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1. La phraséologie

1.2. Collocations

Les collocations constituent notre principal objet d’étude. Notre base de données est surtout composée par ce type de phrasèmes, qui ont suscité de nombreuses discussions dans le cadre des études phraséologiques.

Comme pour les pragmatèmes, nous allons utiliser la typologie et le classement d’Igor Mel’čuk (2011), qui considère la collocation comme un phrasème lexical semi-contraint et semi-figé où l’un de ses constituants est librement choisi par le locuteur pour son sens. Cette composante est la base de la collocation et elle se trouve en position communicativement dominante. L’autre composante, la deuxième, c’est le collocatif et il est sélectionne en fonction de la base. Le collocatif est figé à une base collocationnelle concrète, mais la base peut être utilisée librement sans un élément collocatif. Dans un exemple comme

velocitat vertiginosa

le nom est choisi librement en tant que base de la collocation et l’adjectif est sélectionné en fonction du premier et c’est, donc, le collocatif. L’adjectif vertiginosa a besoin de cette base spécifique puisqu’il ne peut pas apparaître avec n’importe quel nom en tant qu’intensif. Par contre, le nom velocitat est libre et il peut conc apparaître sans aucun élément collocatif.

33 La compositionnalité des collocations est aussi un peu particulière. Comme le sens de l’une de ses composantes (base) est respecté dans le sens global à exprimer, le collocatif reçoit un nouveau sens quand il est accompagné de cette base, et c’est ce nouveau sens qui est inclus dans le résultat final. En effet,

mémoire d’éléphant

veut dire ‘mémoire exceptionnelle’. Ici, le sens de mémoire est respecté mais comme la culture et la tradition atribuent à l’animal la réputation d’avoir une très bonne mémoire, c’est ce nouveau sens d’éléphant (‘animal ayant une très bonne mémoire’) qui est inclus.

Certains collocatifs partagent plusieurs bases lorsqu’elles ont des liens sémantiques communs : la même famille sémantique (bosc / selva impenetrable), des synonymes (flama inextingible vs foc inextingible), des antonymes (negació rotunda vs afirmació rotunda), etc. Il est de même possible que les deux bases n’aient aucun lien (soleil de plomb vs sommeil de plomb). Cependant, dans la plupart des cas, le collocatif n’est figé qu’à une seule base (vérité d’évangile, silenci sepulcral, por cerval…).

Ces caractéristiques nous permettent d’affirmer qu’aussi bien les structures adverbiales comparatives du type rouge comme une tomate, vermell com un tomàquet ou més vermell que un tomàquet, que celles à base verbale du type courir comme un fou, córrer com un boig ou córrer més que una llebre, sont des collocations et non pas des locutions. Dans ces structures, la base est reliée au collocatif par un adverbe qui gère la comparaison.

La relation sémantico-lexicale entre la base et le collocatif a été décrite par Mel’čuk et Zolkovskij (1995 ; 2003) moyennant les fonctions lexicales (FL). Dans notre étude nous suivirons la notion de collocation telle que postulée dans le cadre de la théorie Sens-Texte.

Les FL sont des fonctions au sens mathématique du terme, dont f(x) = y. Dans cette équation traditionnelle, x est l’argument et y sa valeur. Prenons l’exemple pleurer comme une Madeleine, où f = intensificateur (Magn), x = pleurer, y = comme une Madeleine. La valeur intensive du verbe pleurer est apportée par comme une madeleine.

La fonction établit une correspondance entre une lexie, appelée argument ou mot-clé, et une autre lexie ou un ensemble de lexies, qui serait la valeur de la correspondance.

34 Comme cette fonction se matérialise sur des lexies, les fonctions d’appellent donc lexicales.

Si l’on compare les phrasèmes collocatifs fort comme un turc et froid de canard, on peut constater que les éléments comme un turc et de canard ont une valeur intensive par rapport à leurs respectifs arguments. Il ne s’agit pourtant pas de synonymes et ils ne sont pas interchangeables non plus, dans la mesure où *fort de canard ou *froid comme un turc n’auraient aucun sens.

Pour classer les différents types de FL, observons de près la définition qu’en donne Mel’čuk (2003 : 11) :

« Une correspondance lexicale f qui associe à une lexie L d’une langue L7 un ensemble f(L) de lexies de L est une fonction lexicale si, et seulement si, une de deux conditions suivantes A et B est satisfaite : conditions suivantes : ou bien elles peuvent s’appliquer à plusieurs lexies (FL standards ou normales), ou bien elles ne sont appliquables qu’à une seule lexie ou, peut-être, à deux ou trois sémantiquement apparentées (FL non standards ou dégénérées).

En effet, la fonction Syn peut s’appliquer à presque toutes les lexies d’une langue,

35 Syn(voiture) = automobile, bagnole…

Syn(armoire) = placard

Par contre, les FL dégénérées (non standards) peuvent seulement s’appliquer à une lexie ou à un maximum de trois si elles ont des liens sémantiques. Pour les exemples qui suivent, les deux FL ne fonctionnent qu’avec les lexies chaise et cadira :

‘Pour les petits enfants’ (chaise) = chaise d’enfant, chaise haute…

‘Instrument d’execució’ (cadira) = cadira eléctrica

Pour ce qui est de notre étude, nous allons surtout parler des FL standard. Ce groupe peut être sous-divisé comme suit :

Standard Non standard

Simples Complexes

Paradigmatiques Syntagmatiques Mixtes

Les FL mixtes seront celles qui combinent une FL standard et une FL non standard.

