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Colonisation et reconfiguration de l’espace : la ville dans une logique de

Le dispositif spatial de la zone étudiée a été profondément recomposé depuis un siècle et demi par la soumission à la tutelle de puissances européennes. Les entités politico-territoriales préexistantes s’effacent devant les stratégies coloniales qui perturbent les principes premiers d’organisation. Cette colonisation peut être divisée en deux périodes distinctes : du XVIIIe siècle jusqu’aux années 1850, la priorité est au commerce maritime ; par la suite, conquête et contrôle de ces espaces sont au cœur du processus colonial. Ces deux phases ont des conséquences différentes sur le système urbain.

Au XVIIIe et jusque dans la première moitié du XIXe siècle, les objectifs de la présence européenne en Afrique répondent à des impératifs commerciaux. L’heure est à la sécurisation de ces espaces afin de permettre l’épanouissement des compagnies de commerce. D’une façon généralisée, la présence européenne réoriente l’agencement de l’espace africain. On parle d’un « retournement » de l’espace (Côte, 1988), d’un renversement des territoires. Français et Britanniques changent les règles du jeu avec l’abolition de l’esclavage et l’utilisation de la voie maritime, en conséquence de quoi l’espace sahélo-saharien marginalisé sombre dans l’inertie et l’enclavement. Le colonisateur se désintéresse du commerce transsaharien et de ses produits qui présentent peu d’intérêt pour la métropole. Après des siècles de circulation marquée par la continentalité, les centralités se détournent vers les côtes africaines et les fleuves. Dans cette perspective, ce n’est plus la ville de commerce à la charnière sahélienne qui intéresse, mais bien celle qui peut assurer les échanges maritimes. La ville-comptoir, ou d’escale, permettant d’exporter la gomme arabique, l’ivoire, l’or et les esclaves, se place alors au cœur de l’organisation socio-spatiale africaine (Sinou, 1993). Dans la zone qui nous intéresse, cette idée est illustrée par le cas de Saint-Louis du Sénégal qui s’impose comme la ville de la polarisation littorale. Non seulement elle se veut un grand débouché commercial, mais c’est depuis ce point situé à l’embouchure du fleuve Sénégal que se fait la conquête. L’axe de pénétration correspond à l’axe parallèle sahélien qui remonte le fleuve Sénégal et devait permettre d’unir les espaces entre Saint-Louis et Fort-Lamy (N’Djaména). Au même moment, les Britanniques tentent de pénétrer plus avant l’Afrique orientale, empruntant l’axe nilotique, avec pour objectif de descendre toujours plus au sud. Aussi sommes-nous en présence de deux colonisations : la première, française, se veut zonale, allant d’est en ouest,

du Sénégal au Tchad, et la seconde, britannique, répond à une dynamique méridienne, de l’Égypte au Kenya. Ces deux logiques coloniales inverses se rencontrent et s’affrontent à Fachoda en 1899, alors que les Français tentaient d’assurer la liaison Dakar-Djibouti.

Dans la seconde partie du XIXe siècle et début du XXe siècle, la colonisation devient conquête des espaces terrestres intérieurs, en lien avec la politique impérialiste qui se développe depuis la Conférence de Berlin de 1885, date à laquelle les Européens décident de se partager l’Afrique. Il ne s’agit plus seulement de conquérir sporadiquement des espaces et d’y faire du commerce, mais bien de s’y implanter plus durablement, de maîtriser et donc partager ces espaces. De nouvelles structures d’encadrement territorial voient le jour et amoindrissent les grands mouvements de population qui animaient la zone. Dès lors, la ville se voit investie d’un nouveau rôle : celui de point administratif devant permettre le contrôle de l’espace. Là encore, les exemples de la Mauritanie et du Soudan mettent en évidence deux types de colonisation radicalement différents. Les Britanniques imposent une direct rule au Nord Soudan, tandis que les Français, pourtant connus pour leur administration directe, se contentent d’une indirect rule dans les territoires qui deviendront la Mauritanie. La conquête du territoire mauritanien s’avère malaisée et n’est en réalité que superficielle, ce qui lui vaut les surnoms de « Cendrillon de l’AOF » ou encore « d’accident de l’histoire coloniale française ». Ces deux stratégies de domination opposées octroient une place différente à la ville : les Britanniques cherchent à créer un pôle urbain, Khartoum en l’occurrence, tandis que les Français ne voient pas l’utilité de conduire une politique urbaine puisqu’il existe déjà Saint-Louis du Sénégal à proximité.

