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CHAPITRE 2 RÉSUMÉ DES PROPRIÉTÉS DES FILMS DE NANOTUBES DE CARBONE

2.2 Propriétés des réseaux de nanotubes

2.2.3 Coefficient Seebeck

2.2.3.1 Notions théoriques

Le coefficient Seebeck constitue une sonde très fine des propriétés de transport d’un matériau. Pour des systèmes macroscopiques, sa modélisation est généralement basée sur le formalisme de Boltzmann,[70] où le coefficient Seebeck est exprimé à partir d’une intégrale sur les vecteurs d’onde des différents états.[71] Ici, nous avons plutôt opté pour la formulation de Mott et Culter, [23,70] qui permet d’exprimer le coefficient de Seebeck à partir d’une intégrale en énergie, E :

̃ ∫ (

) (

) (2-1)

où kB est la constante de Boltzmann, ̃ est la charge des porteurs, est le potentiel chimique,

est la conductivité différentielle en énergie (présentée à l’équation 1-3) et f0 est la fonction

représentant la distribution d’équilibre des électrons. La fonction ( ) représente une cloche centrée sur le potentiel chimique ayant une largeur de l’ordre de kBT.[16] Le coefficient Seebeck

sera d’autant plus élevé que la conductivité est importante et asymétrique dans la fenêtre d’énergie où se situe cette cloche. Cette asymétrie détermine d’ailleurs le signe du coefficient Seebeck. Pour des semi-conducteurs, l’asymétrie liée à la forme des bandes permet d’utiliser le signe du coefficient Seebeck comme un indicateur du type de porteurs majoritaires.

2 D’après les auteurs, l’absence de percolation dans la conductivité thermique pourrait être attribuée à la résistance

thermique élevée des jonctions nanotube-nanotube ou encore à la résistance thermique élevée entre les nanotubes et la matrice de polymère.

La dépendance en température du coefficient Seebeck présente des caractéristiques distinctes selon la nature du système considéré. Par exemple, les métaux et les semi-conducteurs dégénérés auront une dépendance linéaire. Cette dépendance apparaît notamment dans la formule de Mott (équation 1-2) qui découle de l’équation 2-1 pour ces matériaux.[70] Dans le cas d’un semi- conducteur non-dégénéré, le coefficient Seebeck varie plutôt inversement avec la température:[70]

̃ [

] (2-2)

où est la différence entre le niveau de Fermi et l’extrémité de la bande et est une

constante indépendante de la température.

2.2.3.2 Coefficient Seebeck des nanotubes de carbone

Les premières mesures de coefficient Seebeck ont été réalisées sur des nanotubes assemblés en fagots (et en réseaux) afin de mieux comprendre le transport électronique dans ces systèmes.[72- 75] Ces études ont rapporté une dépendance en température différente de celle d’un métal ou d’un semi-conducteur usuels.[72,73] Tel qu’illustré à la figure 2-6, le coefficient Seebeck tend vers zéro à une température nulle, mais son comportement n’est pas linéaire comme celui d’un métal. Comme les coefficients Seebeck d’éléments en parallèle sont pondérés par leur conductivité électrique respective, on s’attend à ce que dans un fagot les nanotubes métalliques aient une contribution supérieure à des niveaux de dopage faibles. Ainsi, les valeurs des coefficients Seebeck observés à température ambiante paraissaient élevées considérant les faibles coefficients Seebeck des nanotubes métalliques. Des calculs ont prédit des coefficients Seebeck inférieurs à 1 µV/K pour des nanotubes d’indice (10,10) en raison de la symétrie électron- trou.[72,76] Cette symétrie peut toutefois être brisée par plusieurs mécanismes tels que l’interaction entre les nanotubes d’un fagot ou la présence d’états résonants liés à des impuretés.

Dans certains travaux, la dépendance en température du coefficient Seebeck a été modélisée à partir des contributions propres aux différents types de nanotubes (métalliques et semi- conducteurs) pondérées par leur conductivité relative.[72,77] Si l’ajustement avec la courbe expérimentale était satisfaisant, le sens physique des paramètres l’était moins. Le modèle

assumait une très forte contribution positive (de l’ordre de 200µV/K à 300K) des nanotubes métalliques qui s’opposait à celle des nanotubes semi-conducteurs.

