fagerberg et Hildrum, 2002).

2

Au lieu d’importer les minerais de fer du pays A dans le pays B, l’entreprise organise donc l’acheminement suivant. Le minerai de fer va d’abord dans le pays D pour subir une première transformation dans une filiale spécialisée dans la fabrication de demi-produits en fer. Ensuite ce demi-produit est acheminé vers un autre pays E qui est spécialisé dans la fabrication de produits semi-finis. Finalement ce produit semi-fini est transporté dans le pays B qui réalise la dernière mise en forme du produit au client dans le pays C.

Par rapport à la situation des années 70 il y a toujours le même type de vente de produit entre B et C. Néanmoins le commerce international a augmenté sensiblement par les ventes subséquentes entre D et E et entre E et B. Ces deux opérations internationales non seulement s’ajoutent au commerce international, mais se caractérisent par deux aspects particuliers:

- ce commerce porte sur des biens intermédiaires; - il est réalisé entre des entreprises affiliées. "Du fait de l’expansion simultanée des activités des entreprises transnationales et du commerce des biens intermédiaires, on peut faire l’hypothèse que le second phénomène est entraîné par le premier. On peut aussi supposer que la part croissante des biens intermédiaires dans le commerce mondial est due pour beaucoup à une augmentation des échanges internes aux entreprises multinationales" (Milberg 2004, 55).

C’est cette double mutation qui caractérise le processus de globalisation et qui explique en très grande partie la croissance plus rapide du commerce international par rapport à la production mondiale. En effet – sans production supplémentaire par rapport aux années 70 – notre exemple a montré que le commerce international a connu au total quatre mouvements d’exportation et d’importation, contre seulement deux auparavant. Toutes choses étant égales par ailleurs, le commerce

international a ainsi doublé à production égale.

Explosion des IDE

L’exemple précédent a déjà fourni un premier élément d’explication de l’expansion notable des IDE à partir des années 80. C’est encore – pour partie – la conséquence de la fragmentation du processus de production et de l’internalisation de certaines activités1. En effet l’entreprise sidérurgique établie dans le pays B contrôle ainsi des entreprises dans les pays A, D et E (alors que dans la première phase analysée il n’y a aucune relation d’IDE).

A ces deux aspects déjà indiqués – rachat d’une entité existante (dans le cas de l’entreprise du pays A) et création d’entités de production dans les pays B et C – s’ajoute fréquemment encore un autre aspect plus organisationnel et financier. Maintes entreprises multinationales établissent ainsi des entités spécifiques dans certains pays pour gérer le contrôle des multiples filiales et/ou pour gérer le financement au niveau du groupe. Ces entités prennent souvent la forme de holding ou autres entités financières non bancaires.

Ajoutée aux entités de production et de transformation, la création de ces entités financières vient gonfler les flux et stocks d’investissement sans contribuer

(significativement voire réellement) à la création de valeur ajoutée et sans créer des emplois et des apports dans les pays où sont établis ces entités "financières". Néanmoins, ces mises en place viennent augmenter les flux et les stocks d’IDE. En supposant ainsi la création de deux types de SPE dans les pays F et G l’on enregistre ainsi dans le cadre de notre exemple une croissance plus rapide des IDE par rapport au commerce international. Il ressort de cet exemple que ces évolutions plus rapides respectivement du commerce et des IDE relèvent pour une part d’une plus grande ouverture, mais pour la majeure partie de nouvelles modalités de division internationale du travail.

__________

1

Il y a bien sûr encore d’autres causes – parfois plus spécifiques et exceptionnelles comme le mouvement de privatisation en Europe de l’Est ou en Amérique latine.

3.2 L’évolution mondiale des IDE (flux et stocks)

Comme signalé plus haut, les IDE ont connu une véritable explosion au cours des deux dernières décennies, après une évolution moins prononcée auparavant. A ce facteur d’amplitude s’est ajouté au fil du temps une mutation des formes dominantes d’IDE. A ce sujet, trois vagues d’IDE différentes peuvent être schématiquement distinguées: 1950-1970: prédominance des IDE verticaux

Durant ces deux décennies, le phénomène des IDE prend fréquemment la forme d’internationalisation d’activités d’exploitation des ressources naturelles. Beaucoup de ces relations d’IDE sont dans le sens Nord-Sud.

