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Les citoyens en démocratie, lorsqu’ils se forment en collectif(s), sont approchés ou désignés à partir de désignations diverses, valorisante (dêmos) ou dévalorisante (plebs). Afin d’appréhender le peuple, nous commencerons donc par questionner les problèmes de la représentation/appellation de ce dernier défini comme un tout homogène. Il faudra ensuite étudier les rapports entretenus avec les qualifications populaire(s) et populiste(s) afin de cerner les enjeux qui gravitent autour d’eux. Enfin, c’est à travers l’analyse de ces emplois idéologiques que nous terminerons cette revue exploratoire. Le schéma suivant permet de

modeler la structure de ce chapitre par l’observation du peuple à travers ses divers états et ses formes réactives.

Figure n°5. Les peuples de la démocratie

1. Le « peuple » existe-t-il ?

Qu’est-ce que le peuple ? Issu du latin populus, le peuple poblo désigne un « ensemble d’hommes qui habitent un même pays et qui ont en général des institutions communes ; ensemble des sujets vis-à-vis de souverains »122. Le peuple poble, renvoie quant à lui à la

« population » (d’un endroit), et le peuple fait référence de manière générale à « l’humanité » (source CNRTL). Voici donc un premier constat : le terme apparaît immédiatement polysémique, il semble aussi détenir une forte charge symbolique, que l’on utilise le terme de manière positive (qu’on le lie aux citoyens : universi cives) ou dévalorisante et/ou condescendante (lorsqu’il constitue une menace ou qu’il sert à désigner une partie de la population considérée comme modeste [la classe inférieure] opposée aux bourgeois et aux élites).

Peuple fait aussi partie des « mots de la nation » qui, en s’associant à d’autres, font

ensemble partie d’un microchamp (Rémi-Giraud & Rétat, 1996) au sein duquel ils possèdent le

122 Étymologie fournie par le CNRTL.

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même « archisémème », c’est-à-dire une structure sémantique commune (ibid.) Sylviane Rémi-Giraud et Pierre Rétat (1996) rapprochent ainsi à « peuple » les mots « nation », « état », « pays » et « patrie », considérant qu’ils comportent chacun des traits communs : un trait humain (ils se rapportent tous à un groupe humain), un trait géographique (propres à un territoire déterminé), ainsi qu’un trait structurel permettant de relier leurs membres via l’existence d’une autorité commune qui crée une certaine unité. Nous y ajouterons volontiers un trait symbolique puisque nous considérons que ces individus sont à chaque fois liés à des imaginaires sociaux communs : une histoire, des valeurs, une culture, des traditions, etc. (nous y reviendrons plus tard). Les chercheurs développent leur thèse en décomposant chacun de ces traits pour chaque mot (nous citons le passage en question) :

« PEUPLE : ensemble d’êtres humains (vivant en société), habitant un territoire défini et ayant en

commun un certain nombre (de coutumes), d’institutions. »

« NATION : groupe humain constituant une communauté politique, établie sur un territoire

défini ou un ensemble de territoires définis et personnifiés par une autorité souveraine. »

« ÉTAT : groupement humain fixé sur un territoire déterminé soumis à une même autorité et

pouvant être considéré comme une personne morale. »

« PAYS : territoire habité par une collectivité et constituant une réalité géographique dénommée ; nation. »

« PAYS : nation, communauté politique (à laquelle on appartient ou à laquelle on a le sentiment d’appartenir) ; pays habité par cette communauté. » (ibid.)

Pour synthétiser, la caractéristique du peuple sur les autres termes est la prévalence de la notion humaine, de sa pluralité qui l’expose à « une ambivalence fondamentale » (ibid.) comme nous l’avons déjà évoqué à travers l’en-bas (la partie inférieure) et le « basique » (le fondement) (ibid.) Peuple est donc un mot foncièrement polysémique qui entrevoit le bon ou le moins bon, qui s’émancipe autour d’autres notions proches. Il semble prendre ainsi les attributs d’un mot

commun, d’un mot fourre-tout idéologique, voire, d’un mot-politique vide ? Nous chercherons

ainsi à observer plus en détails ces contradictions structurantes.