2.1 Deux conquêtes, deux colonisations pour deux ruptures

2.1.1 La « pénétration pacifique » en Mauritanie

La colonisation du territoire appelé à former la Mauritanie s’est faite selon deux temps, comme le rappelle Olivier Leservoisier (1994 : 63). A partir du milieu du XIXe siècle, les Français se concentrent sur la vallée du fleuve Sénégal, lequel servira au début du XXe siècle d’axe de pénétration vers le nord peuplé de Maures. La France est déjà présente dans la zone, et ce dès l’époque moderne puisque Louis XIV donne son nom à la première cité construite par les Européens en Afrique Occidentale : Saint-Louis (désigné par le toponyme Ndar en

mais ce n’est qu’au XIXe siècle qu’elle prend véritablement de l’essor. Avec la nomination de Faidherbe au poste de gouverneur du Sénégal en 1854 commence la conquête du fleuve. Ses objectifs consistent à limiter l’emprise des émirats maures à la rive droite et à assurer la sécurité sur la rive gauche pour permettre l’épanouissement du commerce. Les quelques villages qui existaient déjà le long du fleuve, tels que Boghé ou Kaédi, deviennent des escales commerciales d’où la mise en place de villages doublons, de part et d’autre du fleuve. Au même moment, tout juste parle-t-on de ce qui existe au nord de cette vallée fertile, de ce

Bilâd ash-Shingît (pays de Chinguetti), alors perçu comme un immense territoire désertique et

austère où errent des nomades. Pour beaucoup, la Mauritanie n’est qu’un minuscule confetti de l’empire français sans grande valeur ; aussi la priorité est-elle donnée à la vallée.

Pourtant, un changement d’orientation politique s’observe à la fin du XIXe. Le Sahara jusqu’alors perçu comme inutile se meut en espace d’enjeu, le but étant de soumettre les derniers résistants (à savoir les nomades maures, touaregs et toubous) à l’ordre colonial. Au départ, il n’est nullement question de contrôler méthodiquement cet espace mais simplement de combler les vides par une présence française. La logique qui prédomine devient celle d’une rationalisation de l’espace : en quadrillant le Sahara, l’idée est d’en faire sinon un espace de production, du moins une zone de jonction entre le Maghreb français et l’Afrique Occidentale Française (AOF). Les regards se tournent alors vers l’ouest du Sahara, renommé Mauritanie Occidentale en 1899 et qui s’apparente à un front pionnier : le vide invite à la conquête, à une conquête modérée – à l’image des intérêts que les Français présentent pour la zone. Depuis Paris, les autorités inaugurent une nouvelle politique : la « pénétration pacifique ». Au Sénégal, c’est d’un mauvais œil que l’on voit cette intrusion dans ce vaste espace, pauvre, quasi-inconnu, dominé par la violence entre tribus (Désiré-Vuillemin, 1997 : 471). L’État français décide de mettre fin à la « politique du verre de thé », expression qui traduisait l’absence d’ambition envers cette terre ingrate, en désignant Xavier Coppolani comme commissaire du gouvernement général.

Coppolani s’efforce de rétablir l’ordre et créé en 1903, le Protectorat des pays maures

du bas Sénégal. Ce premier statut a surtout pour but d’administrer la zone du fleuve et

contrôler une partie de l’espace en se gardant de remettre en cause l’organisation première émirale71

71 Quand bien même elle se voulait indirecte, cette colonisation a entraîné des changements brutaux. Les

rapports de tributaires à maîtres ou encore les liens entre marabouts et guerriers se désagrègent. Les devoirs et besoins réciproques entre castes n’ont plus nécessité d’être. Si les guerriers conservent leur honneur et noblesse, ils voient leurs revenus s’effondrer avec la fin des rezzû.