Figure 2-6 : Coefficient Seebeck de trois fagots de nanotubes de carbone. Figure adaptée de la référence [72].3

Par ailleurs, la dépendance non-linéaire en température soulève la possibilité d’une contribution des phonons, qui se manifesterait à travers un mécanisme appelé « phonon drag ».[72,76,78]4 Cette contribution des phonons s’ajouterait à la composante diffusive du coefficient Seebeck, proportionnelle à la température. Comme le mécanisme de phonon drag a un effet maximal à basse température, il pourrait causer un épaulement ou même un pic dans le coefficient Seebeck. En effet, le mécanisme est activé thermiquement grâce à l’augmentation de la population phononique, mais son efficacité se détériore à plus hautes températures en raison d’une diminution progressive de la longueur de diffusion des phonons.

3 Adaptation avec permission de J. Hone, I. Ellwood, M. Muno, A. Mizel, M. L. Cohen, and A. Zettl, PRL, Vol. 80,

pp. 1042-1045, 1998. Copyright 1998 de l’American Physical Society.

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Un gradient de température initie dans un système des flux des porteurs de charges et des phonons. Or, à basses températures, ces flux peuvent devenir interdépendants. Les phonons peuvent augmenter (ou restreindre) la diffusion normale des porteurs de charge en leur transférant une partie de leur énergie et de leur quantité de mouvement par des interactions électrons-phonons.

Le mécanisme de « phonon drag » a été démontré de façon élégante pour des films de nanotubes présentant de forts dopages.[78] Ainsi, des pics à 25K et 50K ont été observés pour des films de nanotubes dopés à l’acide nitrique et sulfurique respectivement. Cependant, l’importance de cet effet demeure encore incertaine pour des films de nanotubes non-dopés.

En général, l’interprétation des résultats devient vite complexe pour des réseaux de nanotubes non-dopés, pour lesquels on doit traiter i) les interactions inter-nanotubes dans les fagots, ii) les modifications dans la densité d’états attribuables à la courbure des nanotubes et iii) les effets des molécules gazeuses absorbées sur les parois des nanotubes.[78]

Plus récemment, notre compréhension s’est enrichie grâce à des mesures effectuées sur des nanotubes individuels.[24] Ces mesures ont montré que le coefficient de Seebeck de nanotubes semi-conducteurs était lié à leur conductivité électrique selon la relation de Mott (équation 1-2) et qu’ils pouvaient présenter un coefficient Seebeck très élevé (pic à 260 V/K à température ambiante). De plus, l’expérience a confirmé que les nanotubes métalliques présentaient des coefficients Seebeck plus faibles.[24] Ces derniers résultats suggèrent donc que la présence de nanotubes métalliques dans un réseau contribue effectivement à diminuer le coefficient Seebeck maximal pour un tel système.

2.2.3.3 Effet des gaz sur les propriétés des nanotubes

Les mesures de coefficient Seebeck s’avèrent très sensibles à la présence de molécules gazeuses dans l’environnement des nanotubes. Au début des années 2000, de nombreux travaux se sont intéressés à caractériser l’interaction entre différentes gaz et les nanotubes en utilisant le coefficient Seebeck comme sonde.[74,79-82] Dans le cas d’une interaction faible, telle que la physisorption d’une molécule, la densité de porteurs demeure pratiquement inchangée et le coefficient Seebeck varie légèrement en raison d’un mécanisme supplémentaire de diffusion pour les porteurs. On s’attend alors à ce que dans un régime de faibles perturbations, la variation du coefficient Seebeck soit proportionnelle à celle observée pour la résistance électrique. Une telle proportionnalité a effectivement été observée pour le diazote, le dihydrogène, les gaz nobles (He, Ne, Ar, Xe), des alcools (méthanol, éthanol, propanol).[76,81,82] En contraste, une relation non

linéaire (figure 2-7) a été observée pour le dioxygène et l’ammoniac gazeux, qui a été interprétée comme la signature d’un transfert de charges.[80]

