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2. La circulation virtuelle et immatérielle

2.2 La circulation par internet

L’accroissement sans précédent des échanges sur les œuvres d’art tient aujourd’hui à leur numérisation à outrance dans la perspective de toucher un public de plus en plus large grâce à internet. Ces échanges sous forme de fichiers numériques que nous considérons comme une circulation virtuelle ne reproduisent pas l’engouement qu’ils suscitent ailleurs dans le champ artistique africain. Ce n'est pas faute d'avoir essayé puisque les principaux acteurs proposent des sites ou des blogs afin de produire une visibilité simultanée de leur travail et bénéficier des avantages du commerce électronique des biens culturels qui, dans le cas du Net-Art permet

«[…] l’accessibilité de chacun au tout, sans intervention d’un quelconque

intermédiaire, laisse augurer une nouvelle condition pour l’artiste au sein de la société et la possibilité d’une plus grande indépendance vis-à-vis du marché et des institutions. »62

On ne peut occulter les efforts qui sont entrain d’être mis en place au niveau des musées africains afin qu’ils s’adaptent aux enjeux de la diffusion numérique de leurs collections. La plupart d’entre eux dispose d’un site internet pour attirer davantage de visiteurs. La présence des musées dans les réseaux sociaux est aussi remarquable à travers les pages qui leur sont ouvertes (notamment sur facebook). Par contre, leurs propositions sont plus axées sur les informations et des images figées des collections plutôt qu’orientées vers une visite interactive. Il ne faut sans doute pas ignorer que :

« au-delà des interprétations fournies par les représentations virtuelles des musées, les significations sont fabriquées de manière active par les visiteurs aussi. Elles varient culturellement selon la perception, la mémoire et le sens logique que nous décidons d’attribuer aux choses. »63

Il faut noter que le contenu des sites est rarement actualisé. Les forums ouverts pour recueillir les commentaires et appréciations des visiteurs dont les contenus sont assez équivoques, ne participent pas pour autant à l’amélioration des stratégies de diffusion. Il faut noter le faible taux de couverture du réseau internet en Afrique. Selon Anne-Rachel

62 Net Art…..p 106

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Roberta Cafuri, « Les musées africains en ligne », Cahiers d'études africaines, art. en ligne. http://etudesafricaines.revues.org/4856.

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Inne64, il n'y a que quarante pour cent de la population mondiale qui est connectée à internet. En Afrique, on est à peine dix pour cent sur une population de 1,2 milliard.Seize pour cent de la population mondiale possède quatre vingt dix pour cent des connexions internet, et les chiffres concernant les proportions d’utilisateurs internet dans le monde sont tout aussi révélateurs : un pour cent des utilisateurs sont en Afrique et au Moyen-Orient contre cinquante sept pour cent aux États-Unis et au Canada, d’après une étude du Digital Divide

Network. Donc on peut tirer la conclusion que la majeure partie des musées virtuels

s’adressent à un public non africain. Pour Roberta Cafuri, l’impossibilité pour la multitude des pays non occidentaux d’accéder au réseau rend en effet, au moins en partie, inefficaces les potentialités des musées africains en ligne. Si les acteurs ont du mal à être satisfaits des opportunités qu’offre le réseau internet, c’est parce qu’en partie, toutes les conditions d’interactivité pour la réception et la consommation de l’art contemporain ne sont pas réunies (voir annexe 7).

L’exemple du musée virtuel d’art africain de Lyon montre que la diffusion des collections est bien une alternative pour beaucoup de collectionneurs qui ont du mal à trouver des opportunités leur permettant de partager avec d’autres amateurs d’art. L’un des plus grands collectionneurs d’art contemporain au Sénégal et peut-être en Afrique de l’Ouest (plus de 200 œuvres des artistes les plus représentatifs de l’art contemporain au Sénégal), Bassam Chaïtou, semble partager cette conviction dans un entretien qu’il a accordé au Professeur Abdou Sylla, à la suite de l’exposition d’une partie de sa collection au Musée d’Art Africain de Dakar.

« A un moment donné, l’individualisme, l’égoïsme s’effacent ; il y a une

transformation du collectionneur qui devient mécène et qui voudrait que sa collection soit à la disposition du public, du plus grand nombre, du plus jeune au plus âgé. On a un projet de créer un véritable musée…un musée d’art contemporain sénégalais, mais avec une ouverture sur d’autres pays africains… mais il faut prendre tout le temps nécessaire, il faut faire les choses de manière professionnelle. »65

64 Directrice d'AFRINIC (African Network Information Center)- Déclaration lors de la 19e conférence statutaire d'AFRINIC, du 23 au 29 novembre 2013 à Dakar - source: Apanews.

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Ce principe de prudence dont parle Chaïtou sur la création de musée ne doit pas occulter les opportunités qu’offrent aujourd’hui la diffusion virtuelle des biens culturels. L’Etat sénégalais, dont le patrimoine artistique (peintures, sculptures, tapisseries, céramiques, locales et étrangères) était estimé en 1992 à 2292 œuvres66

et enrichi en 2013 par la donation de 145 œuvres d’Iba Ndiaye, par la famille de l’artiste, est aussi interpellé. Ailleurs en Afrique de l’Ouest, les pouvoirs publics ne semblent pas non plus saisir les enjeux contemporains de la circulation virtuelle des biens culturels. Le Musée National du Mali, le plus dévoué à l’art contemporain en Afrique de l’Ouest est dans la phase de construction de son site internet.