. Il s’attache ainsi à « utiliser les capacités de contrôle social qui tiennent à la nature tribale de l’organisation politique émirale pour en faire un instrument de contrôle

administratif fixant des limites territoriales stables » (Bonte, 1998 b : 111). L’administration est indirecte puisque les colons s’appuient sur les émirs et autres chefs traditionnels. Trois émirats sont conservés : Adrar, Tagant, Trarza. En offrant sa protection, Coppolani parvient à rallier les tribus maraboutiques excédées par les exactions des guerriers. Certains chef religieux – Cheikh Saad Bouh, ou encore Cheikh Sidiyya Baba pour ne citer qu’eux – sont associés aux colons (on parle d’ailleurs de « politique d’association »). De nombreuses familles profitent largement de cette présence française qui leur permet d’accroître leur prestige et leur influence72

Coppolani disparaît en 1905, assassiné par un sharîf de l’Adrar, Sidi Ould Moulay Zein. Il laisse derrière lui de précieuses informations et une méthode « pacifique » d’annexion et d’administration qui lui vaudra le titre d’initiateur de « l’Indirect Rule à la française ». Par ailleurs, il est le premier à dresser un tableau du pays, en distinguant les régions : cet état des lieux va par la suite orienter fortement la présence française et la mise en place de l’État mauritanien (Antil, 1999)

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Pour nombre de ces familles qui ont su se placer auprès des colonisateurs, l’indépendance leur offre d’immenses opportunités. Comme nous le verrons ultérieurement, la plupart continuent de dominer le pays : il y a continuité entre les dirigeants d’hier et ceux d’aujourd’hui.

. Déjà, les réflexions concernant les limites de l’entité alimentent les débats : on pense rattacher le Nord de la Mauritanie au Maroc, puis le Sud au Sénégal (Planche 4). Finalement, le décret du 25 février 1905 délimite les territoires de la Mauritanie et du Sénégal, désignant le fleuve comme frontière entre les deux. La logique territoriale, reposant sur des limites circonscrites et qui sera au cœur du fondement de l’État-nation, est ainsi inaugurée.

Après le décès de Coppolani, la pénétration pacifique a bien du mal à s’instaurer. Elle remonte depuis le fleuve : l’Adrar est conquis en 1909 (Frèrejean, 1995 : 444). De 1905 à 1920, la Mauritanie est désignée par l’appellation de Territoire Civil et est divisée en cinq cercles, deux résidences et un secteur nomade. Les émirats aux contours fluctuants disparaissent pour laisser place à un embryon de territoire tandis que les royaumes soudaniens, qui subissaient les agressions maures, sont pareillement démantelés. Recensements et découpages, mise en place d’impôts et nomination de gouverneurs… autant d’entreprises qui donnent progressivement corps à cet espace appelé à former « la Mauritanie ».

PLANCHE 4 : La colonisation de la Mauritanie

Carte 13 : Les trois projets territoriaux en concurrence

Source : A. Antil, 1999 : 140

Carte 14: Les étapes de la conquête du territoire mauritanien

En 1920, l’autonomie administrative et financière se fait plus grande ; la Mauritanie accède au statut de colonie, à la tête de laquelle est placé un Gouverneur, lui-même dépendant du Gouverneur Général de l’AOF résidant à Saint-Louis, capitale de la Colonie de Mauritanie. La paix entre les territoires ne s’instaure réellement qu’à partir de 1934. En 1957, la loi Cadre-Deferre confère à la Mauritanie le statut de territoire d’Outre-mer : elle lui offre une plus grande autonomie à la veille de son indépendance en 1960. Née sous le sceau de la colonisation, la Mauritanie se présente comme une véritable « invention » qui regroupe des entités jusqu’alors bien différenciées (Antil, 1999 : 54). Cette colonisation fut duale : la vallée du fleuve Sénégal, qui correspondra quelques années plus tard au sud de la Mauritanie fut largement occupée, tandis que le Nord fut quasiment laissé à lui-même selon le principe de l’indirect rule. Cette occupation différenciée sera pour partie à l’origine des problèmes que connaîtra la future Mauritanie… exactement comme pour le Soudan qui voit son territoire scindé en deux dès l’épisode colonial.

2.1.2 La colonisation duale au Soudan

Pour les Britanniques, conquérir le Soudan constitue un enjeu de taille, à l’image de la grandeur du pays, qui présente un intérêt géostratégique indéniable. Conserver la mainmise sur l’axe nilotique s’impose comme un impératif afin de contrer les Français présents à l’ouest et les Belges au sud. Conquérir le Soudan, c’est encore voir le grand rêve britannique se réaliser puisque cette entreprise permettrait de relier Le Caire au Cap, l’Égypte à l’Afrique du Sud. Le Soudan se présente ainsi comme une étape incontournable sur cet axe nord-sud Britannique.

