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Colorants à base de complexes de coordination du ruthénium 1. Chromophores de référence

état de l’art sur les colorants et

II.1. Colorants à base de complexes de coordination du ruthénium 1. Chromophores de référence

Les complexes de ruthénium II (Ru (II)), du fait de leur large domaine d’absorption et de leurs remarquables propriétés photophysiques, figurent parmi les chromophores les plus étudiés dans le domaine des DSCs au cours des deux dernières décennies. La capacité de ce type de complexes à absorber la lumière dans le domaine du visible provient essentiellement d’un transfert de charge, de l’atome métallique central vers les ligands situés en périphérie, suite à une excitation par un photon d’énergie appropriée. Ce phénomène de transfert de charge est nommé MLCT pour « Metal-to-Ligand Charge Transfer ». La structure de ces complexes favorise également la séparation spatiale des charges au sein du chromophore. En effet, lorsque celui-ci absorbe un photon, un électron migre alors du « cœur » de la molécule vers la périphérie où se trouve(nt) le (ou les) groupement(s) de greffage du chromophore, facilitant de ce fait l’injection d’un électron vers l’oxyde métallique semi-conducteur. L’atome métallique central de ces complexes joue donc un rôle crucial dans les propriétés photophysiques des chromophores, mais ces dernières peuvent également être modulées par des modifications apportées aux ligands comme nous le décrirons par la suite.

C’est en 1991 que Michael Grätzel et Brian O’Regan ont rapporté le premier rendement de conversion photovoltaïque notoire dans le domaine des DSCs, en utilisant comme chromophore un complexe trimétallique de ruthénium à ligands bipyridyles (1), représenté Figure II.I.[5] Déjà décrit dans la littérature auparavant,[6,7] ce colorant, innovant de par sa structure à antennes regroupant potentiellement l’absorption de trois chromophores en un, avait alors été utilisé pour sensibiliser des films de TiO2 présentant une surface de type fractale. Bien qu’augmentant la quantité de chromophores pouvant se greffer par unité de

surface (comparé à une surface de TiO2 plane), la surface spécifique de ces films restait encore insuffisante pour garantir une absorption satisfaisante de la lumière. La principale innovation introduite par M. Grätzel et B. O’Regan a donc été de développer des films de TiO2 nanoporeux de surface spécifique élevée, permettant d’avoir une plus grande densité de colorants chimisorbés par unité de surface. Un rendement global de conversion de 7,1 % a ainsi pu être obtenu en sensibilisant ces films mésoscopiques d’oxyde semi-conducteur avec le chromophore 1, ce qui a constitué une percée majeure dans le domaine des DSCs, sachant que les performances obtenues jusque-là étaient inférieures à un pourcent.

Figure II.1 : Structure du chromophore 1

Suite à ces travaux, Grätzel et coll. ont publié en 1993 une série de complexes bipyridyles de ruthénium mononucléaires, de formule générale cis-(X)2 bis(2,2’-bipyridyl-4,4’-dicarboxylate)Ru(II) (où X = Cl, Br, I, CN, ou SCN), incluant le colorant N3 (X = SCN) représenté Figure II.2.[1a]

Le colorant N3 possède plusieurs caractéristiques avantageuses : une large gamme d’absorption dans le domaine du visible conduisant à un spectre IPCE s’étendant au-delà de 700 nm, une durée de vie de l’état excité relativement longue (≈ 20 ns), permettant de favoriser l’injection électronique, et une capacité d’adsorption forte sur le TiO2, potentiellement assurée par quatre groupements acide carboxylique situés sur les ligands bipyridyles. Du fait de ces propriétés remarquables, la sensibilisation d’un film mésoporeux d’oxyde de titane de haute surface spécifique par le N3, a permis d’atteindre pour la première fois un rendement de conversion supérieur à 10,0 % en DSC.

Figure II.2 : Structure du chromophore N3

De nombreux efforts ont par la suite été menés afin d’améliorer les propriétés optiques de ces chromophores, notamment en essayant d’augmenter la réponse spectrale des systèmes dans le domaine du rouge et du proche infra-rouge (proche-IR). En 1997, Grätzel et coll. ont ainsi proposé un nouveau colorant : le N749 (Figure II.3),[8] aussi connu sous le nom de « Black-dye », en référence à son caractère panchromatique. Ce complexe de Ru(II), possédant un ligand terpyridine et trois ligands thiocyanato, présente un profil IPCE en DSC s’étendant jusqu’à 920 nm pour un rendement global de conversion de 10,4 % rapporté en 2001, obtenu sous les conditions standards d’illumination (AM 1.5G, 100 mW.cm-2