Figure 2-7 : Coefficient Seebeck d’un film de nanotubes représenté en fonction de la variation relative de sa résistivité électrique pour différents gaz. À la résistivité initiale ρo s’ajoute une

contribution supplémentaire ρa, liée à la présence de molécules adsorbées. Adapté de [80].5

Une caractéristique principale qui ressort de ces différents travaux est le rôle capital joué par le dioxygène.[74,79] En effet, le signe du coefficient Seebeck semble directement lié à la présence de dioxygène adsorbé sur les nanotubes, le coefficient étant positif dans l’état « dopé » au dioxygène, négatif sinon.[74,75] Des valeurs comprises entre 45 V/K et -60V/K ont d’ailleurs été obtenues sur un même film pour différents états d’oxygénation.[74] Cependant, l’effet du dioxygène se distingue de celui associé à d’autres dopants (tels des acides ou des métaux alcalins, présentés à la section 2.2.3.4). Le rôle particulier de l’oxygène est notamment mis en évidence dans le comportement de transistors basés sur des nanotubes semi-conducteurs individuels.

5 Adaptation de Chemical Physics Letters, C. K.W. Adu, G. U. Sumanasekera, B. K. Pradhan, H. E. Romero, P. C.

Contrairement au potassium, le dioxygène ne décale pas simplement la caractéristique I-V du dispositif.[83] La présence du dioxygène a plutôt pour effet de faire disparaître la branche n (liée aux électrons). Afin de récupérer le comportement ambipolaire du transistor, un recuit sous vide est nécessaire.

Le rôle du dioxygène a été longtemps débattu. Selon des calculs théoriques, la chimisorption du dioxygène sur les nanotubes n’est pas stable (dans l’état triplet de l’oxygène) et sa physisorption n’entraîne qu’un très faible transfert de charges.[84,85] De plus, des expériences de thermodésorption ont montré que l’adsorption du dioxygène sur les nanotubes était principalement due à des force de Van der Waals, caractérisée par des températures de désorption très basses (de l’ordre de 70K).[86] Parallèlement, les travaux de Heinze et al. ont suggéré que le principal effet du dioxygène était de modifier le travail de sortie des électrodes métalliques, ce qui affectait la hauteur de la barrière Schottky formée entre les nanotubes semi-conducteurs et l’électrode métallique.[83] Cette hypothèse, qui rendait compte de la disparition de la branche n dans les transistors à base de nanotubes individuels, ne permettait cependant pas d’expliquer l’effet du dioxygène sur le coefficient Seebeck de films de nanotubes. Plus récemment, un mécanisme faisant intervenir le couple rédox H2O / O2 a été proposé.[87]

O2 (aq) + 4H+ + 4e- 2 H20 (2-2)

L’équilibre entre le niveau de Fermi et le potentiel rédox conduit à un transfert de charges, ce qui contribue généralement à appauvrir en électrons les nanotubes. Il importe de souligner que ce mécanisme est inopérant en l’absence d’eau, puisque le dioxygène doit se retrouver sous forme aqueuse. Toutefois, comme les nanotubes sont généralement déposés sur des substrats hydrophiles (par exemple, l’oxyde de silicium), une couche d’eau sera naturellement présente si les échantillons ont été exposés à l’air ambiant.

2.2.3.4 Effet du dopage

Comme le démontre l’effet du dopage par le couple eau-dioxygène, le coefficient Seebeck d’un film de nanotubes varie considérablement en fonction de son niveau de Fermi. De plus, à l’instar des semi-conducteurs traditionnels, le signe du coefficient Seebeck est un indicateur du type de porteurs dans les nanotubes. Ainsi, les films dopés par des acides (nitrique et sulfurique)

présentent un coefficient Seebeck positif. Or, des études ont montré que ces acides augmentent la conductivité des films en abaissant le niveau de Fermi dans la bande de valence des nanotubes.[88]. À l’opposé, le coefficient Seebeck des nanotubes devient négatif après un dopage par un métal alcalin (potassium, césium) [89] ou une fonctionnalisation par du polyethylene imine.[90] L’adsorption de ce polymère entraîne un transfert d’électrons vers les nanotubes en raison de la propension des groupements imines à donner des électrons.[91]