1.1.Un mot-politique vide

Affirmer que l’exercice de la démocratie s’effectue à travers le pouvoir du peuple contribue à ériger le demos comme unique souverain qui s’auto-réalise et s’émancipe dans son autonomie grâce à la pratique de sa citoyenneté. Ainsi, conserver cette définition classique (qui a été pensée par J-J. Rousseau à travers sa théorie du contrat social) concourt pour Catherine Colliot-Thélène (2014) à construire tout un mythe nourrissant l’idée utopique de

l’autogouvernement. En effet, le peuple rousseauiste n’existe pas en tant que tel, il constitue un agrégat d’individus qui se constitue peuple qu’à travers l’application du contrat social. Celui- ci garantirait de facto aux individus un affranchissement vis-à-vis de toutes formes d’asservissements des groupes dominants. Or, pour la philosophe C. Colliot-Thélène, il s’agit bien d’une conception irréelle puisque demeure au sein de la démocratie une relation de gouvernance asymétrique dans laquelle le peuple ne détient pas de pouvoir : il ne fait que le confier à des représentants (ibid.) Le problème se posant comme nous l’avons précédemment évoqué, de la représentation du peuple, était donc de se demander si ses représentants sont encore à son service ? Si la conception de la démocratie est bel et bien soumise à des tensions intrinsèques structurantes, son affiliation au concept de peuple l’est ainsi tout autant. Il est aussi malaisé d’apporter une définition stable et complète tant tout un poids symbolique pèse sur le mot. F. Guénard (2014, p.41) écrit à son propos : « il n’y a peut-être pas, en théorie politique, de notion plus controversée que celle du peuple »123, ce qui vient appuyer le caractère clivant

qu’il revêt (Gallie, 1956)124. Ceci est à considérer à l’instar de l’aphorisme de Ludwig

Wittgenstein indiquant que les mots tels quels n’ont pas de sens mais que leur valeur dépend de leur contexte d’apparition dans les jeux du langage (interaction, espace/temps, etc.) (Wittgenstein, 1921).

Le peuple est à la fois dissemblable et paradoxal : inclusif ou exclusif, positif ou négatif, saisi par lui-même ou par les élites. Les divers qualificatifs accolés au nom ici et là témoignent de ce flou disparate : le peuple basque, le peuple de France (peuple-nation ou ethnos), le peuple universel, le peuple de gauche, le peuple de droite, le peuple juif, le peuple prolétaire, etc., qui renvoient soit à un lien commun ou à une séparation, à un territoire, une religion, une langue, une histoire, une culture ou un État. Paul Valéry (1931) percevait cette ambiguïté lorsqu’il écrivait :

« Le mot peuple, par exemple, avait un sens précis quand on pouvait rassembler tous les citoyens d’une cité autour d’une terre, dans un Champs de Mars. Mais l’accroissement du nombre, le passage de l’ordre des mille à celui des millions, a fait de ce mot un terme monstrueux, dont le sens dépend

123 F. Demichel dit quant à elle qu’il s’agit « sans doute du mot le plus employé du vocabulaire politique », cf.

conférence « qu’est-ce qu’un peuple ? », Université de Corse Pasquale Paoli, novembre 2017.

124 W. B. Gallie (1995) parle d’« essentially contested concepts » pour désigner l’imprécision de certaines

terminologies (mots généraux) tels que, une « œuvre d’art », la « démocratie », ou bien encore la « religion », etc. Autour de ces concepts s’accordent les désaccords puisqu’ils polarisent des différends d’appréciations suscités par des interprétations variées et dues aux caractères polysémiques de ces notions. Elles sont ainsi structurellement ouvertes, complexes et issues d’héritages historiques et culturels de leurs utilisations/sémantiques.

Il met par ailleurs en place des conditions/modalités à l’existence d’un concept essentiellement controversé comme une complexité inhérente, des charges évaluatives (positives ou négatives : des jugements de valeurs) ou des interprétations individuelles traversées par des influences psychologiques, culturelles (traditions) ou sociologiques variées. Pour plus de détails, voir Gallie W.B. (1955). « Essentialy Contested Concepts », Proceedings of the

100 de la phrase où il entre ; il désigne tantôt la qualité indistincte et jamais présente nulle part ; tantôt le plus grand nombre opposé au nombre restreint des individus les plus fortunés ou les plus cultivés ». (p.23-24)

Confusions et proliférations des significations, la notion a « disparu comme réalité tangible (le forum) ou corps institué (le Tiers-État). Les sens ont proliféré, la réalité s’est évaporée » (Wolf, 1981, p.8).

