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Chapitre 2 - Cadre géographique, géologique et hydrogéologique de

2.3. Karst et karstification

2.3.1. Généralité sur le karst

2.3.1.6. Classification fonctionnelle des aquifères karstiques littoraux

Du fait de sa mise en place rapide à l’échelle des temps géologiques, l’aquifère

karstique côtier enregistre grâce au développement d’un drainage associé à chaque niveau

marin les variations du niveau de base où est localisée la source, (Drogue, 1996, Bakalowicz,

1999).

Variations du niveau de base

Les variations du niveau de base sont essentiellement liées à l’eustatisme (quelques

milliers d’années), à la tectonique (mouvements lents) et à la crise du Messinien :

Au Quaternaire, les variations eustatiques furent nombreuses et le niveau marin

minimal fut obtenu au cours de la glaciation du Würm. Le niveau était à -120 m par rapport au

niveau actuel. Pendant les phases interglaciaires, le niveau marin fut voisin du niveau actuel

parfois même un peu plus haut. Selon Nicod (1989), la position bathymétrique des sources

sous-marines méditerranéennes et de leurs conduits est en rapport avec la fourchette des

niveaux régressifs du Quaternaire et tout particulièrement du Würm : La Vise (- 30 m), La

Mortola (- 35 m), Moro de Toix (- 12 m).

Des études géologiques et géomorphologiques attestent de la présence de conduits

profonds, qu’il n’est pas toujours aisé de mettre en relation avec un ancien niveau de base. Par

exemple les levés topographiques effectués sur le conduit de Port-Miou (Cassis), à partir de

l’exutoire jusqu'à 800 m à l’intérieur de l’aquifère ont révélé que le conduit est horizontal, sur

toute la longueur, entre – 10 m et – 20 m de profondeur, puis qu’il s’approfondit brutalement et

atteint une profondeur de – 147 m. Ceci prouve que la karstification de l’aquifère avait un

ancien niveau de base ayant une côte inférieure à –147 m. Ce niveau n’est pas compatible avec

les variations du niveau de base induites par les glaciations et met en évidence la présence d’un

réseau profond associé à un événement de plus grande ampleur.

-La crise du Messinien

L’érosion karstique au cours du Tertiaire (Miocène terminal) et durant le Pliocène a

entraîné la maturation des systèmes karstiques. Cette évolution s’est poursuivie au Quaternaire

où elle a atteint une grande intensité, conditionnée par les oscillations du niveau marin. Ces

oscillations du niveau de base ont été d’une importance particulière dans l’évolution en

profondeur et l’extension du karst. En fait, le karst s’est certainement bien développé lors de la

crise Messinienne de salinité où l’actuel détroit de Gibraltar n’était pas encore ouvert (Rouchy,

1999), au cours de laquelle le niveau de la Méditerranée est descendu de 1000 à 1500 m par

rapport à l’actuel suite à un assèchement progressif. Sur les marges, le passage

Miocène-Pliocène s’exprime par une discordance de ravinement prononcée, la "surface d’érosion

messinienne" (Cita et Ryan, 1978 ; Clauzon et al., 1996). Au droit des fleuves, elle atteint une

configuration de canyon. Les canyons sur l’ensemble de la Méditerranée attestent de la mise en

relation avec un niveau de base 1500 m sous le niveau de l’actuelle Méditerranée. Les deux

exemples les plus nets sont représentés par les deltas du Nil (Bellaiche et al., 2001) et du Rhône

qui est profond de 500 m sous le niveau marin à l’estuaire (Clauzon, 1973, 1982). Les effets de

cet évènement considérable, qui s’est produit vers 5.5 Ma, à la fin du Miocène, ne sont pas

encore connus sur les côtes de la Méditerranée orientale. Cet abaissement du niveau marin a

des conséquences beaucoup plus importantes sur le développement du karst que les

changements récents du Quaternaire.

L’effondrement du détroit de Gibraltar a mis fin à la crise messinienne et marque le

début du Pliocène. La connexion avec l’océan Atlantique est rétablie et le remplissage de la

Méditerranée est fait pendant quelques dizaines d’années (Blanc, 2002).Les réseaux karstiques

submergés par la remontée du niveau marin ont pu être colmatés par des dépôts sédimentaires

tandis que d’autres ne le sont pas. En effet, certains aquifères karstiques côtiers sont restés

ouverts et les eaux marines ont pénétré à l’intérieur à cause de faibles pertes de charge.

Conséquences des variations du niveau de base

Une fois la source côtière formée, deux évolutions peuvent avoir lieu :

- Régression marine (abaissement du niveau marin) : la source se retrouve au-dessus du

niveau marin. Le premier réseau de drainage se trouve partiellement abandonné. Il peut être

réactivé lors des périodes de crue, fonctionnant comme réseau de trop plein. Un second réseau

de drainage plus profond se met en place en relation avec le nouveau niveau de base (figure

32).

NB1

S1

S0

Zone d’alimentation

Zone d’infiltration

Zone de karst noyé Conduit

NB1 : Niveau de base à t1, S0 : Source à t0, S1 : Source à t1

Figure 32. Réseau de conduit suite à une régression marine (Fleury, 2005).

- Transgression marine (remontée de la mer) : La transgression aboutit à la submersion des

sources et en fonction des conditions hydrauliques les réseaux submergés peuvent, soit

continuer à drainer l’eau du massif, auquel cas nous avons des sources sous-marines, soit

absorber de l’eau de mer (figure 33). Toutefois, lors d’une phase transgressive, on peut aboutir

au colmatage partiel ou total par les sédiments marins d’une partie ou de la totalité du réseau de

conduits.