Exemples :

Magn(fred) = infernal vs ‘Sans vent’ Magn(fred) = secret

Magn(ignorància) = crassa vs ‘Inexcusable’ Magn(ignorància) = supina

‘Incroyable’ Magn(ignorància) = fabulosa

36 1.2.1. Collocations standard

Les collocations standards sont celles gérées par une FL standard. Mel’čuk (2003 :13) la définit de la manière suivante :

Une fonction lexicale f est dite standard si, et seulement si, les deux conditions suivantes sont simultanément satisfaites :

1. f est définie pour un grand nombre d’arguments. (Autrement dit, f a une vaste concurrence sémantique : le sens ‘f’ est suffisamment abstrait et général pour être compatible avec beaucoup d’autres sens).

2. f possède un grand nombre de valeurs différentes. (Autrement dit, l’ensemble de toutes les valeurs de f pour tous les arguments est suffisamment grand).

Pour qu’une FL puisse être considérée standard elle doit pouvoir exprimer le rapport sémantico-lexical entre un grand nombre d’arguments et leurs valeurs qui, à leur tour, doivent être nombreuses et variées. Quand une valeur s’utilise pour plusieurs arguments, mais pas pour n’importe quel, il ne faudra expliciter que les cas où cette valeur n’est pas possible.

Les FL permettent non seulement de décrire la relation entre les lexies mais aussi elles font partie du processus de paraphrasage lexical. Les FL standard peuvent être simples ou complexes. Mel’čuk a recensé une soixantaine de FL standard simples. Une propriété importante de ces FL réside dans leur valeur universelle, c’est-à-dire qu’elles sont présentes dans presque toutes les langues. Les complexes se forment à partir de FL simples avec un lien syntaxique dont l’union fait un tout indécomposable, par exemple IncepOper, AntiReal, AntiMagn, etc. Sous le nom de configuration des fonctions lexicales on trouve des fonctions lexicales simples ou complexes qui, bien que n’ayant aucun lien syntaxique, doivent être reliées du moment où elles partagent le même argument ou mot-clé, par exemple [Bon+Magn](idea) = de geni : ‘très bonne idée’.

Les FL standards simples peuvent se diviser en deux classes : paradigmatiques et syntagmatiques. Les premières représentent les relations paradigmatiques et dérivationnelles entre lexies et elles impliquent la possibilité de remplacer le mot clé dans un texte par un élément de sa valeur. Par contre, les deuxiènes se chargent des relations syntagmatiques des lexies et de la collocation proprement dite, d’où que la valeur accompagne le mot clé. En fonction de leur valeur dans le texte, aussi bien les simples que les complexes se sous-divisent en nominales, adjectivales, verbales ou adverbiales.

37 Sans entrer dans le détail, nous présenterons ici quelques FL standard simples :

Fonctions lexicales simples paradigmatiques :

- Syn. : synonymie exacte ou quasi-synonymie. On peut lui ajouter l’indice ⊃, ⊂ ou ∩ pour indiquer s’il s’agit d’un synonyme à grande extension sémantique (⊃), à petite extension (⊂) ou à à peu près la même (∩).

Exemples : Syn(voiture) = automobile, Syn⊃(amour) = adoration (pour un être divin ou un amour passionné).

- Anti : antonymie exacte et quasi-antonymie, cette fonction peut être accompagnée des mêmes indices que Syn.

Exemple : Anti(amour) = haine.

- S0, V0, A0, Adv0 : dérivés syntaxiques qui ne comportant aucun changement de sens.

Exemples : V0(respect) = respecter ; N0(acheter) = achat.

- Sing : le singulier d’un mot qui représente un groupe est différent de celui du groupe.

Exemple : Sing(bois) = arbre.

- Mult : ensemble régulier de Sing.

Exemple : Mult(camion) = convoi.

Fonctions lexicales simples syntagmatiques : - Magn : rapport d’intensité.

Exemple : Magn(froid) = de canard.

- Bon: qualifie positivement la base au sens général de bon / bien.

Exemple : Bon(idée) = splendide.

- Oper, Func et Labor : rapport entre le mot prédicatif et son verbe support. La différence entre les trois FL s’établit en raison de la fonction syntaxique du mot-clé : Oper, COD, Func, Sujet et Labor, COI. Ces FL peuvent être accompagnées de chiffres (1, 2, 3…) qui renvoient aux actants du verbe. Dans le cas de Func, elle peut être suivie d’un 0 indiquant l’absence de compléments d’objet.

Exemples : Oper1(bisou) = faire [à N] ; Oper3(bisou) = recevoir [de N] ; Func1(musique) = sonner ; Func0(nuit) = tomber ; Labor1(interrogatoire) = soumettre [N à].

