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2. L’expression de l’intensité : comparaison des structures catalanes et françaises

2.2. L’intensité lexicale

2.2.2. Collocations à base verbale

2.2.2.3. V+ADV

Bien que les collocations intensives à structure V+ADV sont très fréquentes aussi bien à l’oral qu’à l’écrit, leur recensement nous a semblé très compliqué car les dictionnaires n’en tiennent pas compte. Nous avons réussi à recenser 32 collocations à fonction Magn et 5 à fonction AntiMagn, que nous avons conservées puisque l’adverbe collocatif est exclusif de la collocation. En effet, nous ne trouvons ces adverbes que dans un contexte collocationnel :

- anar (xano-xano ; xau-xau ; xino-xano) - caminar (daixo-daixo ; xano-xano)

87 Ces cinq collocations veulent dire ‘marcher posément’. Pour parvenir à les comprendre, il est indispensable d’interpréter le sens d’un adverbe très opaque qu’on ne trouve pas normalement dans les dictionnaires bilingues, puisqu’il s’agit d’une forme exclusive de la collocation. Voici ce qu’en dit le dictionnaire informatisé des éditions Larousse40 :

40 Dictionnaire Informatisé diccionaris.cat, Llengua catalana, Larousse S.L. (2014), consulté en ligne le 20/10/15.

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89 Ces trois copies d’écran présentent les résultats infructueux de notre recherche pour les adverbes xano, xau et daixo-daixo, qui n’y sont pas traités. Par approximation, le dictionnaire propose xauxa et daixonses, deux entrées qui n’ont rien à avoir avec nos adverbes.

Par contre, le dictionnaire Alcover-Moll41 qui, lui, tient compte des différents dialectes du catalan, recense daixo-daixo :

La même recherche dans la combinatoire catalan-français des diccionaris.cat, consulté en ligne à la même date, montre ceci :

41Diccionari Alcover-Moll, Institut d’Estudis Catalans, consulté en ligne le 20/10/15.

90 L’aide des outils lexicographiques devient particulièrement indispensable pour décrire ce type d’adverbes dont l’usage serait exclusivement collocationnel et qui n’apparaissent même pas dans des dictionnaires monolingues. Pour comparer ces résultats de dictionnaires en ligne avec ceux en papier, cf. 3.2. (Analyse des dictionnaires bilingues catalan-français).

En revenant sur la fonction Magn, les collocatifs adverbiaux peuvent être classés dans les six catégories suivantes :

- Adverbes terminés en -ment

C’est l’une des catégories les plus habituelles. Ces adverbes existent en dehors de la collocation mais quand ils accompagnent un verbe déterminé, leur sens varie et ils fonctionnent comme des intensifieurs du verbe, comme dans l’exemple estimar apassionadament. Ici, l’adverbe prend la valeur ‘aimer beaucoup quelqu’un ou quelque chose’ mais, dans un autre contexte, il voudrait dire ‘d’une manière passionnée’.

- Adjectifs et/ou participes passés

Dans ce groupe, très habituel aussi, nous trouvons des adjectifs ou des participes passés qui se comportent comme un adverbe, c’est-à-dire qu’ils accompagnent et modifient

91 leur base verbale (dormir pla). En effet, ici l’adjectif pla n’aurait aucun rapport apparent avec le verbe dormir mais, dans le contexte de la collocation, non seulement il se comporte comme un adverbe mais il en modifie le sens, la collocation voulant dire

‘dormir très profondément’.

- Adverbes simples

Nous n’avons recensé qu’une collocation susceptible d’être classée dans ce groupe, dormir arreu, dont l’adverbe, dans son emploi non figé, veut dire ‘partout’ et, dans la collocation, ‘profondément’.

- Adverbes composés

Cette catégorie regroupe deux collocations dont les adverbes sont très différents. D’un côté, l’expression ploure bota canal est formée par deux noms qui perdent leur sens premier pour former un nouveau sens. Dans la collocation, il prendrait la valeur adverbiale ‘beaucoup’. D’un autre côté, quedar-se bocabadat comporte un adjectif qui est composé d’un nom suivi du participe passé du verbe badar. Même si bocabadat existe en tant qu’adjectif, son emploi en dehors de la collocation n’est pas habituel.

