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comme barrières à l’innovation

Dans le document Organisations & Territoires (Page 73-77)

Bien que le concept de parc surélevé incarne bel et bien une stratégie d’adaptation aux impacts des chan- gements climatiques, force est de constater que le caractère innovant que présentait le concept d’aména- gement de parc éponge s’est, en cours de route,

effrité. Initialement structuré et modelé en fonction de la East River, le concept de parc éponge aurait per- mis de composer avec l’eau en cas de phénomènes météorologiques sévères, plutôt que de la combattre. En favorisant l’infiltration naturelle de l’eau, cette stratégie aurait permis une atténuation du risque, à défaut de lui résister. Cette zone tampon aurait con- tribué à créer une interface entre l’environnement bâti dense et le milieu aquatique, et à repenser les rapports entre la ville et l’eau. La flexibilité et l’adaptabilité du parc étaient en soi uniques.

À l’inverse, le concept d’aménagement retenu se veut la réinterprétation d’une stratégie d’adaptation somme toute plus traditionnelle. L’eau n’est plus autorisée à pénétrer périodiquement dans le parc et ce dernier retrouve ainsi une fonction plus usuelle. En clair, ce concept de parc plus traditionnel, en servant de rempart contre les inondations, fera front à l’eau14

et évacuera donc la dimension performative du paysage, qui permettait d’atténuer les inondations. Contrairement au discours d’accommodation de l’eau, le retour en force de la rhétorique de protection au sein du nouveau concept d’aménagement ne contribue en effet qu’au transfert du risque dans l’espace et à l’augmentation de la vulnérabilité des secteurs non protégés adjacents.

Par ailleurs, le caractère innovant du processus colla- boratif de cocréation du projet est également escamoté. D’un point de vue procédural, on assiste au retour d’une démarche et d’une structure décision- nelle typiquement descendante (top-down). Contraire- ment à l’approche préconisée par le concours Rebuild by Design, cette démarche écarte la prise en compte des idées des parties prenantes, au profit de l’imposition d’une vision d’aménagement défendue par l’adminis- tration municipale en place.

Les groupes communautaires impliqués dans cette démarche se sont à ce titre montrés particulièrement contrariés de ce revirement de situation. Une élue du East Village souligne que « le travail consciencieux de la communauté depuis quatre ans a complètement été mis de côté. Le nouveau plan représente un abandon radical de tout ce que la Ville avait discuté » (Hanania, 2019, trad. libre). En somme, les contraintes tech- niques et financières ont contribué à tempérer l’aspect novateur qu’incarnait l’idée de parc éponge, mais, plus encore, l’aspect innovant et audacieux du concours de design et de la planification concertée qui en est à l’origine.

Conclusion

Le concours Rebuild by Design constitue un modèle innovant pour les villes menacées d’inondation qui nourrissent l’ambition de reconfigurer durablement leur front d’eau. Brisant le moule des concours de design traditionnels, le concours, lancé à New York en 2013 pour rendre les berges résilientes aux inon- dations, s’est éloigné de l’approche concurrentielle des compétitions et des étapes de réalisation tradi- tionnelles habituellement préconisées. Il a favorisé la mise sur pied d’une démarche collaborative élar- gie moins définie par la présence de concurrents que par un réseau de participants, en plaçant les communautés au cœur du processus de conception et en introduisant une large phase de recherche pré- liminaire multidisciplinaire en amont de la produc- tion de concepts et de scénarios d’aménagement. De plus, la structure organisationnelle flexible du concours, extérieure aux balises de l’héritage bu- reaucratique fédéral et aux modes de financement traditionnels, a défié les structures formelles du pouvoir en brisant les silos institutionnels :

Rebuild by Design ne visait pas simplement les meilleurs designs – ni la réalisation de ces de- signs. Il visait à changer la culture, l’approche. Dès le départ, il était engagé à morceler les silos afin de changer la façon dont les gouverne- ments perçoivent la résilience côtière (Ovink et Boeijenga, 2018, p. 13, trad. libre).

Véritable levier de transformation, le concours a permis de réinventer la manière de trouver des solutions aux problèmes climatiques actuels et de faire une évaluation prospective des risques afin de rendre les villes côtières plus résilientes aux effets des changements climatiques. Les propositions visionnaires et innovantes issues du concours ont posé les jalons d’une réflexion renouvelée sur la ré- silience côtière des villes. À l’interface de la science et de la politique, du monde réel et de l’imaginaire, Rebuild by Design avait pour ambition de repousser les limites des efforts habituellement déployés en matière de reconstruction, pour ainsi ouvrir un monde de possibilités grâce à la collaboration d’un large panel d’acteurs et à l’exploitation de la créati- vité des professionnels.

Au final, étant donné les récents changements ef- fectués au scénario d’aménagement initial, ce modèle de compétition expérimental était-il trop ambitieux, voire utopique? Un rapport d’évaluation

réalisé par le Urban Institute (2014)15 déclarait que,

malgré les bonnes intentions du concours, ce dernier demeurait, selon certains experts, plus ambitieux que réellement opérationnel. L’absence de balises, d’objectifs et de lignes directrices clairs aurait inévitablement mené à certains problèmes lors de la mise en œuvre des projets retenus par le concours, plus particulièrement celui visant la transformation du East River Park en parc éponge, et ce, nonobstant le fait que les responsables du concours aient veillé à la faisabilité globale des scénarios d’aménagement sur les plans technique, financier et politique. Les responsables auraient ainsi gagné à nouer des liens plus profonds avec les différents départements municipaux afin de s’assu- rer de l’ancrage local des propositions d’aménage- ment et de considérer les contraintes des sites. Le Urban Institute a également recommandé qu’au- delà de la conclusion d’accords de financement, des sommes supplémentaires soient octroyées pendant la mise en œuvre des projets pour assurer la con- crétisation des concepts d’aménagement novateurs imaginés. En somme, bien que le concours ne se soit pas suffisamment soucié des conditions de réalisation des projets, ce dernier demeure certaine- ment un idéal en devenir.