Après l’épisode de Fachoda (mars 1899) qui met fin aux velléités françaises sur le Soudan, le pays est placé sous la domination conjointe (condominium) de l’Égypte et de la Grande-Bretagne. Progressivement, les Égyptiens se retirent et laissent les Britanniques renforcer leur présence. Selon Hervé Bleuchot (1989 : 171), cette colonisation se fait en trois étapes : une administration directe (Direct rule, 1899-1924) au départ, puis une administration indirecte (Indirect rule, ou native administration 1924-1942), qui précède la phase de décolonisation (1942-1956). La colonisation ne revêt pas les mêmes formes et enjeux car les Britanniques héritent de deux ensembles distincts. Les Turco-égyptiens avaient déjà établis des distinctions entre les Soudanais musulmans et les « Nègres païens » du Sud (Prunier, 1989 : 381). Les Britanniques ne font que reproduire ce schéma aux différences marquées.

Cela explique que le nord est rapidement pacifié alors que le sud ne le sera qu’à la fin des années 1920.

Au nord, les Britanniques gèrent la région selon le modèle connu de l’« administration directe », principe déjà développé au Proche-Orient et en Égypte, mais rare dans les colonies britanniques africaines. L’occupation n’entend pas combattre l’arabe ni la religion musulmane mais se fait au départ en tentant de subordonner les chefferies traditionnelles. Une certaine forme de centralisation est mise en place, instaurant ainsi un puissant contrôle au niveau local. Un fort sentiment de rejet envers la présence anglo-égyptienne se développe, attisé par le contexte de la première guerre mondiale qui réveille les velléités nationalistes encore vivaces avec l’héritage de la Mahdiyya. Alors que les Égyptiens marchent vers l’indépendance, le mouvement insurrectionnel se déploie côté soudanais. La crise finit par éclater en 1924 : les soldats soudanais se mutinent et obligent les Anglais à revoir leur politique coloniale. Cette révolution de 1924 marque un tournant historique, permettant l’avènement de l’administration indirecte ou native administration, qui réhabilite les autorités antérieures et chefferies traditionnelles74

Au sud, la pénétration est tout autre. Les Anglais sont fort mal accueillis et se désintéressent de cette partie soudanaise où luttes intertribales et guerres se succèdent. Un État minimal est instauré à travers les Bog Barons (barons des marécages), surnom donné aux administrateurs britanniques qui commandent sans vraiment rendre compte de leurs actes au gouverneur impérial. Les moyens déployés au sud sont par ailleurs bien minces. Seuls les missionnaires chrétiens reçoivent de larges subsides pour développer leur arsenal éducatif. L’anglais est adopté comme langue officielle en 1918 et son enseignement est confié à des missionnaires (Miller, 1989 : 103). Les Britanniques y voient un moyen de contrer l’Islam. En effet, implanter la langue anglaise revenait pour eux à limiter l’expansion de l’arabe et par là même la progression de l’Islam pourtant toléré au nord. Ils mettent en place l’Indirect rule car il leur est ici bien plus difficile de s’appuyer sur les élites traditionnelles tant l’hétérogénéité . Ceux qui détiennent une place centrale au sein du système lignager se voient promus à de hautes responsabilités par les colons. Cette stratégie sera au cœur de la construction identitaire nord-soudanaise : en créant en 1902 le Gordon College à Khartoum (devenue depuis l’Université de Khartoum), les Britanniques forment une élite nordiste qui hérite des postes importants à l’heure de la décolonisation.

74 L’autorité britannique entend se greffer sur les structures de parenté déjà présentes : les élites traditionnelles

et les plus puissantes des tribus recouvrent alors une partie de leur assise que les Egyptiens avaient cherché à casser durant les vingt dernières années (Delmet, 1989 : 65).

tribale est marquée : « bien des tribus n’ont pas de chefs, ou des chefs sans prestige, ou des chefs rivaux » (Bleuchot, 1989 :194).

