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L’espace politique est le lieu de contrôle de l’accès aux capitaux. Berlusconi s’est retrouvé en difficulté financière à la chute de Craxi, la perte de son appui politique entraînant un repli des banques. Il a pu utiliser son impact symbolique et économique pour prendre directement ce contrôle et assurer la pérennité de son entreprise3.

Vivendi4 semble suivre une trajectoire inverse. Les capitaux provenaient d’espaces marchands octroyés par l’État : concessions auprès des collectivités (CGE), concession de télévision (Canal Plus). Havas était également contrôlé par l’État5. L’accès au financement public avait également pour corollaire une obligation d’investissement dans l’audiovisuel.

1 Un spyware (un fichier caché espion) peut permettre d’obtenir ces informations initiales.

2 « Ebay obtient la fermeture d’eBayseller.cc » Pc Impact 28 mars 2006, Marc Rees, dépêche reprise sur Yahoo !

Actualité.

3 Analyse proposée par Pierre Musso « Silvio Berlusconi et les médias italiens » groupe de travail Temps Média

et Société, Centre d’histoire de l’Europe du XXème siècle, IEP Paris, le 8 mars 2002, développée dans Pierre Musso Berlusconi, le nouveau prince, éditions de l’Aube, coll. Monde en cours, Paris 2004.

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La société a également bénéficié d’un crédit d’impôts négocié contre le maintien de son siège social à Paris.

Or, ces ressources semblent avoir été soldées au profit d’un déplacement de l’activité vers les contenus. Cependant, ceux-ci ne constituent pas forcément en eux-mêmes une ressource marchande fiable, comme on peut l’observer avec les problèmes de piratage des contenus multimédias. La valeur patrimoniale des catalogues de droits audiovisuels est-elle encore suffisante pour constituer un capital ? Les stratégies de développement des grands groupes audiovisuels ont essentiellement résidé en la constitution ou la prise de contrôle de catalogues, de façon à ne pas dépendre de leurs concurrents ou à pouvoir leur imposer leurs conditions. Le lobbying très intense en faveur d’un durcissement des lois réprimant le piratage montre, si besoin est, l’importance économique de ces catalogues pour les groupes médias. Les ressources du secteur de l’édition musicale, très éprouvé suivant les propos de ses dirigeants, dépendent du même type de gestion.

L’évolution du marché des DVD montre également que, si les consommateurs n’investissent pas facilement dans une offre de contenus immatériels, ils peuvent consacrer un budget important à l’acquisition des supports matériels de ces contenus : l’emballage, certainement plus important que le contenu, permet d’afficher des prétentions statutaires et de montrer sa propre compétence en matière de recherche rare, du fait de la multiplication des éditions différentes (« séries limitées », etc.). Les bonus seront assez différents suivant qu’il s’agisse d’éditions haut de gamme ou bas de gamme : les DVD achetés avec Le Monde du samedi n’ont ainsi que très peu de bonus, tout en ne présentant que le choix de la langue originale. Il reste cependant à déterminer si les problèmes de piratage sont simplement transitoires, en attendant l’adaptation des lois et des techniques, ou s’ils sont, eux-mêmes, un symptôme d’un phénomène plus important. Ce phénomène s’inscrit-il dans le sens d’une évolution « post- moderne » ? Nous proposons de le dénommer pour l’instant, à titre d’hypothèse, comme relevant d’une « plus grande séparation des espaces symboliques et marchands ». Ainsi, le développement d’espaces de production amateurs tendrait à inscrire de plus en plus la production symbolique dans le registre de la gratuité. L’échec des premiers investisseurs sur Internet tenait déjà à la surévaluation des sommes que les consommateurs étaient prêts à dépenser, d’autant qu’il existait, comme actuellement dans le cas du piratage, comparé au téléchargement légal, des offres gratuites souvent plus performantes que les offres payantes. Cette hypothèse nous semble d’autant plus séduisante qu’elle permet d’établir des liens entre l’évolution technique, les questions de consommation des médias et les questions de légitimation des contenus et le mode de production de ces contenus. Ainsi, suivant Mc Luhan, les érudits médiévaux pouvaient annoter en marge les ouvrages qu’ils étudiaient, leurs

commentaires s’incorporant au texte1

. La diffusion des ouvrages imprimés et reliés a alors, notamment, pour conséquence une individuation et une reconnaissance particulière des auteurs, et une individuation des commentaires, qui finissent même par constituer un marché (celui des essais par exemple). Les phénomènes actuels de diffusion gratuite et de multiplication des citations croisées dans de nombreux domaines de la création pourraient confirmer son hypothèse prospective : la dématérialisation des contenus facilite leur appropriation, et la notion même d’auteur pourrait devenir caduque, si elle n’était plus déterminée par le marché ou surévaluée par celui-ci.

Néanmoins, n’oublions pas que des offres, apparemment ou même réellement gratuites, peuvent relever d’un principe de dumping : le secteur informatique offre plusieurs exemples de ce type. La société Microsoft a fait disparaître un grand nombre de concurrents potentiels en proposant un produit gratuit et en réduisant ainsi à néant des marchés sur lesquels elle ne parvenait pas à s’imposer2. La vente de licences de système d’exploitation lui a assuré une rente de situation qui lui a également permis de ne pas trop souffrir d’un piratage endémique des logiciels bureautiques, fatal à ses concurrents3.

Cet argument est également repris par les sociétés d’auteurs4, que ce soit dans l’édition multimédia, dans l’édition audiovisuelle, ou dans l’édition musicale : le piratage affaiblirait les sociétés indépendantes, plus fragiles que celles qui sont adossées à un grand groupe ; il contribuerait donc à un nivellement de la production au profit des groupes les plus industrialisés, sous-entendu, les moins créatifs.

La question de la propriété intellectuelle recoupe, en effet, plusieurs domaines, assez différents : propriété de brevets ou de marques, notion d’auteur littéraire, mais c’est bien l’ensemble de ces statuts qui serait remis en cause par Internet.

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Ce qui préfigurerait le principe des liens hypertextes : voir Louis Holtz « De la glose à l'hypertexte dans le livre médiéval », dans Compte-rendu de la réunion du 9 septembre 1996 du séminaire écrit informatisé et systèmes d'information. Société Française de bibliologie, Paris 1996.

2 Le cas le plus célèbre est, bien entendu, celui qui a opposé Microsoft à Netscape. En proposant gratuitement

Internet Explorer, Microsoft a asséché la quasi-totalité des ressources de son concurrent.

3 Voir Philippe Breton « L'informatique, quarante ans de succès paradoxaux » dans L'Emprise de l'informatique

Culture Technique n°21, CRCT, Neuilly-sur-seine 1990 ; Philippe Breton, Eric Heilmann, Isabelle Bertrand : « Entre l'ordre et le désordre, les valeurs paradoxales du monde de l'informatique », Réseaux n°48, Paris, Juillet - Août 1991.