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2. LES COLLOCATIONS TRANSDISCIPLINAIRES

2.3 Collocations transdisciplinaires

2.3.1 Collocations transdisciplinaires : définitions

Dans le cadre des études consacrées à l’étude du lexique dans les écrits scientifiques, une distinction a été établie entre des collocations générales, des collocations terminologiques ou spécialisées et des collocations scientifiques transdisciplinaires. Le premier groupe concerne les associations privilégiées de lexèmes qui apparaissent en langue de spécialité ainsi qu’en langue générale (prendre en compte, mettre fin à, etc.). Le deuxième concerne les associations de mots qui caractérisent notamment les discours spécialisés. Nous trouvons ainsi des collocations propres au discours juridique (porter plainte) et d’autres au discours médical (administrer un médicament).

Il existe enfin des combinaisons de mots appartenant à la langue générale mais à usage spécifique. Ces collocations (émettre une hypothèse, mettre en évidence, hypothèse validée) font parties d’un lexique partagé par la communauté scientifique, transversal à différents domaines de spécialité et fréquemment utilisé dans les divers écrits de recherche scientifique. C’est de par leurs usages spécifiques et leur place privilégiée dans ce genre d’écrits que ces collocations se distinguent des autres.

131 Les collocations transdisciplinaires font partie intégrante d’un ensemble plus large qu’est le lexique transdisciplinaire. Les travaux autour de ce lexique se situent dans la lignée de ceux consacrés autrefois au « Vocabulaire Général d’Orientation Scientifique » (V.G.O.S).

Le V.G.O.S a été élaboré par une équipe du CREDIF dirigée par Phal (1971) suite aux recherches menées sur le Français Fondamental : « le CREDIF a été amené à greffer sur ce tronc commun que constitue le français fondamental (1er et 2er degrés), divers vocabulaires spécialisés dont le but est, une fois encore, de permettre à l’étudiant d’aller précisément à l’essentiel » (Goughenheim &al., 1964 : 13). C’est un vocabulaire intermédiaire entre le vocabulaire usuel et le vocabulaire spécialisé, voire terminologique.

Le vocabulaire scientifique général est […] commun à toutes les spécialités. Il sert à exprimer des notions élémentaires dont elles ont toutes également besoin (mesure, poids, rapport, vitesse, etc.) et les opérations intellectuelles que suppose toute démarche méthodique de

la pensée (hypothèse, mise en relation, déduction et induction, etc.)

(Phal, 1971 : 9)

Michéa, à qui on doit le nom V.G.O.S, donna le sens suivant à ce vocabulaire :

- « vocabulaire général », à la fois parce qu’il fait partie du lexique général de la langue et parce qu’il est commun à toutes les spécialités considérées du point de vue spéculatif ;

- « d’orientation scientifique », à la fois parce que le sens des mots qui le constituent est orienté par les contextes spécialisés dans lesquels ils sont employés et parce qu’il fournit à quelqu’un qui en a la maitrise, l’essentiel du bagage linguistique nécessaire à qui veut s’orienter vers des études scientifiques ou techniques (Phal, 1971 : 9)

Dans la Préface de l’enquête, il est noté qu’à l’origine de ce projet, sont des difficultés auxquelles se heurtent les étudiants étrangers venus en France étudier les sciences et les techniques. Ces difficultés situées dans l'espace intermédiaire entre la langue courante et les langues spécialisées sont toujours d'actualité et sont au cœur de nos préoccupations dans la présente étude est à l'origine de notre intérêt accordé au lexique transdisciplinaire. Il importe de préciser que le corpus ayant servi à l'élaboration

132 du V.G.O.S est composé de textes écrits appartenant aux domaines des mathématiques, de la physique, de la chimie et des sciences naturelles. Phal a procédé au dépouillement semi-automatique intégral d’un corpus de 1794 500 mots et ce en effectuant des analyses de fréquence et de dispersion. Ses listes comportent des unités lexico-syntaxiques du type en fonction de, dans le cas de, des unités verbales du type effectuer un prélèvement, mener à bien, et des unités substantivales comme unité, valeur, rapport. Quant aux mots sélectionnés, ils sont autant que possible accompagnés d’indications d’ordre grammatical et d’ordre sémantique.

Trente ans plus tard, Pecman (2004 ; 2007) poursuit ce travail en s'intéressant spécifiquement aux unités phraséologiques et ce dans une perspective comparative entre le français et l'anglais et en vue de l’aide à la rédaction scientifique. Elle consacre son travail à l'étude de la Langue Scientifique Générale (L.S.G) qu'elle explique en faisant appel à la notion « communauté de discours »49 introduite par Swales (1990).

Pratique langagière spécifique à une communauté de discours composée de chercheurs en sciences exactes dont les objectifs communicatifs poursuivis émanent des préoccupations partagées par des scientifiques à travers le monde et indépendamment de leurs spécificités disciplinaires.

La langue scientifique générale est composée d'un certain nombre de « formules » préconstruites ou structures figées, parmi elles figurent effectivement les collocations. Pecman, à l'instar de Phal, se penche uniquement sur l'étude du lexique général scientifique dans un corpus de sciences exactes. Les textes appartiennent ainsi aux domaines de la physique, de la chimie et de la biologie.