Les difficultés que nous avons préalablement évoquées concernant le système représentatif (écart croissant des identités sociologiques des représentés et de leurs représentants), le peu (ou l’absence ?) d’espaces publics prévus institutionnellement et exclusivement comme lieux d’échanges et de remontées directes de revendications (agora), aurait progressivement conduit à vider la notion de peuple de sa substance. Le peuple en est ainsi nié pour Georges Didi-Huberman (1998) :

« […] on peut dire que le peuple tout simplement, "le peuple" comme unité, identité, totalité ou généralité, cela n’existe tout simplement pas. […] Il n’y a pas un peuple il n’y a que des peuples coexistant, non seulement d’une population à l’autre, mais encore à l’intérieur – l’intérieur social ou mental – d’une même population aussi cohérente qu’on voudrait l’imaginer, ce qui, d’ailleurs, n’est jamais le cas. Il est toujours possible d’hypostasier "le peuple" en identité ou bien en généralité : mais la première est factice […] ; tandis que la seconde est introuvable […] ». (p.77-78)

Si le peuple comme un tout clos, homogène et soudé n’existe pas en soi (P. Rosanvallon, 1998, parle de « peuple introuvable »), ce sont sous les prismes de ses représentations variées qu’il faudra l’aborder : les représentations des peuples hétérogènes, qu’ils soient durables ou fugaces, parmi lesquels les individus peuvent se mouvoir et s’oganiser au sein de plusieurs d’entre eux à la fois. Jules Michelet125, fidèle à ses valeurs révolutionnaires, qui s’est efforcé une grande

partie de sa vie à l’édifier dans l’appareil politique, écrira presque avec constat d’impuissance, malheureux : « Je suis né peuple j'avais le peuple dans le cœur. […] Mais sa langue, sa langue elle m'était inaccessible. Je n'ai pas pu le faire parler. » (Michelet, 1870, p. 498). Il demeure alors que si celui-ci pêche par son flou conceptuel, son existence linguistique est nécessaire pour essayer d’approcher son idée, sa perception de la réalité. Il est alors, sous les plumes d’un J. Michelet ou d’un Jules Vallès, une « force historique active » (Rosanvallon, 2011-c) qui s’élève dans l’espace public pour résister et rompre avec l’état établi. Nous le voyons bien, il n’y a pas de peuple, mais des peuples, tant celui-ci (ceux-ci) peut (peuvent) représenter un/des mouvement(s) social(-aux) qui s’élèvent. En parallèle, il n’est pour d’autres qu’une force

125 Le peuple est chez J. Michelet (1848) celui des exclus : « tous ceux-là qui gémissent ou souffrent en silence,

tout ce qui aspire et monte à la vie, c’est mon peuple… C’est le peuple. – Qu’ils viennent tous avec moi » (p.192). J. Michelet, issu d’une famille pauvre (son père, un imprimeur, est ruiné et, suite aux non-paiements de ses dettes, il est emprisonné en 1808 ce qui entraîne sa famille dans la misère), il se sent dès lors proche de ce peuple et prétend légitimement l’incarner : « Fils du peuple, j’ai vécu avec lui, je le connais, c’est moi-même » (Ibid, p.44), (cité dans Paul, 2007).

politique strictement enfermée dans les institutions : le peuple des votants. Traversé par des positionnements politiques et idéologiques, ses expressions passionnées, empreintes de ferveurs ou de méfiances à son égard, témoignent de son caractère sensible, et s’il en est ainsi, c’est qu’il est issu d’un problème et/ou d’un malaise social dont il convient sûrement de s’emparer.

Rappelons que le peuple (occidental) est ainsi tout d’abord fixé juridiquement par l’État. Or, au sein d’une autre approche, le peuple peut aussi constituer une communauté réactive contre ce même État. Nous chercherons à discerner les trois dimensions de ce peuple : du

démos, de l’ethnos et de la plebs. Auparavant, il apparaît utile de tenter de révéler les

connotations de ces termes en précisant l’étymologie de ces lexèmes. Michel Grodent (2005), développe une étude en prenant soin de distinguer les origines grecques et latines de ces termes, marquant pour chacune des spécificités culturelles :