Nous l’avons classé sous la rubrique d’adverbes composés puisque, dans le contexte collocationnel, il exprime la manière (‘bouche bée’). Les adverbes analysés au début de cet alinéa pour les collocations V+ADV AntiMagn font partie de cette catégorie.

- Deux noms, adjectifs ou adverbes coordonnés par la conjonction i

Ces collocatifs se créent moyennant la conjoction i, qui relie deux mots normalement opposés. Ces mots peuvent être des adjectifs (net i cru), des adverbes (ara i sempre) ou des noms (dia i nit ; nit i dia.) Le collocatif net i cru veut dire ‘très clairement’ lorsqu’il accompagne le verbe dir, et c’est le seul exemple qui n’est pas formé par des contraires.

Les autres adverbes apportent la valeur temporelle ‘toujours’, mais quand ils accompagnent leur base verbale, ils signifient ‘beaucoup’ (treballar nit i dia =

‘travailler beaucoup’).

- Noms

Nous avons trouvé dans nos collocatifs un substantif qui se comporte comme un adverbe, car il accompagne et modifie un verbe. Le sens global de descabdellar fil

92 (‘parler beaucoup’) n’a aucun rapport avec le sens individuel des mots qui forment l’expression, dont la traduction littérale serait ‘dévider le fil’.

Voici la catégorisation des collocatifs dont on vient de parler sous forme de grille. Leur nombre et leur pourcentage y apparaissent aussi :

-ment Adj. et

Part. passé Adv.

Simple Adv.

Composé Conjonction

« i » Noms

Apassionadament x 2 Escapat Arreu Bota canal Net i cru Fil

Acerbament Llampat Bocabadat Ara i sempre

Exacerbadament Clar Dia i nit

Acaloradament Car x 2 Nit i dia

Bojament x 2 Prim

Voraçment Apamat

Rotundament Pla

Vertiginosament Fort x 2 Carament x 2 Disparat Terminantment

13/40,6 % 11/34,4 % 1/3,1 % 2/6,2 % 4/12,5 % 1/3,1 %

Toutes ces collocations présentent une caractéristique particulière : au contraire de ce qui arrive avec la plupart des collocations à valeur intensive, le collocatif n’intensifie pas toujours le verbe, mais parfois un aspect concret, voire secondaire, de la définition de la base. Cette caractéristique est propre de structures dont le verbe ne peut pas être intensifié tout seul s’il n’y pas d’autres informations. Dans certains cas, il ne s’agit que d’une information complémentaire qui spécialise la collocation :

- ploure bota canal vs anar escapat

En effet, dans la première collocation, l’adverbe intensifie le verbe : - ploure + bota canal = ploure + (‘à verse’)

Mais, dans la deuxième, le verbe est intensifié et, en plus, un troisième élément y est rajouté :

- anar + escapat = anar + ‘très vite’

93 Le verbe anar (aller) est un verbe de mouvement qui implique, donc, un changement de lieu. On peut très bien dire que le mouvement est l’élément renforcé mais, dans ce cas-là, c’est plutôt la vitesse du mouvement.

La grille ci-dessous montre des collocations à structure V+ADV dont un aspect concret de leur base est renforcé. L’élément intensifié apparaît souligné sous la définition de la collocation :

Collocation Sens

Anar escapat Aller très vite Anar llampat Aller très vite

Besar apassionadament Embrasser d’une manière très passionnée

Cantar clar Parler clair. Ici, cantar (chanter) = parlar (parler) Dir net i cru Dire d’une manière très claire

Dormir prim Dormir très profondément et d’un sommeil très léger Dormir pla Dormir très profondément

Dormir arreu Dormir très profondément Dormir fort Dormir très profondément Estimar ara i sempre Aimer pour la vie

Passar vertiginosament Passer très vite Quedar-se bocabadat Rester bouche bée

Sortir disparat Partir très vite. Ici, sortir = marxar (partir) Tenir apamat Connaître à fond

Pour ce qui est des équivalents français, on observe certaines ressemblances avec la catégorie des collocatifs catalans :

- Des substantifs coordonnés (N et N) : travailler jour et nuit - Des adverbes en -ment : nier catégoriquement

- Des adjectifs : coûter cher

- Des adverbes composés : rester bouche bée

- Des adverbes simples (qui peuvent être renforcés) : marcher très vite

D’autres structures sont aussi possibles : V+prép+C (dormir à poings fermés), V comme C (connaître comme sa poche), etc.

