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On voit donc apparaître, à l’occasion de la convergence des médias, de nombreuses évolutions majeures dans le droit français et dans le rapport du gouvernement aux institutions judiciaires : autorisation des interrogatoires captieux, mise en cause de la constitution et des plus hautes juridictions, mise en cause de la responsabilité des juges, privatisation du contrôle d’Internet.

Il est assez remarquable que ces retours à des situations juridiques, antérieures aux Lumières, se fassent à l’occasion de la convergence, comme la confirmation d’un changement d’ère vers une ère nouvelle qui ne serait peut-être plus construite sur la référence à l’écrit et à un idéal d’universalité. Alors que tous les lecteurs étaient égaux et susceptibles d’exprimer leur jugement, tous les téléspectateurs ne le sont peut-être pas.

Les arguments politiques qui soutiennent ces évolutions sont, en effet, extrêmement liés à l’actualité, donc à l’information diffusée par les médias, en premier lieu la télévision, et à ses logiques rhétoriques propres, comme la mise en avant des victimes.

La question demeure de savoir, si les nouveaux médias, en associant écrit et audio-visuel, en ouvrant les positions d’auteur et de lecteur, de sujet et d’objet, ouvrent de nouveaux espaces démocratiques et culturels, ou si l’inquiétude, face à cette ouverture, ne sert qu’à justifier la

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contention d’institutions qui auraient de plus en plus besoin de la répression pour se maintenir.

Plus que jamais, la définition du pouvoir semble être de parvenir à imposer ses discours, comme des énoncés vrais et susceptibles de régler les problèmes du destinataire dans son espace de réception, ce qu’expriment très différemment, mais très complémentairement, nous semble-t-il, Bourdieu et Foucault. Si l’on suit les modèles proposés par Bourdieu dans

Raisons pratiques1, la légitimité, comme l’émotion, ne sont que les produits d’une stratégie de

discours, socialement orientée suivant les intérêts de l’énonciateur, l’objet de son efficacité étant précisément d’assurer son énonciataire de l’inverse, d’accréditer le sacrifice de son intérêt ou de son point de vue égoïste au point de vue du groupe, reconnu dans sa valeur et comme fondateur de toute valeur. Or, comme le soulignait Foucault2, pour le destinataire, l’enjeu est aussi de profiter des effets du pouvoir en fonction de ses propres intérêts, tout en assurant le destinateur de l’inverse : on peut ainsi comprendre le fait d’accuser de régicide ceux que l’on souhaite faire embastiller pour des raisons purement personnelles.

Le récit de la convergence serait alors à lire comme la fiction pragmatique du rapport de la représentation au politique : plus qu’une improbable leçon d’histoire et de prospective, les discours sur l’évolution des médias nous donnent comme exemple leur propre écriture, au cœur du récit que notre communauté se donne pour se définir, la grammaire des discours polémiques doublant la grammaire de la langue, la grammaire des médias, la grammaire du droit, la grammaire de l’économie et la grammaire de la société.

Or, l’enjeu de la Convergence est peut-être bien de ne plus simplement étudier nos cadres réflexifs seulement par l’analyse de leurs représentations, mais de les éprouver en étant soi- même un acteur, voire un joueur.

1 Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action Seuil, Paris 1994. 2

1. Aspects symboliques

Evolutions et transformations

Nous ne chercherons pas à redéfinir la notion de symbole : il s’agit simplement pour nous de noter les changements de statuts des objets, à la fois suivant leur modalité de circulation, leur insertion dans un marché, et les connotations culturelles qui leur seront associées.

Les jeux vidéos ont eux-mêmes contribué à populariser l’idée d’un lien direct entre évolution technique, transformation des médias et progrès humains. Peut-être Mc Luhan a-t-il en effet fourni le scénario implicite qui a permis le développement des jeux de « civilisation »1.

Les écritures sacrées ne manquent pourtant pas non plus de descriptions de différents âges humains : à l’image de l’individu lui-même, les sociétés passeraient par l’enfance et les renoncements de l’âge adulte, avant d’arriver à la maturité ou à la décadence.

La métaphore recèle donc une puissance certaine, un écho qui fait que l’image du passage vers un village global dans l’ère des communications électroniques peut difficilement être considérée seulement comme un raccourci insuffisant. Si les vertus scientifiques de Mac Luhan sont contestées, il n’en occupe pas moins une partie essentielle du corpus des textes utilisés dans notre société pour donner une certaine lisibilité au présent, au nom d’un avenir consolateur.

En établissant un lien de causalité entre industrie de l’imprimerie, diffusion des textes imprimés, mise en place de régimes politiques et judiciaires unifiés et construits autour de la référence à l’écrit, il propose d’examiner les conséquences politiques des médias électroniques.

Or, cet examen mérite d’autant plus d’être fait que le progrès technique peut parfaitement servir de prétexte à des régressions juridiques.

Nous observerons souvent cette tension entre apologie d’un monde de communication électronique, libéré de l’entrave des brevets et des copyrights qui ne seraient que les outils d’un système de domination et d’asservissement de l’individu et description apocalyptique d’un monde sans lois.

En effet, les biens symboliques, dont la valeur marchande était garantie par le droit et la complexité des moyens de reproduction de technique, ne doivent désormais leur valeur financière qu’à la répression dans un espace de communications numériques.

Assez judicieusement, les sociétés de télévision investissent ainsi le marché des produits dérivés : si l’on se place dans la perspective d’une consommation gratuite des programmes, le retour sur l’investissement peut se faire par des biais de ce type – pour autant que les produits ne soient pas contrefaits eux-mêmes.

Cette nécessité particulière de la répression ressemble alors, très curieusement, à un miroir inversé de l’avènement des médias comme lieu d’expression de l’opinion publique.

Dans le dernier quart du XIXème siècle et le premier quart du XXème siècle, on assiste, en France, à un phénomène de « décompression », de libéralisation politique, qui va des lois sur la liberté de la presse à l’autorisation de syndication, d’association et d’affichage1

. Ce phénomène s’accompagne de la disqualification de la foule, comme lieu de manifestation des opinions avec des corps, au profit d’une qualification particulière des audiences, anonymes mais quantifiables tout en étant libres de leur consommation intellectuelle.

Dans les premières années du XXIème siècle, on assiste, au contraire, à l’introduction de lois et de règlements de plus en plus répressifs, limitant toutes les formes d’anonymat des usagers d’Internet, voire des médias de façon générale, et encadrant précisément la licité des contenus diffusés ou partagés.

Serait-ce le signe indubitable d’un changement d’ère, ou bien les discours sur ce changement forment-ils un arrière plan qui justifie ces régressions ?