« Du côté grec, au classique dèmos […] (territoire, habitants de ce territoire, puis « dème », subdivision de la phylè, traduit habituellement par le mot « tribu »), et à ses dérivés dèmotès (homme du peuple, concitoyen de dème) et dèmotikos (populaire, démocrate, philanthrope, public), font pendant le poétique laos et le dépréciatif okhlos (populace) auxquels il faut ajouter ethnos (nation ou race) et les plus vagues et plus quantitatifs plèthos, plèthus, homados et homilos (foule ou multitude, idée que l’on peut également exprimer en recourant à l’expression hoi polloi, la masse). Du côté latin, le populus (dont dérive popularis au sens de dèmotikos) est le terme généraliste qui, en théorie, s’oppose comme le tout à la partie à la plebs, la plèbe, un terme relevant de l’ordre politique (c’est le contraire des patricii, les patriciens) et de la classification éthique (le bas peuple). On y joindra naturellement vulgus (foule), multitudo (comme en français, avec éventuellement une connotation péjorative), mais également turba (trouble, agitation d’une foule – par opposition à rixa –, puis cohue, foule en mouvement ou en désordre) voire pubes (attesté chez Plaute au sens inattendu de peuple) ». (ibid.)

Il faut bien avant toute chose, avoir donc en tête que le peuple tel qu’il fut évoqué chez les Grecs ou chez les Romains, selon les contextes et les époques, était aussi conceptuellement peu précisé que de nos jours, si ce n’est négativement (Grodent, ibid.) : « S’il est vrai que certains vocables avaient à la base une connotation péjorative, c’est souvent par le seul contexte ou par la prise en compte des motivations du narrateur – pour autant qu’elles puissent être connues – qu’il est possible d’en déterminer la signification exacte. » Nous proposons de commencer par nous intéresser au démos, avant de considérer le peuple à travers les notions d’ethnos, puis de celle de plèbe.

1.2. Le peuple de l’État : le démos

Il y a bien une ambivalence entre peuple et État en démocratie : le peuple choisit une direction politique qui formera cet État, État qui devrait représenter ce dernier. La philosophie

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politique moderne a pensé le peuple exclusivement au sein de la politique et d’une considération normative, c’est-à-dire par-delà les lois qu’il détermine à travers le droit civil (et en abandonnant tout état naturel) (Hobbes, 1651). Pour E. Kant (1797, §47) par exemple, le peuple ne préexiste pas à l’État :

« L'acte par lequel un peuple se constitue lui-même en État, à proprement parler l'Idée de celui-là, qui seule permet d'en penser la légalité, est le contrat originaire, d'après lequel tous abandonnent dans le peuple leur liberté extérieure, pour la retrouver derechef comme membres d'une république, c'est-à-dire d'un peuple considéré comme État ; et l’on ne peut pas dire que l'Homme dans l’État ait sacrifié une partie de sa liberté extérieure a une fin, mais il a entièrement abandonné la liberté sauvage et sans loi, pour retrouver sa liberté en général dans une dépendance légale, c'est-à-dire dans un état juridique : elle est donc entière, car cette dépendance procède de sa propre volonté législatrice »126.

Derrière l’idée de peuple régie par des lois juridiques d’un État, est formé le concept de nomos, c’est-à-dire de lois humaines (et opposé à celui de la phusis des lois naturelles), soit : « une convention adaptée à un État déterminé, dans une phase historique de son développement, qui lui permet de subsister et de prospérer. […] sa remise en cause risquerait de détruire l’ordre public, son acceptation se confond avec l’opinion publique qui maintient la cohésion de la cité » (Fouchard, 1997, p.372). La loi peut également être appréhendée dans l’origine du pouvoir, comme « l’expression du pouvoir d’État », ce qu’Héraclite considérait devant faire office de « rempart du peuple » (ibid.) : « il faut que le peuple combatte pour sa loi comme pour un rempart 127». A. Fouchard voit dans cette image-là que « le nomos est [perçu comme] une

certaine organisation de la cité, qui assure la sécurité et même le pouvoir du dèmos » (ibid.) Alcibiade assurait par ailleurs que ce qui confère au nomos toute sa légitimité résidait dans le consentement que lui procure le gouverné (ibid.), ce qui révèle l’existence d’un nomos démocratique (et qui contribuera d’ailleurs pour certains à s’y opposer128). D’un point de vue