L’impression d’une scission en deux du pays ne fait que progresser avec l’adoption en 1922 du Passport and Permits ordonance qui interdit l’accès de toute région à quiconque n’en serait pas originaire, et en 1925 de l’Equatoria Corps qui limite les circulations commerciales pour les Sudistes en les obligeant à détenir des autorisations pour faire du commerce ailleurs que dans leur propre localité (Delmet, 1993 : 88).

L’année 1942 correspond aux premières revendications pour l’autodétermination et indirectement l’indépendance. Les partis s’organisent, et en particulier le parti communiste qui trouve une large audience auprès du peuple. L’idée d’une réunification nord-sud voit le jour en 1945, et se concrétise en 1948. Des projets sont alors lancés pour tenter de rattraper le retard de la province méridionale, qui n’a bénéficié que de faibles investissements britanniques, largement concentrés au nord du pays. Seuls quelques îlots ont tiré profit du saupoudrage économique anglais. Déjà, les Nordistes voient d’un mauvais œil cette province du Sud sous-développée qu’on entend lui rattacher. Tout aussi méfiants, les Sudistes craignent d’être placés sous la dépendance du Nord. Ils finissent par se rallier en décembre 1955 moyennant la mise en place d’un État fédéral. Le 1er janvier 1956, le Soudan est officiellement indépendant.

Cette colonisation duale est à l’origine du clivage nord/sud toujours d’actualité au Soudan. Contrairement à la Mauritanie, l’administration britannique fut directe dans le Nord Soudan, ce qui reflète le grand intérêt que portaient les Britanniques à cette partie de l’Afrique. La situation et la colonisation sont donc inversées : en Mauritanie, c’est la vallée, donc le sud du futur État qui retient l’attention alors que le Sud Soudan n’apparaît aux yeux des Britanniques que comme un ensemble d’ethnies complètement désorganisé et inintéressant. Les Français entendent s’appuyer sur les populations noires, qu’ils forment, pour asseoir leur domination et mettre en valeur le pays tandis que les Britanniques s’appuient principalement sur les Arabes. D’une situation inversée, on se retrouve face à une même dualité spatiale et surtout à une même configuration car, dans les deux cas, à l’indépendance, c’est aux populations du Nord que sera confié le pouvoir.

2.1.3 Nommer et délimiter les espaces : conséquences des deux colonisations L’époque de la colonisation implique de nombreux changements sociaux et spatiaux. L’espace n’est plus simplement vu comme une étendue inorganique composant le paysage, mais bien comme un support consubstantiel à l’occupation étrangère. A partir des exemples gabonais et congolais, Roland Pourtier (1989 c) note que la colonisation introduit de nouveaux « modèles et principes de contrôle territorial » qui nécessitent la localisation des individus. En les situant précisément dans l’espace, les colons produisent un territoire qu’ils reproduisent ensuite sur des cartes, étant entendu que « la maîtrise graphique de l’espace permet d’assigner une place à chacun » (Ibid : 289). Les terres demeurées incognitae diminuent et les « blancs » des cartes sont progressivement comblés. Toujours dans cette optique de contrôle spatial, la priorité est donnée à la division, le cloisonnement, l’enfermement dans des limites précises dont les fameuses frontières coloniales sont les symboles75

75 Entre 1885, date de la Conférence de Berlin, et 1910, 70 % des frontières africaines furent dessinées

(Brunschwig, 1971).

. Pour établir ces limites, on s’en réfère bien souvent aux ruptures morphologiques perceptibles à l’œil nu : une montagne, une plaine, un fleuve… Dans cet esprit, c’est « tout naturellement » que le fleuve Sénégal s’impose aux Français comme barrière entre les Maures nomades et les sociétés noires sédentaires, alors même que les mouvements de population entre les deux rives étaient une constante (Leservoisier, 1994 : 68-78). S’ensuit le traçage de la frontière et la marginalisation des populations négro-africaines, minoritaires à l’échelle du nouveau territoire. A l’intérieur de ces premières limites, d’autres sont encore dessinées car l’articulation du territoire à partir de plusieurs échelons administratifs s’impose. A cet égard, la Mauritanie est divisée en cercles, et le Soudan en trois provinces. De même, une langue allogène, celle du colonisateur, est imposée afin de devenir un identifiant extérieur