94 Contrairement au catalan, dans notre petit répertoire français nous n’avons pas trouvé de mots qui n’existeraient que dans un contexte collocationnel. Rappelons à ce propos, que nous n’avons affaire ici qu’à un groupe de mots très réduit, qui ont été sélectionnés à partir des collocations catalanes qui composaient notre base de données.

2.2.2.4. [V]+prép.+C

Notre base de données comporte 157 entrées à fonction Magn et 3 à fonction AntiMagn (nous en parlerons à la fin) de type [V]+ prép.+C. Nous voudrions souligner que’une entrée pourrait être aussi gérée par la fonction Bon ([V] de collons), et douze autres admettraient un type particulier de fonction Magn (Magntmp) :

- [V] de collons : Magntmp/Bon - [V] amb dues grapades : Magntmp - [V] amb quatre grapades : Magntmp - [V] amb una grapada : Magntmp - [V] d’un vol : Magntmp

- [V] en dos trancs : Magntmp - [V] en un dir Jesús : Magntmp - [V] en un girar d’ulls : Magntmp

- [V] en un obrir i tancar d’ulls : Magntmp - [V] en un tranc : Magntmp

- [V] en un tres i no res : Magntmp - [V] en un vol : Magntmp

- arribar en un tres i no res : Magntmp

Revenons à ([V] de collons). La collocation peut admettre deux FL selon le contexte, cette expression voulant dire ‘beaucoup’ ou ‘très bon’42. En effet, lorsqu’on dit en catalan el dinar estava de collons, la collocation porte sur la qualité (‘très bon) ; par contre, quand on dit fa un fred de collons, elle porte sur la quantité (‘très froid’, un froid de canard).

42Nous avons consulté pour les définitions les sites web du DIEC et du Dictionnaire Alcover-Moll. Les références exactes se trouvent dans la bibliographie.

95 Pour ce qui est de la fonction Magntmp, il s’agit d’une spécification de Magn (intensité du point de vue temporel, souvent par rapport à la durée). Ces collocations s’utilisent pour exprimer la vitesse dans une période de temps réduite. La même chose serait valable pour les équivalents français :

- arribar en un tres i no res = arriver en moins de deux ; arriver en moins de rien Il ne faut pourtant pas confondre les collocations à fonction Magntmp avec celles à fonction Magn dont le sens serait ‘grande vitesse’ :

- anar a brida abatuda = aller à bride abattue

Cette collocation veut dire, elle aussi, ‘aller très vite ; à grande vitesse’ mais, contrairement à l’exemple précédent, le temps mis pour le déplacement n’est pas important. La vitesse serait, donc, le seul élément renforcé.

En revenant sur l’ensemble du groupe [V]+prép.+C, nous y avons trouvé une caractéristique très particulière : 77 expressions (presque la moitié) ne sont pas reliées à une base verbale fixe, autrement dit le verbe de la base admettrait des variantes, normalement, du même champ sémantique. Nous avons identifié ces collocations avec le [V] dans l’espace destiné à la base. Parmi les 77, un petit nombre peut avoir aussi une base nominale ou adjectivale [N/ADJ]. Voici quelques exemples de collocations à base verbale variable :

- [V] a camades = [V] à grandes enjambées

La collocation indique ‘rapidement’ et elle peut s’utiliser avec plusieurs verbes impliquant le mouvement : anar (aller), arribar (arriver), fugir (fuir), etc. La base verbale de l’équivalent français est aussi variable.

- [V] de valent

Ce collocatif pourrait être, en général, remplacé par l’adverbe beaucoup (còrrer / treballar / menjar de valent …), qui n’est pas cependant valable dans tous les cas, une collocation du type *anar de valent étant impossible. Dans un contexte français, elle pourrait être remplacée par des expressions telles que dare-dare, avec force ou beaucoup et les règles pour l’utilisation correcte d’une base verbale seraient les mêmes.

On pourrait dire que ces collocations peuvent avoir comme base un verbe que l’adverbe beaucoup pourrait modifier.