).[9]

Figure II.3 : Structure du chromophore Black-dye (N749)

Nazeeruddin et coll. ont par la suite étudié l’effet que pouvait avoir la déprotonation des différentes fonctions acide carboxylique du chromophore N3, sur les paramètres caractéristiques d’une cellule solaire à colorant.[10,11]

Les résultats concordent sur le fait que la forme entièrement protonée (N3) permet d’obtenir des JCC élevés mais des VCO relativement faibles, tandis que la forme entièrement déprotonée fait varier les paramètres de manière totalement opposée. Finalement, l’intermédiaire doublement déprotoné (N719), représenté

Figure II.4, s’est avéré être l’espèce la plus favorable à l’obtention, à la fois d’un JCCet d’un

VCO élevés. Des travaux supplémentaires, notamment d’optimisation des paramètres de greffages (temps d’immersion, solvant, concentration), ont permis dans un second temps d’obtenir un rendement de 11,2 %,[12]

parmi les plus élevés décrits à ce jour pour des DSCs.

Figure II.4 : Structure du chromophore N719

Les chromophores N3, N719 et N749, développés au cours de la première décennie qui a suivi la publication de M. Grätzel et B. O’Regan en 1991, sont à ce jour considérés comme des références dans le domaine et ont inspiré de nombreuses équipes de recherche à travers le monde pour la mise au point de nouveaux chromophores de structures similaires.

II.1.2. Évolution des complexes de coordination du ruthénium (II)

De nombreux exemples de complexes de ruthénium possédant des ligands polypyridyles, plus ou moins modifiés par l’ajout de substituants, ont été décrits au cours de ces dix dernières années. Un large panel de chromophores, aux propriétés variables, dont nous illustrerons ici les exemples les plus pertinents, a ainsi pu être généré.

Au début des années 2000, des chromophores de type amphiphile ont été développés en ajoutant de longues chaînes alkyles sur l’un des ligands bipyridyles du complexe. L’objectif était de limiter la désorption du chromophore de la surface de TiO2, due aux traces éventuelles d’eau dans l’électrolyte, grâce au caractère hydrophobe des chaînes alkyles.[13,14]

Le Z907, dont la structure est présentée Figure II.5, a ainsi démontré une grande stabilité en DSC, mais son faible coefficient d’extinction molaire (11 500 L.mol-1

.cm-1), comparé au N3 (14 200 L.mol-1.cm-1), est l’une des causes expliquant un rendement global de conversion plus faible, de l’ordre de 8 %.

Figure II.5 : Structure du chromophore Z907

Malgré leur large domaine d’absorption s’étendant de l’ultra-violet (UV) jusqu’au proche-IR, le coefficient d’extinction molaire (ε) des chromophores polypyridyles de ruthénium, au niveau de la bande d’absorption située dans le domaine du visible et correspondant à la MLCT, est généralement bien inférieur à celui des chromophores organiques. Par exemple, le colorant référence N719 présenté précédemment, possède un coefficient d’extinction molaire (ε) de 14 700 L.mol-1

.cm-1, tandis que l’ε d’un chromophore organique varie généralement entre 15 000 et 60 000 L.mol-1.cm-1. Une solution pour améliorer les performances des DSCs utilisant ces chromophores à faible coefficient d’absorption serait donc d’augmenter la quantité de colorants greffés par unité de surface en employant des couches mésoporeuses de TiO2 plus épaisses. Cependant, une épaisseur de film d’oxyde métallique semi-conducteur trop grande engendre des phénomènes de recombinaison plus importants entre l’électron injecté dans le TiO2 et l’espèce redox de l’électrolyte, diminuant de ce fait le VCO de la cellule. Par conséquent, afin d’augmenter la capacité d’absorption d’une DSC tout en gardant une épaisseur de film de TiO2 suffisamment fine pour limiter les pertes en VCO, il s’est avéré nécessaire de développer des chromophores possédant des ε plus élevés.

Afin d’augmenter le coefficient d’extinction molaire des colorants inspirés des références N3, N719 et N749, une stratégie consistant à introduire des substituants π-conjugués sur les ligands polypyridyles s’est avérée prometteuse. Ainsi, en 2006, un nouveau complexe de ruthénium hétéroleptique (N945H, Figure II.6), proposé par Grätzel, Lever, Nazeeruddin et coll.,[15] a montré une valeur d’ε de 18 900 L.mol-1

.cm-1, qui est significativement plus élevée que celle du chromophore N719 dont il est directement dérivé. Le colorant N945H, qui a permis d’obtenir un rendement global de conversion de 9,6 %, possède deux groupements 2,5-diméthoxystyryle comme substituants sur le ligand bipyridyle

qui n’est pas en contact avec la surface de TiO2. Cette dissymétrie, associée au caractère électro-donneur des substituants, permet de créer, lors de l’excitation du chromophore, une directionnalité favorable à l’obtention de rendements de conversion élevés.

