• Aucun résultat trouvé

Pour Thollon Behar (2010), « en tout premier lieu, il paraît essentiel de travailler la question

de l’accueil » (p17). Dans le dispositif d’accueil pour les moins de trois ans, le mot accueil est

un terme important. On le trouve 10 fois dans les Programmes de l’école maternelle (2015) et 20 fois dans le document sur la scolarisation des moins de trois ans (2016). « L’adaptation

des enfants de moins de trois ans dépend de la qualité de l’accueil qui leur est fait, de la prise en compte de leurs besoins, mais aussi de l’attention portée aux parents. » (Éduscol c,, 2015,

p5). Le champ de notre recherche se situe à ce moment clé du premier contact entre l’institution scolaire française et le tout petit allophone et/ou multilingue accompagné par ses parents migrants ou issus de l’immigration.

a)

Accueillir

Accueillir les parents, c’est aller à la rencontre d’individus qui ont des représentations et des vécus différents. C’est accepter d’être confronté à des comportements, à des actes, à des réactions qui nous heurtent. Selon Derrida (1997), accueillir, c’est accepter de « s’exposer à

ce visiteur dont les lois et les comportements sont imprévisibles », c’est accepter « de se transformer en fonction de ce qui arrive ». La coéducation nous engage dans une relation où

nous sommes modifiés autant que nous participons à la modification de l’autre. En effet, « aller à la rencontre des parents, c’est aussi aller à notre propre rencontre, dans la mesure

où sommes conduits à « porter attention » à nos représentations, à nos conceptions, nos manières de faire, de penser … quand elles se trouvent confrontées à celles des parents » (De

Carlo, 2006, p20). Cette rencontre, si elle est réussie, permet aux parents et aux professionnels d’apprendre autant les uns des autres.

Pour bien accueillir, il convient également de ne pas généraliser les parcours et les objectifs des familles accueillies. Le piège serait de considérer le groupe et non pas l’individu.

Dans le Danger d’une h istoire unique, Chimamanda Ngozie Adichie l’explique très bien :

« Ma camarade de chambre américaine était choquée par moi. Elle m'a demandé si elle pouvait écouter ce qu'elle appelait ma "musique tribale", et fut par conséquent très déçue quand j'ai sorti ma cassette de Mariah Carey. […] Ce qui m'a frappée, c'était qu'elle avait ressenti de la pitié pour moi avant même de me connaître. […] Ma camarade de chambre connaissait une seule histoire de l'Afrique. Celle de la catastrophe. […] La conséquence de l'histoire unique est celle-ci : elle vole leur dignité aux gens. Elle nous empêche de nous considérer égaux en tant qu'humain. »

Chaque enfant, chaque parent doit être accueilli avec son histoire qui lui est propre et non résumé à sa langue, à sa culture, à ses origines. Toutes les actions à visée coéducative impliquent certes d’être attentifs à l’univers social et aux problématiques rencontrées par les parents. Pourtant il ne faut jamais réduire l’élève et sa famille à leurs problèmes, mais plutôt travailler avec.

Accueillir une langue

À l’école, il faut penser l’accueil des enfants et de leurs parents. Mais dans le cadre de notre recherche, il faut aussi accueillir les langues dans la classe. Ce concept est présent dans plusieurs ouvrages : « penser la diversité linguistique et culturelle à l’école française conduit

inéluctablement à repenser l’accueil des langues des jeunes enfants » (Krüger et al, 2016,

p86), « accueillir les enfants dans le monde des langues » (Hélot, 2007, p189), « accueil des

élèves dans le monde diversifié des langues et accueil des élèves dans la diversité de leurs langues » (Candelier, 2003, p331). Tout comme l’accueil d’une personne, l’accueil d’une

langue doit passer par sa rencontre. Il faut donc ouvrir un espace pour toutes les langues dans la classe, au même titre que la langue de scolarisation, car l’accueil, même s’il est complexe, ne peut se faire que par réciprocité. La coéducation nécessite de faire des projets personnalisés, sans devancer les désirs des parents pour leurs enfants. Par exemple, comme le mentionnent Krüger et al (2016), « certains parents pensent aussi qu’il n’est pas de la

mission de l’école de travailler les langues familiales et qu’il faut plutôt s’intéresser à la langue majeure de scolarisation comme facteur de promotion scolaire et sociale » (p31) En

effet, ce n’est pas parce qu’un parent est allophone qu’il accueillera positivement un projet plurilingue en classe, surtout lorsque son objectif premier est que son enfant parle la langue de scolarisation et qu’il craint que le maintien dans sa langue maternelle freine cet apprentissage.

b)

Prérequis à la coéducation

La coéducation est difficile à mettre en place, car elle nécessite de se mettre d’accord sur les objectifs, sur les finalités puis sur les moyens.

- Les objectifs : une difficulté majeure surgit quand on affronte la question du pourquoi des rencontres. « Les intentions, les finalités, le sens qui sous-tendent les rencontres renvoient

parfois à des interrogations politiques, idéologiques et éthiques ». (De Carlo, 2006, p9)

- Les finalités : une autre difficulté réside dans les notions d’intérêt et de bien-être de l’enfant : qui définit l’intérêt de l’enfant et comment ? Les parents peuvent être désemparés, ballottés entre des savoirs évolutifs et des préconisations instables.

- Les moyens : la coéducation ouvre aussi l’interrogation du comment, qui n’est pas d’abord affaire de techniques, mais « de positionnement : comment créer un espace de rencontre où il

eux » ? » (De Carlo, 2006, p10)

Si l’enseignant se positionne « en expert, adossé aux savoirs dits scientifiques, pour aider des

parents qui seraient moins experts, ou pas experts du tout », cela « crée et installe un rapport de places peu propice à une rencontre et à une possibilité de coopération et d’évolution » (De

Carlo, 2006, p25). Chaque acteur doit donc être valorisé dans son rôle, ses compétences et ses savoir-faire. Sur le site d’ATD Quart Monde, dans le chapitre Le croisement des savoirs et des

pratiques : une démarche, il est expliqué que pour une communication égalitaire, il faut

croiser les savoirs et non pas les additionner « pour construire une plus-value ».