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Chapitre 1 : Précurseurs de neuropeptides

1.1 Classification et biosynthèse

A ce jour, il existe une centaine de neuropeptides biologiquement actifs identifiés, de taille variable allant de 3 acides aminés (aa) pour la thyrotropin-releasing hormone (TRH) à une cinquantaine selon les espèces pour la métastine. Tous les neuropeptides sont synthétisés sous forme de précurseurs inactifs de haut poids moléculaire au niveau du réticulum endoplasmique (RE). En fonction de leur organisation structurale, les précurseurs ou prépro-neuropeptides peuvent être classés en trois catégories (Douglass et al., 1984; Itoh et al., 1983). La première est constituée des précurseurs mono-fonctionnels possédant une seule séquence biologiquement active flanquée d’un ou deux fragment(s) peptidique(s), appelé(s) peptide(s) cryptique(s) ou encore séquence(s) de connexion, plus ou moins longs, dont le rôle est généralement inconnu. Au sein de ces précurseurs, le peptide bioactif peut être localisé soit à l’extrémité N-terminale comme dans le cas du neuropeptide Y (NPY) (Minth et al., 1984), ou de la

prépro-gonadotropin-releasing hormone (GnRH) (Seeburg and Adelman, 1984), précédant

respectivement les séquences cryptiques C-terminal flanking peptide of NPY (C-PON) et

GnRH-associated peptide (GAP); soit en position intermédiaire comme dans le prépro-calcitonin gene-related peptide (CGRP) (Amara et al., 1982) ou la prépro-cholécystokinine

(CCK) (Deschenes et al., 1984); soit enfin à l’extrémité C-terminale comme dans le précurseur de la somatostatine (SST) (Shen et al., 1982) ou de l’apéline (Tatemoto et al., 1998) (Figure 1A). La seconde catégorie comprend les précurseurs mono-fonctionnels qui présentent plusieurs copies du même peptide ou de peptides de structure très similaire. A titre d’exemple, on peut citer le précurseur de la TRH qui, chez le rat, possède cinq réplicats du motif QHPG (Lechan et al., 1986) ou encore celui de l’enképhaline A, dans lequel on ne dénombre pas moins de sept peptides étroitement apparentés, à savoir quatre copies de méthionine-enképhaline (Met-enk), un motif de leucine-enképhaline (Leu-enk) et deux séquences de Met-enk étendues de deux ou trois résidus (Gubler et al., 1982) (Figure 1B). Cette répétition de peptides suggère que les gènes ancestraux de cette famille de précurseurs auraient subi plusieurs duplications intragéniques. Cette organisation structurale particulière conduit à une amplification du signal, une seule molécule de précurseur donne naissance à plusieurs copies du peptide actif, conférant ainsi un avantage sélectif à ces précurseurs (Sossin et al., 1989). Les régions intercalaires sont généralement riches en résidus acides, équilibrant de ce fait la nature basique des nombreux

sites de maturation (cf chapitre 1, § 1.2.5.). Le faible degré d’identité de séquence de ces éléments cryptiques plaide en faveur d’une absence d’activité biologique. Cependant, les résidus acides de ces séquences peuvent être nécessaires à la formation et au bon repliement de la protéine, comme rapporté pour le peptide de connexion du précurseur de l’insuline appelé peptide C (Landreh et al., 2014), ou au routage intracellulaire des hormones. Enfin, la troisième catégorie regroupe les précurseurs multifonctionnels susceptibles de générer plusieurs peptides aux activités biologiques distinctes. Le représentant de cette catégorie le mieux caractérisé est la pro-opiomélanocortine (POMC) dont la maturation peut produire, en fonction du tissu d’expression, différents peptides régulateurs dont les hormones corticotrope (ACTH) et mélanotropes (-, - et γ-MSH), ainsi que la -endorphine (Nakanishi et al., 1979) (Figure 1C). Cette classification présente toutefois des limites. Tout d’abord, la classification des précurseurs dans l’une ou l’autre de ces catégories n’est pas toujours univoque. Par exemple, le

pro-B

Précurseurs mono-fonctionnels à plusieurs copies

C

Précurseurs multifonctionnels Prépro-opiomélanocortine (bœuf) ACTH CLIP α-MSH -LPH g-LPH -endorphine -MSH Prépro-NPY (homme) NPY C-PON Prépro-GnRH (homme) GnRH

A

Précurseurs mono-fonctionnels Prépro-somatostatine (homme) Somatostatine Prépro-apéline (homme) Apéline Prépro-VIP (homme) PHM-27 VIP Prépro-TRH (rat) PS4 PS5 TRH (5 copies) Prépro-enképhaline A (homme) Leu-enk (1 copie) Met-enk (6 copies) Prépro-ghréline (homme) Ghréline Obestatine PS PS PS PS PS PS PS PS PS (97 aa) (89 aa) GAP Prépro-CCK (rat) CCK Prépro-CGRP (homme) CGRP PS PS (77 aa) γ-MSH (116 aa) (136 aa) (115 aa) (255 aa) (267 aa) (265 aa) (170 aa) (117 aa) PS

Figure 1 : Représentation schématique des 3 catégories de précurseurs de neuropeptides. CLIP, corticotrophin-like intermediate lobe peptide; LPH, lipotropic