Figure II.6 : Structure du chromophore N945H

En appliquant cette même stratégie qui consiste à augmenter la capacité d’absorption des chromophores en étendant le système π-conjugué de l’un des ligands, différents substituants ont été proposés pour des complexes présentant une structure semblable au N945H.[16]

Wang et coll. ont ainsi développé une série de chromophores, nommés C101 à C106, combinant stabilité, grâce à l’ajout de longues chaînes alkyles, et coefficient d’extinction molaire élevé, dû à l’extension du système π-conjugué de l’un des ligands bipyridyles.[17a-e]

Les chromophores C101 et C106, représentés Figure II.7, ont ainsi permis d’atteindre les rendements records de 11,0 et 11,3 %, avec des ε de 17 500 et 18 700 L.mol-1

.cm-1, respectivement.[17a,17d] Ces deux colorants présentent également une excellente stabilité thermique et photochimique : les DSCs les utilisant, et incorporant un électrolyte de type liquide ionique non volatile, conservent plus de 90 % de leur rendement global de conversion après 1 000 h sous illumination à une température de 60°C.

Figure II.7 : Structure des chromophores C101 (gauche) et C106 (droite)

Parallèlement, Zakeeruddin, Grätzel et coll. ont proposé un chromophore similaire au C106, mais comportant deux motifs thiophènes au lieu d’un seul au niveau des substituants du ligand ne portant pas le groupement d’accroche. Le chromophore CYC B-11, représenté

Figure II.8, a permis d’atteindre un rendement de 11,5 % en DSC, légèrement supérieur à celui obtenu pour le colorant C106.[18] Cette amélioration des performances peut être en partie expliquée par une augmentation de l’ε passant de 18 700 à 24 200 L.mol-1

.cm-1.

Figure II.8 : Structure du chromophore CYC B-11

D’autres ligands dérivés de la bipyridine ont également été étudiés. Le chromophore AR20, représenté Figure II.9, développé par Kasuga, Kitao et coll., possède par exemple un ligand phénanthroline et a permis d’atteindre un rendement global de conversion de 6,7 %.[19]

Ce rendement, inférieur à celui obtenu pour le chromophore N719 dans les mêmes conditions, peut être expliqué en partie par un coefficient d’extinction molaire plus faible (12 000 L.mol -1

.cm-1 pour AR20, contre 15 000 L.mol-1.cm-1 pour N719), mais également par un VCO plus faible (650 mV pour AR20 contre 730 mV pour N719) dénotant certainement une durée de vie des électrons photogénérés plus courte, éventuellement due à des phénomènes de

recombinaison électronique plus importants dans le cas de l’utilisation du ligand phénanthroline.

Figure II.9 : Structure du chromophore AR20

Lu, Lin et coll. ont quant à eux récemment proposé une série de chromophores nommés JF-2, -5, -6 et -7 possédant un ligand imidazolo-phénanthroline sur lequel différents substituants de type oligothiophène combinés à une longue chaîne alkyle hydrophobe ont été ajoutés.[20,21] Parmi cette série, le chromophore JF-5 (Figure II.10), présentant une succession de deux motifs thiophènes comme substituants, est celui qui a conduit au meilleur rendement de conversion, de 9,5 % en DSC.[21] L’analyse des propriétés optiques et photovoltaïques des différents chromophores développés montre qu’un substituant constitué de deux thiophènes semble être le bon compromis entre ε élevé (JCC élevé) et faible taux de recombinaison électronique (VCO élevé).

Figure II.10 : Structure du chromophore JF-5

En 2009, Ko et coll. ont proposé deux nouveaux chromophores basés sur un ligand secondaire dipyridylamine.[22] L’ajout de substituants de type thiophène ou thiénothiophène, afin d’augmenter le coefficient d’extinction molaire et d’élargir le domaine d’absorption du chromophore, a ainsi été étudié. Il s’est avéré que le chromophore le plus performant de cette

série était celui possédant les motifs thiénothiophènes : JK-86 représenté Figure II.11. Ce colorant a ainsi permis d’atteindre un rendement global de conversion de 9,0 % grâce à un ε relativement élevé pour un complexe de ruthénium (27 340 L.mol-1.cm-1 à 418 nm), se traduisant par un JCC élevé de 18,32 mA.cm-2. Il est également observé dans cette étude que les chaînes hexyles permettent d’accroître la stabilité du chromophore face à un stress lumineux ou thermique prolongé : une conservation de plus de 96 % des performances initiales d’une DSC utilisant le chromophore JK-86, combiné à un électrolyte de type gel, a pu être constatée suite à 1 000 h d’illumination sous simulateur solaire, à une température de 85°C.

