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Deux mécanismes permettent l’acquisition de nouveaux gènes : la duplication d’un gène, qui peut être suivie par la divergence de l’une des copies, et le transfert horizontal de gènes. Dans un génome, deux gènes homologues (ayant un ancêtre commun) sont dits « paralogues » s’ils sont issus d’une duplication, et « xénologues » si l’un des deux est issu d’un transfert horizontal (Gevers et al., 2004).

1. Acquisition de fonctions par duplication

Les duplications de gènes sont fréquentes dans les génomes bactériens, mais les copies en surnombre sont en général rapidement perdues, sauf si leur présence apporte un avantage évolutif. C’est le cas si l’un des gènes paralogues diverge, apportant une nouvelle fonction à la bactérie. En effet, la fonction de base étant assurée par l’une de deux copies, la pression de sélection est relevée sur la seconde copie, qui peut muter (Gevers et al., 2004; Hooper & Berg, 2003). Ce phénomène crée des familles de gènes aux fonctions proches. Par exemple, la famille des transporteurs ABC (ATP-binding cassette) comprend des paralogues possédant des spécificités pour différents substrats (Zheng et al., 2013). Dans le cas des enzymes SDR (short-chain deshydrogenases), on retrouve des paralogues communs à plusieurs espèces bactériennes et impliqués dans le métabolisme de base, et des paralogues présents uniquement chez les entérobactéries, qui leur ont permis de s’adapter à l’intestin grâce à des fonctions plus spécifiques comme la synthèse d’exopolysaccharides ou la dégradation de la bile (Serres et al., 2009). Certains paralogues, dits « écoparalogues », sont spécifiquement adaptés à des conditions environnementales données, comme une forte salinité (Sanchez-Perez et al., 2008; Bratlie et al., 2010).

2. Acquisition de fonctions par transfert horizontal

La duplication suivie de la spécialisation d’un gène est un processus évolutif graduel. Au contraire, l’intégration d’un MGE, organisé en clusters autonomes, permet à une bactérie d’acquérir en une seule fois des fonctions directement utilisables. Par exemple, des facteurs de virulence « offensifs », qui suffisent à augmenter fortement la pathogénicité des bactéries (adhésines, toxines, systèmes de sécrétion de type III) sont plus souvent contenus dans les MGE que dans le reste du génome (Ho Sui et

al., 2009). Chez les souches entéropathogènes d’E. coli, un seul PAI, appelé LEE (locus of entrerocyte attachement) et codant une adhésine, un système de sécrétion de type III ainsi que ses effecteurs,

permet l’attachement et la destruction de la barrière intestinale (Gal-Mor & Finlay, 2006). Chez les souches uropathogènes, des adhésines et des hémolysines sont également codées par les PAI (Hacker

et al., 2004). Les MGE permettent donc une « évolution en bonds quantiques » (Groisman & Ochman,

1996). Les transferts horizontaux entre bactéries sont ainsi la principale force évolutive chez les bactéries, devant la création de nouveaux gènes par duplication suivie de divergence (Ochman et al., 2000; Lerat et al., 2005).

Evolution des génomes bactériens

23 De nombreuses bactéries ont pu coloniser de nouveaux environnements grâce au gain d’ilots génomiques. Elles peuvent par exemple devenir pathogènes (Raskin et al., 2006). Ainsi, les bactéries du genre Shigella ont un contenu génomique très proche de celui des E. coli commensales de l’intestin. L’acquisition d’un plasmide de virulence codant des gènes nécessaires à l’établissement d’un mode de vie intracellulaire, et de plusieurs PAI codant des toxines, des protéases, et des facteurs permettant l’acquisition du fer et la modification du lipopolysaccharide (LPS), a donné naissance aux Shigella pathogènes, qui formeraient en réalité une espèce au sein du genre Escherichia (Jin et al., 2002; Prosseda et al., 2012; Touchon et al., 2009).

Chez la bactérie Staphylococcus aureus, un pathogène opportuniste responsable d’infections nosocomiales, la virulence est liée à la présence de nombreux MGE. On y retrouve plusieurs PAI contenant des gènes de toxines (comme seb et sec, qui codent les enterotoxines B et C), d’antigènes (dont le superantigène Tst, responsable du syndrome de choc toxique) et de nombreux gènes de résistance aux antibiotiques. La résistance aux antibiotiques est également assurée par des gènes appartenant à des plasmides non conjugatifs et des transposons. Enfin, les prophages, en plus de coder des toxines de virulence majeures (comme l’entérotoxine A ou la toxine exfoliative A, (Lindsay & Holden, 2004; Gill et al., 2005), jouent un rôle important dans la mobilisation et la dissémination des facteurs de virulence (Gill et al., 2005; Ubeda et al., 2005). Au sein du genre Staphylococcus, on trouve également S. epidermidis, un pathogène moins virulent. Cependant, au sein de cette espèce, on trouve certaines souches ayant acquis par transfert horizontal des toxines qui augmentent leur virulence, ce qui révèle une évolution vers un pathogène plus agressif en cours (Gill et al., 2005).