juridique donc, comme l’avance F. Demichel le peuple est avant tout un peuple-électeur dans un système représentatif (ce qui fait de lui un peuple-nation, niant ceux qui ne seraient considérés comme des citoyens d’un État : les mineurs, étrangers, les mises sous tutelle, la privation de droits dues à une infraction pénale). Or cette situation est pour elle problématique : métaphoriquement elle offre l’image d’un spectacle de théâtre où les électeurs écrivent d’avance la pièce dans laquelle seuls les représentants auront le droit de monter sur scène afin de l’interpréter (une fois le scénario rédigé, les électeurs sont contraints à l’ombre, témoins impuissants du spectacle politique qui se joue devant eux). Le peuple, tel « un être organique et vivant », est perdu dans l’expression du vote : « avec le suffrage universel, le Peuple a parlé,

126 Cité dans Balibar, 1989. 127 Cité dans Fouchard, 1997.

128 Pour Calliclès et d’après A. Fouchard : « la loi était convention ou opinion publique, mais en outre imposée par

sans doute ; mais sa parole, perdue à travers les voies individuelles n’a été comprise de personne 129» (Proudhon, 1848).

De cette position naît une aporie puisque théoriquement le peuple est souverain, seul détenteur du pouvoir. Or, il diparaît le temps des mandats pour ne se reformer qu’aux moments électoraux. Ceci pose plusieurs problèmes que nous avons déjà abordés : les calendriers électoraux qui astreignent les citoyens au silence durant l’exercice de leur politique, le principe de liberté des représentants qui peuvent s’ils le souhaitent ne pas appliquer les mesures de leur programme pour lequel ils ont été élus, la non-ressemblance des représentants et de leurs représentés qui entraîne un réel soucis de non-individualisation de la politique (à partir de plusieurs critères : PCS, sexe âge, origines ethniques, etc.), une légitimité relative, etc. Enfin, la question de la majorité ne saurait nullement être à elle seule l’image du peuple tout entier : la majorité exclut de fait les voix dissonantes des minorités. La question des abstentionnistes (qu’ils soient inscrits ou non-inscrits sur les listes électorales), des votes blancs et des nuls, est balayée par le système législatif de l’État contraignant toute une faction de citoyens à leur élimination post-vote du peuple corps-électeur. Il va sans dire que l’offre politique assujettit aussi les électeurs à faire le choix d’un homme, d’une femme, ou d’un programme qu’ils n’approuveraient possiblement pas dans sa totalité. Les votes par dépit et les votes

utiles contribuent à offrir une majorité d’autant plus factice. Pour T. Hobbes, l’enjeu majeur

n’était d’ailleurs pas qu’il y est représentation réelle mais sentiment d’être représenté par les gouvernants. Ce statut constitutionnel finit par se retourner contre la puissance du peuple lorsque les réels décideurs (empiriquement) utilisent la souveraineté symbolique du peuple dans les textes pour asseoir la légitimité de leurs actions. La conséquence de l’écart entre l’intellectualisation de la représentation du peuple et ses pratiques technico-administratives, a pour effet de garantir l’hégémonie des représentants en se référant au mythe du pouvoir des représentés.

Le peuple du démos représente donc le bon peuple, ceuli qui participe à la vie publique, vote lors des moments électoraux, et se retire jusqu’au prochain vote du calendrier politique. Ce peuple politisé dans l’institution est perçu positivement, bien qu’il pose problème en matière de souveraineté, comme nous venons de l’observer. En parallèle et de manière plus identitaire,

129 Article publié le 26 mars 1848 dans Le Représentant du peuple et repris plus tard dans Solution du problème social, 1848, in Œuvres complètes aux éditions Lacroix, Paris, 1868, p.62.

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le peuple peut aussi être affilié symboliquement à l’État-nation, en tant que peuple-patrie. L’on parlera alors de l’émergeance de l’ethnos.

1.3. Le peuple de l’État-nation : l’ethnos

Le peuple ethnique, l’ethnos, représente quant à lui la communauté nationale liée par une langue, une histoire, une culture, des coutumes et des valeurs (voire pour certains, à une religion ou à une ethnie). Renvoyé souvent à une notion de communautarisme (qui peut être contestée à bien des égards), l’ethnos ne désigne ni le peuple de citoyens du démos, ni le peuple protestataire de la plebs, mais est caractérisé à travers des attributs identitaires. Il peut ainsi

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