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vasoactive intestinal polypeptide (VIP), qui est parfois classé parmi les précurseurs

multifonctionnels, peut aussi être considéré comme un précurseur du second groupe étant donné que les deux peptides qui en sont issus, le VIP et le peptide histidine méthionine (PHM-27), sont fortement apparentés en termes de séquence, de type d’activité et de sites de liaison (Bodner et al., 1985; Itoh et al., 1983). De plus, il n’est pas rare qu’une séquence cryptique d’un précurseur initialement considéré comme mono-fonctionnel s’avère ultérieurement posséder une activité biologique. C’est le cas du peptide de connexion du précurseur de la neuromédine U, le neuropeptide U precursor-related peptide, qui stimule l’activité locomotrice (Ensho et al., 2017) et de deux peptides cryptiques de la prépro-TRH, le PS4 qui potentialise l’activité de la TRH sur la libération de l’hormone thyréotrope (Bulant et al., 1990; Roussel et al., 1991) et sur la sécrétion d’acide gastrique (Yang and Taché, 1994), et le PS5 qui inhibe l’action de la TRH sur la sécrétion de l’ACTH (Redei et al., 1995a, 1995b) et d’hormone de croissance (GH) (Harvey and Cogburn, 1996). De même, il a été montré que le précurseur de la ghréline (Kojima et al., 1999) génère un deuxième peptide nommé obestatine en raison de ses effets opposés à ceux de la ghréline sur la prise alimentaire (Zhang et al., 2005). Même si l’effet anorexigène de l’obestatine est aujourd’hui contesté (Chartrel et al., 2007; Zhang et al., 2008), il semblerait que ce peptide soit capable d’inhiber la sécrétion d’insuline induite par le glucose in vivo et in vitro sur des îlots de Langerhans en culture chez le rat (Ren et al., 2008). On peut également citer le GAP, situé dans la région C-terminale du précurseur de la GnRH (Seeburg and Adelman, 1984), qui stimulerait la sécrétion de gonadotropines (Yu et al., 1988, 1989) et inhiberait la sécrétion de prolactine (Nikolics et al., 1985; Vacher et al., 1991; Yu et al., 1988, 1989), effets qui restent néanmoins controversés (Blake et al., 1993; Thomas et al., 1988).

L’analyse de la structure des précurseurs polypeptidiques montre que ces derniers possèdent plusieurs caractéristiques structurales communes. Les prépro-neuropeptides présentent à leur extrémité N-terminale un peptide signal (PS), séquence hydrophobe composée d’environ une vingtaine d’aa (von Heijne, 1986), qui permet la translocation du polypeptide naissant vers la lumière du RE rugueux (RER) (Blobel and Dobberstein, 1975) (Figure 2). Il semble que cette séquence soit suffisante pour acheminer une protéine au RE. En effet, des mutations du PS bloquent le transport des protéines sécrétées vers la lumière du RE (Allison and Young, 1989; Ibrahimi and Gentz, 1987). Lors de la traduction de l’ARNm du précurseur, le PS constitue une séquence d’adressage reconnue par la signal recognition particle (SRP), qui est une ribonucléoprotéine cytosolique formée de 6 chaînes polypeptidiques et d’une molécule d’ARN, l’ARN 7S. La SRP s’unit à la séquence signal du polypeptide naissant, alors constituée d’une

soixantaine d’aa, et interagit avec le ribosome, produisant un arrêt de l’élongation (Walter et al., 1984) (Figure 2, étape 1). Le complexe ternaire SRP-peptide-ribosome se fixe ensuite au récepteur de la SRP, qui est ancré dans la membrane du réticulum, permettant l’interaction du ribosome avec un canal, le translocon, formé de protéines membranaires, telles que la Sec61 et la protéine translocating chain-associated membrane (TRAM) (Gilmore, 1993; Simon and Blobel, 1991; Walter and Lingappa, 1986) (Figure 2, étape 2). La libération de la SRP permet la reprise de la synthèse du précurseur et sa translocation dans la lumière du RE (Figure 2, étape 3). Une fois passé du côté luminal, le PS est immédiatement clivé par une signal peptidase avant même la fin de l’élongation (Walter et al., 1984) (Figure 2, étape 4).

Les pro-neuropeptides ainsi formés vont subir diverses modifications post-traductionnelles qui vont se dérouler séquentiellement pendant leur transfert du RE au Golgi puis dans les vésicules de sécrétion, pour donner naissance aux peptides biologiquement actifs (Figure 3).

Peptide signal ARNm SRP Récepteur de la SRP Translocon 1 2 3 4 Signal peptidase Ribosome

Figure 2 : Représentation schématique de la translocation des précurseurs des neuropeptides dans le réticulum endoplasmique. (1) Reconnaissance du peptide signal (en rouge) par la SRP et

formation du complexe ternaire SRP-peptide signal-ribosome. (2) Interaction du complexe avec le récepteur de la SRP et du ribosome avec le translocon. (3) Libération de la SRP et translocation du polypeptide au travers du translocon dans la lumière du RE. (4) Clivage du peptide signal par une signal peptidase.

29 Biosynthèse du précurseur et translocation dans le RE RE cis-Golgi trans-Golgi Modifications post-traductionnelles Ponts disulfures et acylation Protéolyse et amidation Acétylation Sulfatation

1 2 3

Sécrétion vésicules de sécrétion Phosphorylation Pyroglutamisation

Figure 3: Schéma récapitulatif de la biosynthèse des neuropeptides. (1) Le prépro-neuropeptide produit par les ribosomes est transloqué dans le réticulum endoplasmique (RE). (2) Il subit alors des modifications post-traductionnelles : la formation de ponts disulfure et l’acylation dans le RE; la sulfatation dans le trans-Golgi; la protéolyse et l’amidation dans le trans-Golgi et les vésicules de sécrétion; la pyroglutamisation dans les vésicules de sécrétion; l’acétylation dans les granules de sécrétion ou lors de la libération du peptide; et la phosphorylation qui peut se dérouler dans tous les compartiments, du RE aux vésicules de sécrétion. (3) Le peptide biologiquement actif peut alors être sécrété.

1.2 Modifications post-traductionnelles

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