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3.7.1 Bilan thermodynamique hors équilibre

Une grande partie de l’énergie chimique dont les cellules ont besoin pour leur métabolisme est stockée sous la forme de nucléotides triphosphates tels que l’ATP. De nombreuses protéines ont la fa- culté d’hydrolyser ces nucléotides en leur forme diphosphate pour restituer cette énergie et l’utiliser. La myosine fait partie de ces protéines : l’énergie libérée par l’hydrolyse de l’ATP lui permet de se déplacer le long des filaments d’actine. C’est ce mécanisme qui est à l’origine de la force de traction générée dans les muscles. Par analogie, il semblerait raisonnable de penser qu’un moteur moléculaire semblable à la myosine est responsable de la force exercée contre la membrane par le cytosquelette d’actine dans les

3.7. Comment la polymérisation génère-t-elle une force ?

lamellipodes et les filopodes. Pourtant Loisel et al. [1999] ont montré que la présence de moteur molé- culaire n’était pas nécessaire pour générer des forces. La seule polymérisation de l’actine en présence de trois protéines régulatrices (Arp2/3, ADF/cofiline et protéine de cappe) permet à des Listeria de se propulser in vitro en reconstituant une comète.

La seule polymérisation de l’actine peut donc libérer assez d’énergie pour générer une force. De simples arguments thermodynamiques permettent de comprendre comment un système maintenu hors équilibre comme le cytosquelette d’actine peut fournir constamment de l’énergie utilisable pour générer une force contre une charge [Hill and Kirschner, 1982]. Considérons la réaction d’addition d’un monomère d’actine M au polymère en croissance P qui passe alors de n à n+1 sous-unités :

Pn + M  Pn+1 (3.3)

Le potentiel chimique d’un monomère en solution est :

µS= µ0+ kBTlnC (3.4)

Le potentiel chimique d’un monomère au sein du polymère µP est constant si l’on considère celui-ci

comme un solide incompressible. Avec cette hypothèse, la constante de dissociation Kd est égale à la

concentration de monomères en solution à l’équilibre. Il est donc d’usage de parler de concentration critique CCplutôt que de Kd. A l’équilibre, on écrit donc :

µP= µS= µ0+ kBTlnCC (3.5)

La comparaison des valeurs de C et CCpermet de prédire l’évolution du système (FIGURE3.14) :

Cas 1: C > CC. La différence d’énergie libre ∆G pour le réaction de passage d’un monomère

de la solution au polymère est :

∆G = −µS+ µP= −kBTln

C CC

!

< 0 (3.6)

Cela se traduit par l’élongation spontanée du filament et la libération d’énergie par le système. Cas 2: C= CC.∆G = 0 et la longueur moyenne du filament reste constante.

Cas 3: C < CC.∆G > 0 et le filament raccourcit spontanément, stockant ainsi de l’énergie.

L’énergie libre libérée par la polymérisation de l’actine peut donc en théorie être réutilisée par le système, en particulier sous forme de travail. Considérons le cas idéalisé d’un filament rigide ancré fixement à une extrémité et polymérisant contre une charge mobile exerçant sur lui une force F prise

Figure 3.14 – Trois situations possibles pour la polymérisation de filaments d’actine en solution, illustrant comment la polymérisation peut libérer ou stocker de l’énergie. Extrait de [Theriot, 2000].

de signe positif (FIGURE3.15). Cette charge serait la membrane cellulaire dans une situation réelle. L’in-

sertion d’un monomère de taille δ doit déplacer la charge d’une longueur δ et donc produire un travail W = −Fδ fourni par l’énergie libre libérée par la polymérisation. L’énergie libérée par la réaction en présence d’une force devient donc :

∆GF= ∆G + Fδ (3.7)

On conçoit intuitivement que l’application d’une force à un filament en croissance va modifier l’équilibre thermodynamique de la réaction donc la concentration critique qui devient CFC. La rela- tion (3.7) permet de prédire cet effet en écrivant que ∆GF= −kBTln

       C CFC       . On a alors : CFC= CCexp Fδ kBT ! (3.8)

L’application d’une force de compression sur le filament augmente la concentration critique, et la réaction dans le sens de la polymérisation devient moins favorisée. Si l’on augmente F, on atteint la

3.7. Comment la polymérisation génère-t-elle une force ?

Figure 3.15 – Polymérisation d’un filament sous charge et production de travail. Extrait de [Theriot, 2000].

force maximale qu’un filament peut supporter sans dépolymériser : la force d’arrêt ou stall force Fstall.

A cette valeur, la longueur moyenne du filament est constante car toute l’énergie libérée est transformée en travail donc∆GF= 0. D’après la relation (3.7) on a :

Fstall= kBT δ ln C CC ! (3.9)

Si F augmente au-delà de cette valeur,∆GFdevient positif : l’application de la charge provoque alors la

dépolymérisation du filament [Hill, 1981].

On peut aussi envisager de se placer dans des conditions telles que le filament dépolymérise (∆G > 0) et peut alors fournir un travail positif sur la paroi, c’est à dire tirer la charge vers la gauche

(FIGURE3.15). C’est vraisemblablement ce qui se passe lorsque les microtubules tirent les chromosomes

du plan équatorial de la cellule vers les pôles lors de la division cellulaire (cf. paragraphe 3.3.1).

La thermodynamique permet de donner le rendement maximal qui peut être tiré de la conversion d’énergie libre de polymérisation en travail mécanique : Fδ/∆G. Mais elle ne renseigne pas sur le mé- canisme qui produit cette conversion et ne donne donc aucune indication sur la vitesse de transduction réelle d’énergie chimique en énergie mécanique.

3.7.2 Aspects cinétiques

Si l’on considère la réaction (3.3) d’un point de vue cinétique, avec une constante cinétique d’ad- dition de monomères konet une constante cinétique de dissociation koff, on peut calculer la vitesse d’élon-

gation d’un filament dont l’extrémité en croissance est libre :

A l’équilibre, la vitesse d’élongation est nulle et on a :

CC=

koff

kon

(3.11)

L’équation (3.8) permet de pressentir l’effet de l’application d’une charge au filament, diminuant koff et

augmentant konmais ne permet pas de quantifier cet effet. Pour cela, il est nécessaire d’avoir recours à

des modèles mécanistiques.