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Comment doivent être rémunérés les traducteurs ?

La rémunération de la traduction est le point de contention majeur entre les traducteurs et les éditeurs de traduction. Pour les éditeurs, il s'agit d'une dépense excessive qui se rajoute à l’acquisition des droits de l’œuvre. Pour les traducteurs, il s'agit d'une rémunération souvent insuffisante, encore diminuée par la révolution numérique, qui ne leur permet pas de vivre de leur métier. La rémunération des traducteurs est de plus rendue confuse par la multiplicité des pratiques et les manières dont elles entrent en collision ; ainsi, une rémunération au feuillet qui apparaît en premier lieu correcte peut se révéler grandement insuffisante selon le type de feuillet dont il est question57.

Il existe deux principales possibilités concernant les formalités de la rémunération :

– Le forfait : cette option est parfois préférée dans le cas des traductions ayant un potentiel de vente bas. La rémunération du traducteur est alors un forfait payé en une ou plusieurs fois, et celui-ci ne peut pas recevoir de droits d'auteur. Souvient bien plus favorable à l'éditeur, le forfait est mal apprécié de la part des traducteurs qui y voient une réduction de leur profession à un service plutôt qu'à un travail d'auteur58. La généralisation de la

56 Discussion avec Dominique BORDES, éditeur aux éditions Monsieur Toussaint Louverture. 57 Code des Usages pour la traduction d'une œuvre de littérature générale, accord ATLF/SNE, 2012. 58 Entretien avec Kirsi KINNUNEN, traductrice et interprète professionnelle du finlandais.

pratique du forfait à un nombre de plus en plus grand de traductions, y compris par de grands éditeurs, est combattue par les traducteurs59. Le forfait devrait être évité, sauf cas

d'exception lorsqu'une rémunération en droits d'auteur est financièrement inenvisageable à la fois pour l'éditeur et le traducteur, ou pour des ouvrages à très faible tirage60.

– Les droits d'auteur précédés d'une avance sur droits : il s'agit de l'option favorisée par les traducteurs et les organismes littéraires, y compris le CNL61. Elle est souvent plus

favorable au traducteur à la du point de vue financier et de la reconnaissance du travail de traduction. Le traducteur est alors payé en droits d'auteur, avec une avance sur droit telle que celle offerte à un auteur. Dans l'immense majorité des cas, l'avance sur droits sera le seul paiement versé au traducteur, sauf en cas d’œuvre à grand succès commercial62.

La rémunération elle-même est évaluée :

– Au feuillet « classique » de 1500 signes, y compris blancs et retours à la ligne, en voie de disparition face au feuillet numérique63.

– Au feuillet numérique de 1500 signes, discuté plus haut. Rappelons que celui-ci est environ 10 à 30% plus long que le feuillet « classique ».

– À la page, option parfois préférée pour les textes à composante graphique comme la bande dessinée ou les albums. Nous en discuterons plus en détail dans la partie concernant la traduction de la bande dessinée.

– Au mot : cette méthode n'entre quasiment jamais en jeu dans la traduction littéraire. Elle est le plus souvent réservée à la traduction d'articles de presse et scientifiques et n'est

59 « Ne pas vouloir donner de droits d'auteur, ça aussi, c'est manquer de respect au métier de la traduction et a la personnalité du traducteur. » Entretien avec Kirsi KINNUNEN, traductrice et interprète professionnelle du finlandais.

60 Pierre ASSOULINE, La condition du traducteur, CNL, 2011. 61 Centre National du Livre.

62 Entretien avec Kirsi KINNUNEN, traductrice et interprète professionnelle du finlandais, et discussion avec Dominique BORDES, éditeur aux éditions Monsieur Toussaint Louverture.

mentionnée ici que par souci d'exhaustivité.

Quelle que soit l'option choisie pour la rémunération du traducteur, le plus important consiste à ce que la rémunération finale convienne à l'éditeur comme au traducteur pour le travail effectué, plutôt qu'à des critères artificiels sur lesquels les éditeurs joueraient64. Ainsi, il est

parfaitement envisageable, par exemple, de calculer une rémunération à la page, puis de la convertir en calcul au feuillet – une opération fréquemment réalisée dans le cas de la bande dessinée. Si le prix au feuillet ne semble pas correspondre à la rémunération finale attendue, il pourra ensuite être modifié.

Quelle que soit la méthode choisie, la rémunération va se négocier autour de plusieurs facteurs :

– Temps nécessaire estimé pour la traduction : plus une traduction demande de temps au traducteur, soit parce qu'elle est plus longue (ce qui fera enfler de façon naturelle le prix au feuillet), soit parce qu'elle est plus complexe (ce qui doit être étudié au cas par cas), mieux elle devra être rémunérée.

– Langue traduite : la rémunération offerte dépend de la disponibilité des traducteurs de la langue ; moins une langue dispose de traducteurs, plus son prix sera élevé. Cela n'a pas bien sûr à être une finalité mais la traduction d'une langue comme l'anglais se retrouvera fréquemment moins bien rémunérée, par exemple, que le japonais65. Il s'agit d'une pratique

exacerbée par les grands groupes de l'édition qui aiment à considérer les traducteurs comme interchangeables pour faire baisser les prix66.

– Demandes d'aide à la traduction à des organismes : un traducteur est en droit de s'attendre à une meilleure rémunération si son éditeur reçoit un soutien financier, et, de fait, la

64 Entretien avec Gwen CATALÀ, éditeur aux éditions Gwen Català. 65 Rémunération des traducteurs littéraires, enquête ATLF.

66 Entretiens avec Jean-Charles KHALIFAH, maître de conférence en linguistique anglaise à l'université de Poitiers et traducteur professionnel de l'anglais, et Kirsi KINNUNEN, traductrice et interprète professionnelle du

majorité des aides publiques à la traduction et en particulier celles offertes par le CNL demandent de l'éditeur de fournir une rémunération au feuillet minimale. Dans le cas du CNL, elle est de 21€ par feuillet. Pour cette raison, il est toujours préférable de choisir une rémunération au feuillet dans le cas des œuvres en texte brut. Attention par contre à bien faire la différence entre feuillet classique et feuillet numérique, comme mentionné plus haut.

– Compétences du traducteur : un traducteur reconnu, qui possède de l'expérience dans la traduction d'un auteur donné, ou qui est spécialisé dans un genre ou un type d’œuvre est en droit d'attendre une meilleure rémunération pour son travail qu'un traducteur débutant. Cela ne doit pas vouloir dire réduire la rémunération des traducteurs moins reconnus ; les planchers restent les mêmes dans tous les cas67.

– Finances de l'éditeur : la rémunération de la traduction sera toujours, en fin de compte, dépendante de l'argent que peut avancer l'éditeur au traducteur pour la réalisation de son travail. Ceci ne veut pas dire que les plus grandes maisons d'édition sont les meilleures payeuses : les petites maisons d'édition, qui ont intérêt à tisser des liens avec les traducteurs et à voir leur milieu prospérer, sont fréquemment plus aptes à la négociation, mais sont souvent moins au fait des attentes des traducteurs et des bonnes pratiques de la traduction68.

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