96 - [V] a pes d’or = à prix d’or ; au poids de l’or

Cette collocation s’utilise pour parler de quelque chose dont le prix est très élevé. La base doit être un verbe impliquant une transaction : pagar (payer), comprar (acheter) ou vendre. Les verbes français à utiliser seront les mêmes que pour la version catalane.

Notre base de données comporte aussi certaines collocations dont le collocatif peut accompagner plusieurs bases. Parfois, elles sont synonymes ou quasi-synonymes mais, d’autres fois, elles n’ont pas de rapport sémantique entre elles :

- [V] en un tres i no res - arribar en un tres i no res

Nous avons conservé les deux formes du fait que nous les avons trouvées dans les dictionnaires monolingues du catalan, mais on aurait pu ne recenser que celle dont la base verbale est variable.

- contar / explicar amb pèls i senyals

Dans ce cas, ces deux collocations sont synonymes et les deux formes sont acceptées par les dictionnaires.

- parlar / riure pels colzes

Quoique ces deux verbes ne soient pas synonymes, ils peuvent être accompagnés de ce collocatif qui apporterait la valeur ‘beaucoup’. En français, cepentant, leurs équivalents ont des collocatifs différents. En effet, parlar pels colzes admet comme équivalents parler à tort et à travers, avoir la langue bien pendue ou être un moulin à paroles, tandis que pour riure pels colzes on dirait rire à pleine bouche, rire à gorge déployée, rire à plein gosier ou rire aux éclats.

De même, certaines collocations avec la base verbale anar sont parfois utilisées avec d’autres verbes de mouvement. Nous avons, cependant, respecté la base figée anar, au lieu de la marquer en tant que base variable, puisque c’est la forme que les différents dictionnaires catalans privilégient (anar a brida abatuda ; anar a pas de frare convidat, etc.).

La base de la collocation devient l’élément renforcé dans la plupart des cas. Néanmoins, dans certaines collocations, le renforcement tombe sur un aspect secondaire de la base :

97 - fugir a esperons batuts

Le verbe fugir (s’enfuir) prend la valeur de ‘quitter rapidement un lieu’. L’aspect renforcé par la collocation est ‘vite’.

- anar de quatres

Le verbe anar (aller) indique le fait de ‘bouger pour aller dans une direction déterminée’. Ce mouvement doit se faire en vitesse, l’aspect qui serait donc renforcé.

La grille ci-dessous montre les collocations qui renforcent un élément secondaire de la base verbale. Dans bon nombre de cas, ce sont la rapidité et la quantité les plus intensifiés :

Collocation ou bases Élément renforcé Sens

Verbes de mouvement :

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Esperar amb candeletes Dans ce contexte, esperar signifie ‘avoir l’espoir que qu’une chose va bien se passer’. L’espoir et l’impatience que cela

‘Attendre impatiemment’

99 implique sont les éléments

renforcés.

Explicar amb pèls i senyals V. contar amb pèls i senyals ‘Expliquer dans le détail’

-Nedar en l’abundància

Treure de polleguera Une acception du verbe treure est celle de ‘faire

Viure en l’abundància V. nedar en l’abundància ‘Avoir des ressources importantes’

Pour ce qui est des 3 collocations AntiMagn recensées [V] a pas de formiga

anar a pas de bou anar a pas de bou vell

la rapidité est aussi un élément à prendre en compte. Ces collocations AntiMagn servent à exprimer un mouvement très lent. Nous avons choisi ces trois exemples parce qu’ils apparaissent souvent dans les dictionnaires et parce que très utilisées par les

100 locuteurs. Ces trois exemples partagent certaines caractéristiques abordées dans cette analyse :

- verbe fixe ou variable

- verbe de mouvement où l’élément modifié par la collocation est la rapidité, les trois voulant dire ‘très lentement’.

Quoiqu’un nombre si réduit de collocations ne soit pas suffisant pour décrire une norme, on pourrait cependant affirmer que la structure [V]+prép+C est aussi possibe dans le groupe de collocations gérées par la fonction AntiMagn.

En ce qui concerne les équivalents français, cette structure est également propre de la langue française. Comme en catalan, les prépositions a (à), de, en sont les plus utilisées.

La plupart des équivalents partagent la même structure, mais nous trouvons aussi des adverbes en –ment (largement), des suites V+adv ([V] dare-dare) et des structures comparatives en comme (mentir comme on respire).