Comme dans le cas des musées, les galeries se présentent sous deux configurations sur internet. La première catégorie est constituée de l’extension de galeries qui ont déjà une existence physique, sur le réseau internet. En mettant parallèlement en ligne une partie de leurs collections auxquelles on associe un certain nombre d’informations, ces sites poursuivent des objectifs promotionnels. L’enjeu principal de leur présence sur internet est la quête de notoriété et de popularité.

La deuxième catégorie de sites Web, conçus en tant que galeries virtuelles, s’intéresse de facto au commerce électronique des œuvres d’art. Ici, les transactions commerciales s’effectuent sur internet au moyen de méthodes spécifiquement élaborées. La réception de la commande relève des conditions d’expéditions, classiques des marchandises. Les modalités de paiement, sont quant à elles, fixées de commun accord entre les parties intéressées. Quoiqu’il en soit, l’objectif des « galeristes virtuels » reste purement lucratif avec le maximum d’efficacité économique. Généralement, les frais d’expédition des commandes ainsi que les assurances associées sont pris en compte dans les transactions financières. La plus importante des galeries commerciales virtuelles, mise en réseau à partir du Sénégal est sans doute la galerie Typic Art Gallery.com, qui héberge plus de mille œuvres d’art d’une soixantaine d’artistes, dont la majorité est constituée de jeunes. Parmi ces derniers, certains n’ont jamais exposé leur travail. Les artistes de la sous-région sont bien représentés. D’ailleurs, les œuvres du nigérian Tony Okujeni représentent les meilleures ventes de la galerie. Omar DIACK, propriétaire et administrateur de Typic Art Gallery, affirme que la

65 Bessam Chaïtou dans un entretien accordé au Professeur Abdou Sylla, le samedi 31 mars 2007 après l’exposition intitulée « Trajectoirs » montée au Musée d’art africain de l’IFAN-Ch. A. Diop- Dakar, du 28 janvier au 09 mars 2007.

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création de cette galerie virtuelle relève d’un concours de circonstances. Gestionnaire de formation, il a dirigé la galerie « Yassine Art center » (cf. p. 52), de 2002 à 2006 et la galerie du Village des arts. Sa proximité avec les artistes, l’a d’ailleurs encouragé à choisir pour sa galerie un pied à terre au Village des arts. O. DIACK dit avoir mis en avant son sens des affaires pour en arriver là.

« Je suis parti de mes propres moyens pour monter ce site. J’ai vendu une partie

de ma collection et le reste mis en vente sur le site que je venais de créer. En réalité, une galerie virtuelle mobilise très peu de moyens comparée à la galerie physique. Cependant, il me fallait un lieu pour stocker et entretenir les œuvres, mettre en place toutes les conditions requises pour l’emballage et l’enlèvement des commandes. En somme, un minimum de moyens logistiques est nécessaire pour atteindre mes objectifs. »67

Le pendant de la Typic Art Gallery est constitué d’expositions permanentes dans plusieurs locaux situés un peu partout dans la ville de Dakar. Les plus importantes sont montées dans le hall de la représentation de la Banque Mondiale au Sénégal, les locaux du cabinet de consulting Ibrahima Ndiongue et au siège de la Coopération canadienne.

Nous avons relevé un certain nombre de sites qui proposent aux artistes de réaliser leurs propres galeries virtuelles. Par exemple le site www.beamiz.com permet à n'importe quel internaute de construire sa galerie virtuelle en 3D. Pour les concepteurs de ce site, l’objectif de leur projet est de permettre aux artistes d'avoir un moyen innovant et original pour présenter leurs travaux. Les deux parties du site se présentent comme suit : l’une concerne la

création où l'artiste peut construire sa galerie, importer ses œuvres et les agencer selon ses

envies ; l’autre, traite de la visite par laquelle l'artiste peut partager avec n'importe quel internaute qui visite la galerie et découvrir son travail. En quelques minutes, on dispose d’une véritable galerie dans laquelle on peut circuler avec les flèches de direction du clavier de l’ordinateur et apprécier les œuvres qu’on a soi-même accrochées sur les murs des différents compartiments. Le seul bémol à ce type de galerie d’artiste concerne les limites de sa portée. En réalité la galerie n’existe qu’à l’intérieur d’une communauté d’internautes, tous inscrits sur le site. Cette forme de communautarisation peut toutefois servir de tribune d’échanges d’expériences et de visions entre artistes.

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La circulation virtuelle n’est certainement pas aussi importante que les autres moyens de circulation de l’art contemporain, mais elle n’est pas à négliger dans les échanges culturels d’aujourd’hui. L’instantanéité des échanges et la concision de ses trajectoires ont conduit à un foisonnement de sites Web destinés à la diffusion ou au commerce de l’art contemporain. Cependant, la présence de plus en plus importante de l’art contemporain produit en Afrique dans le réseau internet ne garantit pas pour autant un impact équivalent en termes de retombées financières pour les artistes. Enfin, les supports virtuels de l’art contemporain sont moins élaborés bien que leur niveau de visibilité soit acceptable.

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Deuxième partie :

ENJEUX CONTEMPORAINS DE LA CIRCULATION DES ŒUVRES

D’ART

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Chapitre premier :

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