Tutin (2007) et Drouin (2007) s'intéressent également à l'étude de ce lexique dans une optique totalement transdisciplinaire ; ainsi leurs corpus de travail incluent des domaines appartenant à la fois aux sciences expérimentale, sociale et humaine. D'ailleurs, ce choix est conforme à l'appellation que Tutin choisit d'accorder à ce lexique: « le lexique transdisciplinaire des écrits scientifique » qu'elle définit comme étant un lexique commun aux articles de recherche, monographies scientifiques, mémoires, thèses et aux rapports de recherche. Elle ajoute que ce lexique permet à la communauté scientifique de décrire et de présenter l’activité scientifique

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Ce lexique peut être considéré comme un lexique de genre, n'intégrant pas la terminologie du domaine, mais renvoyant aux concepts mis en œuvre dans l'activité scientifique. Il transcende donc les domaines à l'intérieur d'une même famille de pratiques scientifiques […] et présente un noyau commun significatif entre disciplines.

Le travail de Tutin se place dans la perspective de développer des outils d’aide à la rédaction et ses listes ont le mérite d’être proposées avec des classements sémantiques. Drouin s’intéresse non seulement à l’extraction de ce lexique mais aussi à sa description. Il préfère parler de « lexique scientifique transdisciplinaire » qu'il définit ainsi :

Le LST transcende les domaines de spécialité, présente un noyau lexical comme significatif entre les disciplines. Le lexique scientifique transdisciplinaire n'est pas saillant dans les textes scientifiques dans la mesure où, contrairement à la terminologie, il se rencontre également dans la langue commune. Par contre il est au cœur même de l'argumentation et de la structuration du discours et de la pensée scientifique (Drouin, 2007 : 45)

Nous évoquons deux recherches menées en anglais dans le domaine de l’ « English for academic purposes » s’intéressant au lexique dans les écrits universitaires. Dans une perspective pédagogique, Coxhead (1998) établit une Academic word list en s’appuyant sur un corpus d’écrits académiques (3,5 millions de mots) appartenant à des domaines variés (art, sciences, commerce, etc.). La sélection est effectuée selon des critères statistiques et a abouti à une liste qui comprend 3100 mots appartenant à 570 familles morphologiques. Plus récemment, Paquot (2010) propose une nouvelle définition de ce lexique indispensable aux étudiants non natifs dans la rédaction de leurs écrits universitaires : « a wide range of words and phraseological patterns that are used to refer to activities which are characteristic of academic discourse, and more generally, of scientific knowledge, or to perform important discourse reorganizing or rhetorical functions in academic writing50 » (pp. 3-4). Cette

50 [un éventail riche en mots et phénomènes phraséologiques utilisés pour désigner les activités

caractéristiques du discours académique, et plus généralement, des connaissances scientifiques, ou pour assurer une réorganisation importante du discours ou encore pour remplir des fonctions

134 définition sous-tendra la méthodologie de sélection des 930 unités lexicales constituant l’Academic keyword list. Paquot insiste sur la nécessité de fournir aux étudiants non natifs les moyens pour accéder aux collocations propre à la rédaction des discours universitaires et scientifiques étant donné que « Learners have no way of knowing which collocations are congruent in the mother tongue and the foreign language [...] » (Paquot, 2010 : 204).

Le lexique transdisciplinaire dans les écrits universitaires est donc une pratique langagière propre à une communauté de discours, en l'occurrence la communauté scientifique. Il ne s’agit pas de lexèmes crées spécifiquement pour répondre à des besoins d’expression mais plutôt de lexèmes relevant du lexique général mais ayant un usage spécifique à l’activité de recherche. Ce lexique ne comporte pas uniquement des mots isolés mais aussi une phraséologie riche permettant, entre autres, de structurer le discours scientifique, de communiquer son savoir et d’établir un raisonnement réussi et solide. « Le lexique transdisciplinaire ne renvoie pas aux objets scientifiques des domaines de spécialité, mais au discours sur les objets et les procédures scientifiques » (Tutin, 2007 : 6)

Des points communs existent donc entre les différentes définitions fournies, ce qui laisse entendre qu’il s’agit d’un lexique facile à définir. Cependant des divergences existent bel et bien quant à la délimitation de ce lexique. « Circonscrire le lexique scientifique général ne va pas de soi » affirme Tutin (2007 : 6), plusieurs facteurs y interviennent. Un travail de délimitation suppose naturellement l’élaboration d’un corpus d’étude. Or la construction d’un corpus est le résultat d’une série de choix effectués qui détermineront par la suite les résultats des analyses réalisées. Les choix sont liés à la taille du corpus, les types d’écrits examinés et les disciplines représentées. Les résultats dépendent également des méthodes d’analyse adoptées. Les chercheurs auront aussi le choix d’inclure dans les listes à élaborer soit des mots simples, soit des unités polylexicales, etc. Enfin, Tutin (2007 : 6) évoque un autre facteur intervenant dans la délimitation du lexique : « […] il est difficile de répartir les mots, par essence polysémiques et polyfonctionnels, dans des strates étanches ».

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2.3.2 Collocations transdisciplinaires dans les écrits de recherche