38 1.2.2. Collocations non standard

Contrairement aux FL standards, les non standard ne peuvent pas être énumérées a priori. Comme elles expriment des relations très spécifiques et très concrètes et elles ne sont pas prévisibles, elles ne peuvent pas être inventoriées que lorsqu’on les trouve dans les textes. En plus, leur spécificité ne permet pas de vérifier leur caractère universel.

Exemples : première récolte(thé) = impérial ; à feuilles fraîches par torréfaction et sans fermentation(thé) = vert ; à partir de feuilles sèches de théier par flétrissage et fermentation(thé) = noir, etc.

Les FL non standards sont très liées à l’histoire et à la culture, et elles accompagnent normalement des noms concrets (boissons, viandes, vêtements, etc.). Les langues spécialisées abondent en fonctions non standards. Comme nous l’avons déjà dit, elles peuvent se combiner avec des FL standard pour produire des fonctions mixtes. Soit l’exemple catalan :

Magn(cara) = d’àngel bufador, de cul, de lluna plena, de pa, de pa de quilo, de pa de ral...

Toutes ces valeurs intensives de cara ne sont pas équivalentes. Pour en établir la différence, il faut utiliser les FL non standard grosse et ronde :

Magn(cara) = de cul, de lluna plena, de pa de quilo, de pa de ral ronde Magn(cara) = de pa

grosse Magn(cara) = d’àngel bufador.

Si le recensement et la description lexicographique de ces fonctions représentent une tâche ardue, il en est de même pour leur traduction. Soit le nom café. En catalan ou en espagnol on dit sans produit laitier (café) = sol (catalan), solo (espagnol). Ce même café en français serait noir. Un café contenant un peu de lait serait pour les Catalans un tallat (littéralement ‘coupé’) et cortado pour les Espagnols, mais les Français utilisent noisette (couleur). On pourrait très bien dire que chaque description d’une FL non standard est une mini-définition. Nous verrons dans notre base de données que l’élision de la base en catalan est une procédure possible et récurrente, même obligatoire dans certains cas. En effet, dans des expressions telles que (adust) com una ortiga, (coent)

39 com una brasa, (crèdul) com un bou beu aigua, etc., l’utilisation de la base pourrait être considérée comme redondante.

1.2.3. L’application des fonctions lexicales

Les dictionnaires en support papier et les nouveaux dictionnaires électroniques oublient très souvent les collocations. Pour la plupart d’entrées, ils ne consignent presque jamais d’information syntaxique ou sémantique. Par exemple, si l’on cherche la lexie memòria dans un dictionnaire catalan, on ne trouvera pas la collocation memòria d’elefant. De même, si nous cherchons petó, la description restera insuffisante du moment où le dictionnaire ne fait aucune référence à la fonction Oper fer / rebre un petó.

Indiquer explicitement tout ce qui est pertinent pour les emplois d’un mot concret est le but du Dictionnaire Explicatif et Combinatoire (DEC), un dictionnaire créé par le GRESLET8 de Montréal, à partir de la lexicologie explicative et combinatoire de Mel’čuk. Le DEC s’appuie sur les fonctions lexicales pour décrire exhaustivement chaque lexie et sa combinatoire syntaxique et lexicale. Il s’agit donc d’un dictionnaire très complet qui peut être utilisé par les experts ainsi que par le grand public.

Le DiCo/LAF9 se fonde également sur la théorie Sens-Texte. Il s’agit d’un projet du début des années quatre-vingt-dix, résultat de la collaboration entre Igor Mel’čuk et Alain Polguère. Le DiCo est informatisé et ses entrées ne contiennent pas seulement d’information sémantique, mais aussi de combinatoire lexicale. Le LAF serait la mise en papier du DiCo.

Les FL sont également à la base de notre dictionnaire bilingue. Nous avons choisi de stocker les collocations à fonction Magn, l’un des groupes les plus riches et les plus nombreux par leur diversité lexicale, mais on y trouvera également certaines fonctions complexes telles que AntiMagn, des configurations de fonctions lexicales comme [Magn+Bon] et des collocations dont la valeur intensive est accompagnée soit d’un aspect temporel Magntmp, soit d’autres valeurs (cf. 2.2.6. D’autres valeurs qui peuvent accompagner l’intensité).

8 Groupe de Recherche en sémantique, lexicologie et terminologie.

9 DiCo : Dictionnaire combinatoire ; LAF : Lexique actif du français

40 Les collocations que nous avons recensées dans notre base de données ne se centrent pas seulement sur les FL, mais elles sont aussi décrites d’après leurs structures syntaxiques, qui sont à la base de notre dictionnaire avec la fonction Magn. Nous sommes de l’opinion qu’un dictionnaire détaillé et rigoureux des collocations, contenant les valeurs des FL ainsi que toute l’information pertinente, est nécessaire pour l’usager, qui devrait y trouver tous les collocatifs des lexies d’une langue.

En outre, le classement par structures syntaxiques nous permett d’adapter notre base de données pour son implémentation par le système NooJ10 afin d’aider les linguistes dans leurs recherches et de mettre à disposition de la communauté de chercheurs des informations plus exhaustives sur ces structures semi-figées.