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B. Impact de la génomique sur la notion de facteur de virulence

2. Comment définir un facteur de virulence ?

Pour définir quels gènes sont des facteurs de virulence, on se base sur une version moléculaire du postulat de Koch (Falkow, 1988; Pallen & Wren, 2007) :

· Un gène de virulence doit être présent chez les souches virulentes, et absent des souches non-virulentes.

· L'inactivation d'un gène de virulence doit provoquer l'atténuation de la pathologie chez l'hôte.

Génomique et facteurs de virulence

37 Cependant, avec l'augmentation du nombre et de la variété des génomes disponibles, plusieurs gènes de « virulence » ont été découverts dans des bactéries commensales ou symbiotiques (Hentschel et

al., 2000; Wassenaar & Gaastra, 2001; Pallen & Wren, 2007). Les T3SS et leurs effecteurs se retrouvent

par exemple dans le symbionte de légumineuses Rhizobium sp. (Kambara et al., 2009); les souches commensales d'E. coli expriment des adhésines; enfin, Vibrio fischeri possède des toxines et est capable d'induire l'apoptose des cellules de son hôte (Ruby et al., 2005; Foster & McFall-Ngai, 1998). Les gènes de virulence, ceux qui permettent l'établissement d'une symbiose et ceux qui permettent une interaction commensale avec un hôte semblent donc se confondre. En effet, dans ces trois cas, le but est d'interagir avec un hôte et implique des mécanismes communs (Hentschel et al., 2000).

Certains facteurs de virulence, comme les toxines cholérique, diphtérique, sont suffisants à causer une pathologie et correspondent au postulat moléculaire de Koch. Cependant, une grande majorité de « facteurs de virulence » sont en réalité des facteurs d'interaction avec l'hôte (adhésines, systèmes de sécrétion, modulation du système immunitaire), communs aux bactéries pathogènes, symbiotiques et commensales. La virulence de nombreuses bactéries repose ainsi sur une combinaison de facteurs d'interaction avec l'hôte. Le tropisme envers certains tissus et la susceptibilité de l'hôte jouent également un rôle dans l'établissement de la pathologie (Hentschel et al., 2000). Par exemple, les souches uropathogènes d'E. coli sont semblables génétiquement aux souches commensales, mais sécrètent une adhésine spécifique et un sidérophore qui permet leur survie dans le milieu urinaire, ce qui entraine une infection (Brzuszkiewicz et al., 2006). De la même façon, S. aureus est en règle générale un commensal de la peau, et plusieurs facteurs (rupture de la barrière cutanée, réponse immunitaire et flore cutanée de l'hôte) vont jouer sur l'établissement d'une infection (Johannessen et

al., 2012).

Conclusion

Les analyses de comparaison génomique ont donc mont ré la redondance des facteurs de virulence entre les bactéries pathogènes de vertébrés, d’invertébrés et de végétaux . De plus, la plupart des facteurs dits « de virulence » se retrouvent aussi bien dans des bactéries pathogènes que des bactéries commensales ou symbiotiques. Ainsi, la génomique a mis en évidence des mécanismes d’interaction communs à toutes les bactéries associées à un hôte, et a obligé à redéfinir la notion de « facteur de virulence ».

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Conclusion : la génomique comme science.

En 20 ans, les analyses génomiques ont transformé notre vision du génome bactérien.

Elles ont tout d’abord montré que le génome n’est pas qu’une somme de gènes, mais que l’architecture a également son importance. Ainsi, les gènes ne sont pas disposés au hasard sur le chromosome bactérien, et leur répartition est influencée par le processus de réplication. Les gènes ont de plus tendance à s’organiser en clusters fonctionnels facilement mobilisables lors des évènements de transfert horizontal. L’analyse des génomes a introduit l’idée que l’objet de la sélection naturelle n’était pas un seul gène, mais les clusters fonctionnels (Lawrence & Roth, 1996) voire le génome entier (Heng, 2009).

Alors que les génomes bactériens, avec leur reproduction non-sexuée, étaient considérés comme moins variables que ceux des eucaryotes, la science génomique a mis en évidence l’importance des transferts horizontaux entre bactéries ainsi que l’énorme plasticité de leurs génomes (Gogarten et al., 2002; Levin & Bergstrom, 2000). La notion d’espèce bactérienne est ainsi fortement débattue. Deux visions s’affrontent donc : d’une part, une vision de l’espèce bactérienne comme un cluster de populations incapable de se recombiner avec les autres clusters, comme pour les espèces à reproduction sexuée (Cohan, 2002) ; d’autre part, une vision de « réseaux bactérien », dans lesquels l’incidence du transfert horizontal est trop forte pour pouvoir diviser clairement les populations bactériennes en espèces (Doolittle & Papke, 2006).

Le transfert horizontal de gènes est le moteur d’une évolution bactérienne en « bonds quantiques »: l’acquisition d’ilots génomiques permet en effet une adaptation immédiate à une niche écologique (Groisman & Ochman, 1996). Dans leur nouvelle niche écologique, les génomes subissent des variations de pression de sélection qui mènent à une réduction de leur taille (Giovannoni et al., 2014). La découverte récente de transferts horizontaux entre bactéries et eucaryotes, ou entre eucaryotes (Dunning Hotopp et al., 2007; Robinson et al., 2013; Tucker, 2013) ainsi que de génomes réduits chez les eucaryotes (Kelley et al., 2014; Wolf & Koonin, 2013) montre que ces mécanismes d’évolution génomique ne se limitent pas aux bactéries, mais sont en réalité universels.

L’importance du transfert horizontal dans l’évolution bactérienne explique la redondance des facteurs de virulence : un même gène peut, en se propageant par transfert horizontal, être présent dans plusieurs bactéries sans que sa séquence ne change. De plus, les études de pathogénomique ont montré que les gènes de virulence étaient pour la plupart des facteurs d’interaction avec un hôte, également présents dans les bactéries pathogènes et commensales (Pallen & Wren, 2007).

39 Ainsi, la mise en place d’une pathologie fait intervenir une somme de facteurs d’interactions bactériens, et dépend également de la réaction de l’hôte à l’infection (Hentschel et al., 2000).

Dans cette thèse, les notions développées dans cette introduction ont été utilisées pour étudier l’évolution du génome ainsi que la mise en place de la virulence chez un genre bactérien pathogène d’insecte, Xenorhabdus.

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Le modèle : les bactéries entomopathogènes du genre

Le modèle Xenorhabdus

41 Le modèle étudié est le genre bactérien Xenorhabdus. Ces bactéries sont des symbiontes intestinaux des nématodes du genre Steinernema (Thomas & Poinar, 1979; Poinar & Thomas, 1966). Les couples

Steinernema-Xenorhabdus sont pathogènes pour un large spectre d’insectes (Gaugler, 2002; Kaya &

Gaugler, 1993).

I- La symbiose némato-bactérienne Steinernema-Xenorhabdus (Figure 9)