L’acquisition de gènes permet également l’adaptation de souches bactériennes à des niches environnementales spécifiques. Par exemple, les actinomycètes du genre Rhodococcus sont ubiquitaires dans l’environnement. Une seule espèce, R. equi, est un pathogène intracellulaire opportuniste, qui se retrouve aussi dans le fumier et l’intestin des équins, bovins et porcins. Cette espèce a acquis lors d’un évènement de transfert horizontal un plasmide de virulence et deux PAI, codant un antigène de surface (VapA) et des adhésines nécessaires à l’invasion et à la survie intracellulaire au sein des macrophages de l’hôte. En revanche, les espèces environnementales, telles que R. jostii, contiennent des gènes de voies métaboliques acquis principalement lors d’évènements de duplication-divergence, mais également par HGT, qui leur permettent d’utiliser une grande variété de sucres, d’être prototrophes pour les vitamines ou de dégrader des composés aromatiques (Letek et

al., 2010; McLeod et al., 2006). Différentes populations bactériennes ont donc probablement chacune

acquis par transfert horizontal des gènes venus de bactéries fréquentant la même niche écologique qu’elles, leur permettant de s’adapter à cette niche et entrainant une divergence des espèces au sein du genre Rhodococcus.

Encadré : les associations bactérie-hôte

1. Association du point de vue de l’hôte

a. Effet de l’association sur l’hôte

Les bactéries associées à un hôte peuvent avoir un effet positif, négatif ou neutre sur celui-ci. Le terme « symbionte », au sens large, a été proposé pour désigner toute bactérie associée à un hôte, d'autant plus que, le but étant dans les deux cas d'infecter un hôte, les mécanismes d'établissement d'une symbiose et de pathogénicité sont similaires (Hentschel et al., 2000). Cependant, le terme de « symbionte » est couramment employé pour désigner une interaction mutualiste, c’est-à-dire bénéfique pour les deux partenaires (Dale & Moran, 2006; Hentschel et al., 2000; Ochman & Moran, 2001). A l’opposé, une bactérie pathogène a un effet négatif sur l’hôte, et une bactérie commensale, un effet neutre. Chez les insectes, les manipulateurs reproductifs tels que Wolbachia sp. sont un cas particulier de symbiontes, transmis par la mère et qui se propagent en introduisant un biais reproductif envers les femelles (Dale & Moran 2006; Moran et al., 2008; Sicard et al., 2014).

b. Nécessité de l’association pour l’hôte

Les interactions mutualistes avec une bactérie symbiotique peuvent se révéler nécessaires, ou non, pour la survie et la reproduction de l’hôte :

· Les symbiontes facultatifs ne sont pas requis pour la vie normale de l’hôte, mais augmentent la fitness des hôtes porteurs. Par exemple, l’association entre le poulpe Euprymna scolopes et la bactérie Vibrio fischeri permet au poulpe d’émettre de la lumière et d’éviter les prédateurs, mais n’est pas nécessaire à sa survie (Claes & Dunlap, 2000). Chez les insectes, Hamiltonella defensa augmente la survie de la mouche Bemisia tabaci lors de stress nutritionnels (Su et al., 2014) et Regiella insecticola protège le puceron Acyrthosiphon pisum contre les infections fongiques (Scarborough et al., 2005). Les symbiontes facultatifs peuvent être transmis maternellement ou envahir un hôte naïf.

· Les symbiontes obligatoires sont eux requis pour le développement normal de l’hôte. Ils sont transmis maternellement et incapables d’envahir un hôte naïf : ils dépendent entièrement de mécanismes mis en place par l’hôte pour se transmettre et coévoluent avec lui. Cette catégorie comprend notamment Buchnera aphidicola, qui fournit des acides aminés à plusieurs espèces de pucerons, ou les bactéries pathogènes d’insectes Photorhabdus et Xenorhabdus qui tuent et digèrent des insectes pour fournir des nutriments à leur hôte nématode (Goodrich-Blair & Clarke, 2007).

2. Association du point de vue de la bactérie

Du point de vue de la bactérie symbiotique (au sens large), l’association avec un hôte peut être obligatoire ou facultative :

· Les symbiontes facultatifs (Brucella sp., R. equi, Salmonella sp., Mycoplasma tuberculosis, Rhizobium…) sont également capables de survivre hors de leur hôte.

· Les symbiontes obligatoires (Rickettsia sp., Coxiella burnetii, Mycoplasma leprae, Wolbachia sp. , B. aphidicola) ne sont capables de survivre que dans le cytoplasme des cellules de l’hôte.

Evolution des génomes bactériens

24 De la même façon, Streptococcus thermophilus, une bactérie lactique utilisée dans la fabrication du yogourt, s’est adaptée à une niche écologique différente des autres espèces de Streptococcus, qui sont pathogènes. S. themophilus contient ainsi un ilot génomique ayant permis son adaptation au lait, composé de gènes issus d’autres bactéries lactiques (Bolotin et al., 2004).