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3.6

Biochimie de l’actine

Les mécanismes de génération de force par le cytosquelette sont dépendants de la capacité de celui- ci à polymériser et dépolymériser à façon dans des géométries différentes. Or, un polymère synthétique qu’on laisse évoluer dans des conditions similaires à celles du cytosquelette va tendre vers une situation d’équilibre. Pour le modifier, c’est à dire dépolymériser ou recommencer à polymériser, il est nécessaire de changer les conditions du milieu. L’échelle de temps d’un tel changement est beaucoup trop grande par rapport aux observations in vivo. Comment le cytosquelette est-il maintenu hors équilibre et comment peut-il évoluer aussi vite ? On détaille dans cette section les mécanismes biochimiques qui confèrent cette capacité au cytosquelette. On s’intéressera uniquement à la biochimie des filaments d’actine qui de par leur abondance, leur propriétés mécaniques intermédiaires et leur diversité de structures, sont les plus impliqués dans la production de force.

3.6.1 Les filaments d’actine sont polarisés

Les monomères d’actine sont polaires et s’assemblent toujours dans le même sens : on parle de bout barbé et de bout pointu des sous-unités. L’origine de cette dénomination provient des observations de filaments d’actine isolés de fibres musculaires mais encore complexés par des têtes de myosine qui s’orientent dans un sens précis sur le filament, le faisant ressembler à un empilement de pointes de flèches (FIGURE3.12). Les constantes cinétiques d’association et de dissociation d’un monomère sont plus

grandes au bout barbé qu’au bout pointu. En conséquence, les deux extrémités d’un filament d’actine ont des propriétés cinétiques et thermodynamiques différentes.

Figure 3.12 – Filament d’actine décoré de têtes de myosine, sur lequel on a repéré les structures en forme de pointe de flèche. Extrait de [Lodish et al., 2003].

Chaque monomère fixe une molécule d’ATP qui s’hydrolyse en ADP quelques temps après son incorporation dans un filament. Cette hydrolyse n’entraîne aucun changement de conformation majeur comme ceux qui permettent aux moteurs moléculaires de produire un travail, mais modifie les propriétés

thermodynamiques du monomère. Ainsi, la dépolymérisation est plus favorisée pour un monomère ADP que pour un monomère ATP. L’hydrolyse de l’ATP introduit une différence supplémentaire entre les extrémités barbée du filament qui a plus de chance d’être ATP et l’extrémité pointue qui a plus de chance d’être ADP. La façon dont l’ATP est hydrolysé dans le filament peut modifier la façon dont le filament s’allonge [Ranjith et al., 2010].

Wegner [1976] a montré que dans une certaine gamme de concentration en actine monomèrique, les filaments peuvent polymériser par leur extrémité barbée en même temps qu’ils dépolymérisent par leur extrémité pointue. Ce phénomène a été baptisé treadmilling ou tapis roulant, car les monomères d’actine qui dépolymérisent à l’extrémité pointue deviennent à nouveau disponibles pour polymériser à l’autre extrémité. Ainsi, dans le lamellipode, l’extrémité barbée par laquelle les filaments s’allonge est dirigée contre la membrane alors que l’extrémité pointue par laquelle ils dépolymérisent est située plus à l’intérieur de la cellule.

Cette capacité de l’actine à dépolymériser spontanément après un certain temps permet à la cellule de conserver une concentration élevée de monomères en solution, contribuant ainsi à maintenir le système loin de l’équilibre. Cependant, le treadmilling seul ne suffit pas à expliquer les vitesses de polymérisa- tion élevées de l’actine observées in vivo [Pantaloni et al., 2001]. L’action des protéines régulatrices est primordiale pour atteindre ces vitesses.

3.6.2 Les protéines régulatrices

Les nombreuses protéines qui peuvent se lier au cytosquelette d’actine lui confèrent sa grande plasticité structurelle mais lui permettent aussi de se maintenir hors équilibre. La fonction des principales protéines régulatrices que l’on trouve dans les lamellipodes et les filopodes des vertébrés est schématisée

FIGURE3.13 :

(a) Pour exercer une force vers l’avant, il est nécessaire dans ces deux structures qu’un grand nombre de filaments en croissance soient localisés près de la membrane cellulaire qui doit se déplacer. Des protéines de couplage telles que N-WASP ou VASP maintiennent les filaments près de la membrane.

(1b) et (2b)Le complexe Arp2/3, activé par les protéines membranaires de la famille WASP ou par ActA, est capable de nucléer de nouveaux filaments par branchement de filaments préexistants. Dans le lamellipode, ces étapes de nucléation-croissance se succèdent un grand nombre de fois pour créer un réseau arborescent qualifié de "dendritique". Dans le filopode ces étapes n’ont lieu qu’une seule fois.

3.6. Biochimie de l’actine

(1c) et (2c)La génération de force par la polymérisation de filaments d’actine nécessite un point d’ancrage dans le réseau qui les supporte, sinon ils reculeraient. Dans le lamellipode, les bran- chements par Arp2/3 pourraient jouer ce rôle alors que dans le filopode la fascine, une protéine réticulant les filaments parallèlement entre eux, maintient une forte cohésion du faisceau d’actine. Ces deux protéines ont un rôle déterminant sur les propriétés mécaniques des filaments d’actine.

Figure 3.13 – Les principales protéines régulatrices du cytosquelette d’actine et leur fonction dans (1) le lamellipode et (2) le filopode. Extrait de [Borisy and Svitkina, 2000].

(1d) et (2d)Les protéines de cappe couvrent l’extrémité barbée des filaments devenus inutiles à la génération de force pour les empêcher de polymériser. La gelsoline possède la capacité de couper un filament en deux fragments et de capper la nouvelle extrémité barbée ainsi créée. L’action de ces deux types de protéines multiplie le nombre d’extrémités pointues libres, ce qui d’une

part accélère la dépolymérisation et d’autre part concentre les monomères libres sur un faible nombre de filaments en croissance dont la vitesse d’allongement se trouve augmentée [Carlier and Pantaloni, 1997]. Ce mécanisme a été appelé funneling.

(e)La propriété intrinsèque de treadmilling est accélérée par l’action de plusieurs protéines. La profiline, activée par WASP, VASP ou la formine, augmente la vitesse de polymérisation au bout barbé alors que l’ADF/cofiline augmente la vitesse de dépolymérisation au bout pointu. Cepen- dant, la profiline seule a des propriétés de séquestration : elle se lie aux monomères d’actine et les empêche de s’ajouter à une extrémité en croissance, ce qui a pour effet de maintenir une grande concentration de monomères disponibles pour un éventuel futur événement de génération de force.

La description précédente est forcément simplifiée puisque plus de 40 protéines ont été identi- fiées comme ayant un rôle régulateur des propriétés du cytosquelette d’actine. En outre, il est souvent réducteur d’associer une fonction précise à une protéine, qui a souvent un rôle physiologique complexe pouvant évoluer selon son couplage avec d’autre protéines.

Les propriétés biochimiques de l’actine permettent de comprendre comment, selon la disponibilité des protéines régulatrices, un processus basé sur l’autoorganisation peut d’une part générer des structures différentes à partir du même ensemble de monomères de départ et d’autre part rester loin de l’équilibre. On a mis en lumière les deux rôles principaux des protéines régulatrices dans la dynamique du cytos- quelette : (i) accélérer la cinétique de polymérisation et dépolymérisation pour générer des forces plus rapidement ; (ii) rigidifier la structure pour exercer des forces plus grandes. En revanche, la biochimie ne permet pas d’expliquer l’origine physique de la génération de force.