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Le comédien de doublage : artiste de complément ou artiste interprète ?

comédien. Celle-ci doit remplir deux des trois conditions suivantes :

Être admis à titre permanent ou partiel à une formation artistique ; justifier d’au moins un enregistrement publié à des fins de commerce ou d’une prestation radiodiffusée ou télédiffusée et/ou ; figurer sur une liste ou feuille de présence d’enregistrement dûment signée par le producteur ou éditeur et/ou le directeur artistique ou le chef d’orchestre ou de la séance d’enregistrement75.

Les redevances sont donc théoriquement gérées par une société de gestion des droits puis distribuées aux différents comédiens. Selon cette loi, le comédien de doublage devrait percevoir des rémunérations complémentaires sur toutes les différentes exploitations de son travail que nous avons relevées, telles que les rediffusions, le marché de la vidéo, etc.

Cependant, cette loi n’est que très rarement appliquée, malgré les nombreuses interventions de l’intersyndicale –représentée par le Syndicat français des artistes-interprètes-CGT, le Syndicat des artistes du spectacle-CFDT ainsi que le Syndicat national libre des acteurs-FO– auprès du ministère de la Culture76. Les sociétés de doublage rémunèrent les comédiens uniquement pour des prestations uniques, au forfait (demi-journée ou journée) ou à la ligne. Concernant les tarifs de rémunération, la liberté offerte par le manque de règles législatives laisse les sociétés de doublage rémunérer librement les différents comédiens. En effet, si quelques chiffres de salaires sont référencés dans plusieurs articles77, ils ne représentent aucunement une généralité. Jamais, les comédiens ne touchent de redevance sur les rediffusions et l’exploitation de leur travail sur le marché vidéo. L’industrie du doublage semble, à ce titre, échapper au cadre législatif.

Le comédien de doublage : artiste de complément ou artiste-

interprète ?

Plusieurs éléments expliquent en partie le fait que les utilisateurs du doublage ne considèrent pas les comédiens de doublage comme des artistes-interprètes. La longue dépréciation du 75 Ibid., p. 103.

76 Daniel Gall dans Maxime Bomier, « Entretien avec le syndicaliste Daniel Gall », dans François Justamand (dir.), Rencontres autour du doublage des films et des séries télé, op. cit., pp. 37-48, p. 37.

77 Citons pour exemple Martin Marcel, « Le doublage », La Revue du cinéma, n° 398, 1984, pp. 91-101, p. 97 ou Annick Peigne-Giuly, « Les doubleurs durcissent le ton » Libération, mercredi 17 novembre 1994, p. 34.

33 doublage et le manque d’institutionnalisation sont des causes possibles de la non- reconnaissance de ce statut. Mais surtout, c’est le manque de définition juridique précise de ce qu’est un artiste de complément qui permet aux utilisateurs de doublage de considérer les comédiens comme tels. En effet, il est difficile de trouver une définition exacte de ce qu’est un artiste de complément. Si l’on se réfère à l’article 212-1 du Code de la Propriété Intellectuel, l’artiste de complément est l’artiste « considéré comme tel par les usages professionnels ». En 1985, Jack Lang précise qu’un artiste de complément serait un artiste dont le rôle ne dépasse pas treize lignes de texte78. Si l’on applique cette définition, les comédiens de doublage seraient répartis entre artistes-interprètes et artistes de complément en fonction du nombre de lignes qu’ils ont à jouer. Pour le comédien de doublage Alain Dorval, les utilisateurs de doublage considèrent les comédiens de doublage comme des artistes de complément au même titre que les figurants : « Ce qui est assez étonnant car la caractéristique du figurant est de ne pas parler par définition. Il faudrait que je sache quand même comment faire du doublage en se taisant, ça me semble relativement difficile79 ». La convention collective des artistes-interprètes engagés

pour des émissions de télévision du 30 décembre 1992 ajoute à la confusion générale autour de cette notion : « À l'exclusion des artistes de complément (même s'ils sont appelés à réciter ou à chanter collectivement un texte connu80) ». Cette nouvelle définition induit une nouvelle question sur laquelle les utilisateurs peuvent s’appuyer : le comédien de doublage récite-t-il un texte ou joue-t-il un texte en y insufflant son interprétation, son jeu, sa personnalité ? Les recherches d’une définition précise et exacte semblent vaines. Le constat de Xavier Près, dans son ouvrage Les Sources complémentaires du droit d’auteur français : Le juge,

l’Administration, les usages et le droit d’auteur, publié en 2004, est à cet égard amer :

En définitive, le résultat de la recherche des usages pour définir l’artiste de complément s’avère assez décevant. Celle-ci ne laisse en effet que quelques rares indices, tels que la

78 Jack Lang cité dans Xavier Près, Les Sources complémentaires du droit d’auteur français : Le juge, l’Administration, les usages et le droit d’auteur, Aix-en-Provence, Presse Universitaires d’Aix-Marseille, 2004,

p. 256.

79 Alain Dorval dans Journal de 13h, F2, 10 novembre 1994.

80 Article 1.1, Convention Collective des artistes-interprètes engagés pour des émissions de télévisions du 30 décembre 1992, document disponible sur :

https://www.legifrance.gouv.fr/affichIDCC.do?idArticle=KALIARTI000034798905&idSectionTA=KALISCTA 000005745141&cidTexte=KALITEXT000005666912&idConvention=KALICONT000005635286&dateTexte= 29990101 (dernière consultation le 27 mai 2020).

34 brièveté du texte, la durée limitée de la prestation, son caractère accessoire ou encore les notions voisines de « figurant » ou de « silhouette »81.

Le flou juridique lié au statut d’artiste de complément est au cœur du litige entre comédiens du doublage et utilisateurs. L’activité de doublage implique par ailleurs l’usage de termes trompeurs tel que doubleurs. Rappelons que le terme « doubleur » renvoie à l’idée même d’une doublure, or la doublure est généralement convoquée pour définir le statut « d’artiste de complément ». Ainsi, dans la convention collective des artistes-interprètes engagés pour des émissions de télévision, la « doublure lumière » est catégorisée parmi les « artistes de complément ». Le danger d’un tel manque de définition précise est mis en exergue par Xavier Près :

Abandonner la notion à la liberté contractuelle, c’est en effet, en premier lieu, prendre le risque de voir les litiges se multiplier en raison des intérêts divergents en présence. Tandis que l’artiste sera davantage enclin à réclamer la qualification d’artiste-interprète pour profiter de la protection accordée aux titulaires de droits voisins du droit d’auteur, l’exploitation aura au contraire intérêt à imposer la qualification d’artiste de complément82.

En réponse aux attaques sur ce statut, les comédiens de doublage ont toujours affirmé leur apport créatif et l’interprétation nécessaire à cette activité. L’importance de s’affirmer avant tout comédien prend dès lors tout son sens.