Figure II.11 : Structure du chromophore JK-86

Les complexes N719, C106 ou encore CYC B11 font partis des chromophores les plus performants à ce jour. Cependant, ils possèdent tous trois deux ligands thiocyanatos qui sont souvent considérés comme étant le point faible de ce type de colorants en termes de stabilité chimique.[23] En effet, le caractère faible de la liaison Ru-NCS est suspecté d’être à l’origine d’une dégradation du chromophore lors du fonctionnement des DSCs.[24]

Partis de ce constat, Chou, Chi et coll. ont conçu divers chromophores de type complexes de coordination du ruthénium mais ne possédant pas de ligand thiocyanatos.[24,25a-b]

Le chromophore TF-3 (Figure II.12), qui combine un ligand terpyridine, portant les fonctions d’accroche acide carboxylique, et un ligand secondaire 2,6-dipyrazolylpyridine, portant des substituants afin d’améliorer la réponse spectrale, a permis d’atteindre le rendement global de conversion le plus élevé de la série, de 10,7 %.

Dans le même objectif de développer des chromophores de type complexes de coordination du ruthénium ne possédant pas de ligand thiocyanato, van Koten et coll., ainsi que Berlinguette et coll., ont était parmi les premiers à développer des chromophores Ru-cyclométallés.[26a,b] Grätzel et coll. ont également proposé en 2009 et 2013 des chromophores organométalliques, possédant une liaison Ru-C.[23,27] Le chromophore Complex 1, représenté

Figure II.12, a notamment permis d’atteindre un rendement de conversion de 10,1 %.[23]

Figure II.12 : Structure des chromophores TF-3 (gauche) et Complex 1 (droite)

Malgré la multitude de chromophores de ce type développés au cours des deux dernières décennies, aucun d’eux n’a réellement surpassé les performances atteintes avec les références comme le N719 ou le Black-dye. Face à ce constat, Han et coll. ont proposé en 2012 une nouvelle stratégie consistant à co-sensibiliser le colorant Black-dye (Figure II.3) avec un chromophore tout-organique simple de type « push-pull ».[28] Ils ont ainsi atteint un rendement de 11,4 %, augmentant les performances initiales du Black-dye de 1,0 %. Le chromophore employé comme coadsorbant (Y1, représenté Figure II.13) a été imaginé de petite taille et possédant deux chaînes butyles à son extrémité, afin de limiter au mieux les interactions entre molécules de Black-dye, sans gêner la chimisorption de ce dernier sur la surface de TiO2, et de pouvoir former une monocouche compacte empêchant les recombinaisons électroniques à l’interface TiO2/électrolyte. Enfin, le choix d’utiliser un chromophore tout-organique « push-pull » comme coadsorbant n’est pas anodin, ce type de colorants permet en effet d’atteindre très vite des ε élevés (ici 30 000 L.mol-1

.cm-1 pour Y1) même pour des molécules simples. Le coadsorbant Y1 permet ainsi, non seulement de diminuer les phénomènes d’agrégation du chromophore Black-dye, mais aussi d’augmenter la réponse spectrale de la DSC en convertissant également une partie de la lumière incidente.

Figure II.13 : Structure du coadsorbant Y1 associé au Black-dye

L’étude présentée ci-dessus est l’exemple même de l’intérêt que porte la communauté scientifique aux structures « push-pull » dans le domaine des chromophores organiques pour DSC. En effet, cette structure se caractérise par une bonne séparation spatiale des charges quand le chromophore absorbe un photon (orbitales frontières HOMO/LUMO spatialement éloignées). Or, dès le début du développement de chromophores pour DSC, il est apparu que cette séparation de charges était nécessaire à l’obtention de hauts rendements de conversion photovoltaïque : les complexes de coordination du ruthénium présentent cette séparation de charges par le biais de la MLCT.

Dans le cas des autres familles de colorants, que ce soit les porphyrines, les phtalocyanines, les coumarines ou encore les triarylamines, des structures « push-pull » D- π-A, garantissant cette séparation de charges, ont été développées de manière à obtenir de bonnes propriétés photovoltaïques, comme nous le décrirons ci-dessous.