NB2 S1 S0 Zone d’alimentation Zone d’infiltration

Zone de karst noyé

Conduit

NB2 : Niveau de base à t2, S0 : Source à t0, S1 : Source à t1

Figure 33. Transgression marine et submersion des sources karstiques (Fleury, 2005).

Partant de là, Fleury (2005) a proposé une classification des sources littorales et

sous-marines en s’appuyant sur des données structurales et sur une approche du fonctionnement de

ces sources :

- Classe 1 :Système à karstification peu ou mal développée

Les aquifères alimentant les sources se sont développés quand le potentiel de karstification

était plus limité ; donc il en résulte des conduits de faibles dimensions peu organisés en réseaux

karstiques mal développés. Ce système possède des exutoires situés actuellement sous le

niveau de la mer où ils sont mis en place lors des bas niveaux marins. Du fait que le réseau

karstique est mal développé, les écoulements sont en général limités ce qui permet une mise en

charge suffisante de l’aquifère empêchant ou limitant l’intrusion saline (l’eau peut rester douce

pendant toute l’année). En terme d’exploitation, les sources de ce type ne présentent pas un

grand intérêt parce qu’elles nécessitent des investissements importants sans avoir des grandes

réserves d’eau.

- Classe 2 : Système à karstification bien développée

Le système karstique s’est développé lors des périodes de bas niveaux marins. Des réseaux

karstiques profonds bien développés et étagés ont été mis en évidence sur tout le pourtour de la

Méditerranée en particulier, où la crise messinienne a joué un rôle essentiel (figure 34). Les

sources sous-marines de Chekka (Liban), sont associées à des systèmes karstiques bien

développés. Les exutoires sont caractérisés par des conduits de dimensions importantes, de

quelques m

2

de section et pouvant être très profonds.

Figure 34. Classe 2 : aquifère karstique littoral bien développé (période de hautes eaux).

Par exemple, la source S12 de Chekka s’écoule de -110 m et la profondeur du conduit

débouchant à la source de l’Almyros d’Héraklion par l’eau de mer, a été évaluée à -400 m

(Arfib, 2001). Les réseaux de conduits de ces systèmes sont dimensionnés par rapport aux

écoulements de crue et sur-dimensionnés lors d’étiage. Durant les basses eaux, la charge

hydraulique dans l’aquifère est trop faible, en sorte que l’eau de mer pénètre par les conduits

les plus profonds. Ce phénomène est clairement observé sur les sources de Chekka. En étiage,

seules les sources situées dans la zone des -25 m s’écoulent, l’eau étant saumâtre (la

conductivité en octobre 2004 sur la source S2 était d’environ 38 mS/cm). En période de crue,

l’ensemble des conduits profonds s’active (apparition de la source S12) et l’eau s’écoulant des

différentes sources est relativement douce avec 0.57 mS/cm comme conductivité de la même

source au mois de mars 2006. Les sources littorales et sous-marines des systèmes karstiques

appartenant à ce type sont caractérisées par un débit moyen important soumis à une forte

variabilité saisonnière avec une eau douce et de très forts débits lors de crue et saumâtre à

faible débit en étiage.

- Classe 3 : Système à karstification bien développée mais isolé de la mer

Après remontée du niveau de base, des conditions géologiques font que les conduits bien

développés en profondeur deviennent inactifs selon un colmatage interne ou de la mise en

place d’une couverture imperméable lors de la sédimentation marine. Les systèmes de ce type

semblent être les mieux adaptés pour une éventuelle exploitation, ils sont caractérisés par de

forts débits et une faible salinité même en étiage (figure 35).

Un exemple à considerer, la source sous-marine de la Vise qui est un des exutoires de ce

classe de système. Vu la présence de la morphologie de surface, des sources terrestres

pérennes et saisonnières, des grottes et gouffres atteignant la zone noyée, il est clair que ce

système a été soumis à une importante karstification. L’existence du bassin d’alimentation

près de la côte lui donne une situation en théorie favorable à la mise en place de réseaux

profonds, notamment lors de la crise Messinienne. Or la région littorale a été recouverte d’une

épaisse formation imperméable pliocène et quaternaire. Les formations miocènes constituent le

fond du bassin de Thau et il semble que le drainage karstique s’est développé sous ces

formations. Au niveau de la source de la Vise l’épaisseur de la couche miocène est de moins de

30 m ; son érosion locale lors des émersions l’a amincie suffisamment pour que des

écoulements se produisent quand l’aquifère est en charge.

Les sources sous-marines de Banyas (Syrie) sont un autre exemple à considérer. Elles

appartiennent à cette même classe. Ces sources sont alimentées par l’aquifère du CT qui est

captif sous un imperméable constitué par le basalte plio-quaternaire recouvrant des restes de

marnes sénoniennes (Al-Charideh, 2007).

Figure 35. Classe 3 : Système à karstification bien développée mais isolés de la mer.

Ainsi nous allons étudier dans la suite de cette étude, les sources sous-marine de Chekka et

précisément la source S2 appartenant au type 2 et qui fait le cœur de la thèse. Il faut noter qu’en

France, les chercheurs du CNRS et du BRGM ont développé une méthode de recherche bien

adaptée à la spécificité de ces ressources, et une approche d'exploitation pour les contrôler et

protéger (Bakalowicz et Lachassagne, 1998). Cette méthode est basée sur des données

hydrodynamiques et hydrogéochimiques à l'exutoire du système karstique (elle analyse le

fonctionnement de l'aquifère). En identifiant et caractérisant l'aquifère karstique, cette méthode

démontre son état d'exploitation, évalue sa vulnérabilité et propose des scénarios de gestion. En

procédant étape par étape, les conditions de recharge et de décharge sont définies, le

comportement de l'aquifère et la présence des conduits karstiques fonctionnels ou non

fonctionnels sont identifiés.