Un des aspects positifs de Rebuild by Design est qu’il a commencé à influencer et à transformer la manière dont les efforts de reconstruction et de pré- vention sont conçus, financés et mis en œuvre, non seulement à l’échelle des États-Unis, mais aussi sur la scène internationale. Le concours, qui a été largement médiatisé, a semble-t-il servi d’inspiration pour con- cevoir les villes côtières résilientes de demain. Aux États-Unis, le président Obama avait lancé le con- cours national sur la résilience aux catastrophes (la National Disaster Resilience Competition) en juin 2014, puis le concours Resilient by Design a émergé dans la région de la baie de San Francisco en 2017 (Berg, 2017). À l’échelle internationale, les responsables du concours travaillent de concert avec une douzaine de pays afin de mobiliser la démarche collaborative dans la recherche de solutions créatives à une série de pro- blèmes urbains et environnementaux (Rebuild by Design, 2019). Dans le contexte des inondations prin- tanières vécues au Québec et dans le reste du Canada ces dernières années, il serait à coup sûr intéressant d’importer ce modèle de concours afin d’entamer une réflexion sur l’avenir des rivages et de réaménager l’interface sensible entre ville et eau.

NOTES

1 L’ouragan Sandy était un évènement à récurrence de 500 ans et qui avait donc 0,2 % de risque de se produire en 2012. Au total, 17 % de la superficie de la ville a été inondée.

2 Basé à Copenhague et à New York, ce cabinet est dirigé par le Danois Bjarke Ingels, une étoile montante de l’architecture. 3 L’équipe comptait en effet huit autres consultants dans les domaines de l’ingénierie, de l’architecture de paysage, de la planification

urbaine, des services écologiques et de la culture (Rebuild by Design, 2015; Wainwright, 2015).

4 Un certain nombre d’expériences telles que la Biennale internationale d’architecture de Rotterdam ainsi que les programmes Room

for the River et Delta font office d’inspirations et de démarches de planification exemplaires sur la scène mondiale (Rebuild by

Design, 2015).

5 La Rockefeller Foundation, la JPB Foundation, la Deutsche Bank Americas Foundation, la Surdna Foundation, la Hearst Foundation, le New Jersey Recovery Fund, le NYU Institute for Public Knowledge, la Municipal Art Society, la Regional Plan Association et le Van Alen Institute.

6 L’idée étant de cibler les expertises avant de sélectionner des solutions innovantes, un appel de qualifications a été publié, au lieu du traditionnel appel d’offres.

7 Les équipes ont été encouragées à inviter des collaborateurs clés – membres de leurs coalitions communautaires et politiques, universitaires, etc. – à participer aux présentations et à démontrer leur soutien aux projets qu’ils avaient cocréés.

8 Un montant a également été alloué au projet Resilient Bridgeport (WB Unabridged/Yale Arcadis) pour poursuivre les recherches dans le Connecticut et mettre sur pied un projet pilote.

9 Les fonds fédéraux n’étaient pas suffisants pour la mise en œuvre complète de l’ensemble des projets.

10 Les grands travaux d’infrastructures et les opérations de rénovation urbaine de New York défendus et menés par l’urbaniste Robert Moses (1888-1981) au cours des années 1950 et 1960 ont été l’objet de vives contestations. Sous l’influence de Jane Jacobs (1916-2006) et d’une mobilisation citoyenne soutenue, plusieurs projets ont été tablettés en faveur d’un développement à l’échelle plus humaine. Les affronts historiques entre cet urbaniste et cette militante sont d’ailleurs souvent symbolisés par le combat de David contre Goliath (Flint, 2011; Wainwright, 2017).

11 Le terme « compartiment » est employé par l’équipe du cabinet BIG pour faire référence aux différentes sections du BIG U. Évoquant le principe d’une coque de navire, les différents compartiments de ce système de protection intégré devaient assurer l’étanchéité de la ville, malgré la défaillance ou la rupture de l’une de ses parties.

12 Le compartiment Two Bridges, localisé entre les ponts de Manhattan et de Brooklyn, incarnerait une série de murs rétractables peints par les artistes locaux et attachés sous le tablier de l’autoroute surélevée et du mobilier urbain servant de brise-lame. Le compartiment Battery Park, localisé au sud de l’île, prévoyait, quant à lui, l’aménagement d’une berme naturelle et la transformation de l’édifice de la garde côtière en « aquarium inversé » destiné à sensibiliser les populations locales et les visiteurs aux variations du niveau de la mer, tout en fournissant une barrière de protection.

13 Soit le New York City Department of Parks and Recreation et le New York City Department of Design and Construction.

14 L’abaissement ponctuel du parc par la mise en place de grands emmarchements permettra néanmoins aux usagers de se rapprocher de l’eau (échange téléphonique, 13 mars 2019).

15 Fondé en 1968, le Urban Institute est un groupe de recherche détenant une expertise en matière de politiques sociales et économiques.

RÉFÉRENCES

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Flint, A. (2011). Wrestling with Moses: How Jane Jacobs took on New York’s master builder and transformed the American city. New York, NY: Random House Trade Paperbacks.

Grillo, L. (2019, 23 janvier). East Side Coastal Resiliency hearing (conférence de presse). New York, NY: Department of Design and Construction.

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Politiques urbaines et ateliers de fabrication

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