1970-1980: prédominance des IDE horizontaux Au cours de cette décennie, les IDE dans les secteurs manufacturiers prédominent. La priorité est aux

investissements horizontaux visant le rapprochement des marchés et/ou le contournement de barrières

commerciales. Ces IDE se réalisent majoritairement entre pays industrialisés.

1990-2000: IDE horizontaux et verticaux

C’est la phase d’expansion forte des mouvements d’IDE. Les deux stratégies d’IDE connaissent des expansions de taille, mais dans un contexte changeant et avec de nouvelles ramifications. Les IDE verticaux ne prennent plus comme seul cible l’internalisation de l’exploitation de ressources naturelles. La baisse des coûts de transport et de communication – enclenchant l’émergence de la globalisation – facilite l’implantation dans plusieurs pays de différentes unités de production (intervenant dans le même processus de production). Cette fragmentation du processus de production est une dimension nouvelle des mouvements d’IDE. Du côté des IDE horizontaux les extensions se développent largement vers les branches de services dans le but de se rapprocher du client. Au-delà d’une incontestable expansion en volume des IDE, les années 90 sont surtout caractérisées par une profonde diversification des causes et motifs d’IDE.

Avant de procéder à l’analyse comparative internationale de certaines séries statistiques d’IDE, deux aspects particuliers de l’évolution récente des IDE sont encore examinés: les IDE dans les services et les types d’IDE (greenfield versus F & A)

IDE dans les services

Durant les années 50, l’IDE était concentré sur les secteurs primaire et manufacturé. Plus tard, les IDE furent motivés par l’accès aux marchés

("market-seeking") e.a. pour contourner des barrières au commerce international. Aujourd’hui les flux d’IDE concernent essentiellement les services et l’industrie. Ainsi les IDE dans les services représentent-ils actuellement 60% des stocks d’IDE, contre environ un quart seulement au début des années 70, quelque 40% en 1985, 50% en 1990. Tous les secteurs ont connu des évolutions très favorables des encours d’IDE: doublement entre 1990 et 2001 pour l’agriculture, triplement pour l’industrie et quintuplement pour les services. Par conséquent les parts relatives ont fortement changé avec des reculs pour l’industrie et l’agriculture. Celle de l’industrie retombant de 40% en 1990 à 35% en 2001 et celle de l’agriculture de 10 à 6%. L’essor des IDE dans certaines branches de services peut en partie être attribué à leur nature « non échangeable » (non tradable) – c.à.d. qu’ils ne peuvent être produits qu’au lieu de leur consommation. Pour d’autres services "transportables" des réglementations nationales conditionnent la distribution à un établissement fixe au sein de l’économie nationale. Alors que les IDE dans des branches de services plus traditionnelles (finance et négoce) ont progressé plus modestement, celles dans les nouveaux services dynamiques ont explosé entre 1990 et 2001:

- télécommunications et transports – multiplication par 15

- électricité – multiplication par 13

- services aux entreprises – multiplication par 9 Par conséquent, la part des encours IDE dans la finance et le négoce a reculé de 65% à 45%, alors que celle des nouveaux domaines est passé de 17% à 44% au cours de la période sus mentionnée.

- IDE greenfield versus F & A

Au plan mondial, les quinze dernières années sont marquées par une forte croissance de flux d’IDE. En outre, la composition a sensiblement changé. Ainsi les F & A occupent une part dominante dans les IDE (alors qu’elles étaient négligeables à la fin des années 80). Les IDE

greenfield ont certes continué à progresser en valeur

nominale, mais leur part s’est rétrécie au fil des années. Cette poussée des F & A s’explique entre autres par le processus de privatisation en cours dans beaucoup de pays. Mais ce "boom" soulève aussi une préoccupation: Une fois le processus de privatisation terminé, les flux d’IDE vont sans doute fléchir ce qui pourrait provoquer des problèmes de financement pour maints pays.