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PARTIE I : SYNTHÈSE

1.3 Approche générale

1.3.2 Choix du métal trivalent : le scandium

Le critère de pertinence environnementale est habituellement déterminant lors du choix d’un métal d’étude. Dans le cadre d’une étude écotoxicologique sur les métaux trivalents, l’Al s’imposerait alors comme un choix évident. Cependant, le manque de techniques analytiques suffisamment sensibles pour détecter des niveaux d’Al intra-cellulaires faibles est l’une des

principales causes de notre compréhension limitée de la biodisponibilité de ce métal. Notamment, l’absence d’un isotope radioactif d’Al adapté pour le radio-traçage dans des expériences de prise en charge constitue un frein analytique important. Le seul isotope d’Al avec une demi-vie suffisamment élevée, Al-26, est rare, couteux et a une faible énergie d’émission, ce qui rend son utilisation très limitée (Taylor et al., 2000b). Ainsi, il nous a semblé judicieux d’étudier un analogue chimique de l’Al, d’une importance environnementale moindre, mais possédant un radio-isotope adapté aux études écotoxicologiques (i.e. avec une demie-vie suffisamment longue et une bonne accessibilité commerciale).

L’idée de substituer l’Al par un métal analogue n’est pas nouvelle dans des études toxicologiques. Clarkson et Sanderson (1969) ont utilisé le Sc comme analogue de l’Al après avoir constaté que les effets de Sc3+ et d’Al3+ sur les apex de racines d’oignons Allium cepa étaient similaires : ces deux ions bloquaient la division cellulaire après un court délai d’exposition, sans générer d’importantes anomalies chromosomiques durant la mitose. Les auteurs ont fait l’hypothèse que ces métaux devaient probablement agir sur la division cellulaire selon un mécanisme commun. Ils utilisèrent alors l’isotope radioactif Sc-46 comme traceur pour suivre la prise en charge et la distribution du Sc dans les racines, puis faire des suggestions sur les mécanismes de perturbation du cycle mitotique par l’Al. Plus récemment, Walton et al. (2010) ont étudié l’aptitude du Ga à substituer l’Al dans des expériences de traçage chez l’escargot d’eau douce Lymnea stagnalis. Ils exposèrent les individus pendant 40 jours à des solutions de Ga ou d’Al (0,0135 mM), sous les mêmes conditions expérimentales. Des différences significatives entre les deux métaux aux niveaux de la vitesse d’accumulation dans les tissus mous et des fractions associées aux protéines thermostables ont amené les auteurs à conclure que le Ga avait un potentiel limité comme analogue de l’Al pour L. stagnalis.

Parmi les possibles candidats considérés dans cette étude (le Sc, l’In, le Ga, l’Y et le Cr(III)), le Sc est celui qui présentait le meilleur compromis entre la similarité avec l’Al et la disponibilité d’un radio-isotope adapté aux études écotoxicologiques (Sc-46, demi-vie de 83,8 jours, émissions gamma/beta de hautes énergies) (Ganrot, 1986; Verstraeten et al., 1997).

Le Sc est un élément du groupe des terres rares, comprenant la série des lanthanides et l’yttrium. Il est ubiquiste et présent en quantités relativement faibles dans tous les compartiments terrestres. Dans les eaux douces, les concentrations en Sc sont typiquement de l’ordre de 0,2 nM (Bowen, 1979). Dans les sédiments, les concentrations en Sc sont de l’ordre du mg·kg-1 (Horovitz, 1999). Avec une concentration moyenne de 16 mg·kg-1 dans la croûte continentale (Wedepohl, 1995), il se place au 31ème rang d’abondance en pourcentage de poids de la croûte

terrestre, ce qui correspond à la moitié de l’abondance du cuivre, au double de celle du plomb et à dix fois celle de l’étain (Lide, 1991). C’est un élément toutefois très uniformément dispersé car il présente peu de préférences pour des phases minérales spécifiques. Il existe ainsi peu de minerais exploitables et l’utilisation industrielle du Sc est donc relativement faible, avec une production globale actuelle estimée entre 2 et 10 tonnes par an. Cependant, la demande dans le marché des terres rares est en constante augmentation : jusqu’à 2007, celle-ci a augmenté en moyenne de plus de 3 % par an (Tanida et al., 2009). Une des principales applications du Sc est l’amélioration des propriétés thermiques des alliages d’Al (Toropova et al., 1998). Ces alliages Al-Sc sont actuellement utilisés dans certains équipements sportifs (p. ex. les bâtons de baseball et les armatures de vélo) et intéressent de plus en plus l’industrie aéronautique. Le Sc est aussi utilisé dans la fabrication de lampes de hautes intensités produisant une lumière similaire à celle du soleil. Enfin, son isotope Sc-46 est utilisé dans la médecine nucléaire et dans les traitements anti-tumoraux.

Du côté des propriétés chimiques, le Sc est le premier métal de la série de transition et est probablement l’élément de la 4ème période le moins étudié (Cotton, 1999). C’est un acide « dur » au sens de Pearson, c'est-à-dire un métal de classe A, peu polarisable, tout comme l’Al. Le Sc forme ainsi les complexes les plus forts avec des ligands durs, c'est-à-dire avec des ions ou des groupes fonctionnels possédant une charge électronique très localisée (p. ex. les groupements hydroxydes, fluorures, sulfates, phosphates et acétates) (Wood et Samson, 2006). Les similarités entre Sc3+ et Al3+ sont leur degré d’oxydation +3, leur configuration électronique d’un gaz rare, leur absence d’activité redox dans les systèmes biologiques et leurs affinités très proches pour les hydroxydes et les fluorures (deux ligands importants dans les eaux naturelles) (tableau 1). Les solubilités de leurs hydroxo-complexes ternaires sont aussi très similaires, avec un minimum de solubilité entre pH 6 et 10 pour Sc(OH)3 et entre pH 6 et 8 pour Al(OH)3 (figure 4). Le rayon ionique de Sc3+ est cependant plus élevé que celui d’Al3+ et sa densité de charge est donc plus faible. Ceci lui confère un pouvoir polarisant moins élevé, mais aussi une cinétique d’échange de ligand fortement supérieure. En effet, la constante de vitesse d’échange d’une molécule d’eau k-w est de 4,8 x 107 s-1 pour l’aquo-ion Sc3+ et de seulement 1,3 s-1 pour Al3+

(Kobayashi et al., 1998). L’ion Sc3+ a donc une vitesse d’échange de ligand environ 107 fois supérieure à celle d’Al3+ et est donc beaucoup plus labile (Ganrot, 1986). Enfin, les récentes avancées sur la chimie du Sc indiquent que l’aquo-ion Sc3+ n’est pas entouré par six molécules d’eau comme Al3+ (en coordinence octaédrique) mais plutôt par sept ou huit molécules d’eau (en coordinence prismatique trigonale à trois sommets) (Cotton, 1999; Lindqvist-Reis et al., 2006; Persson, 2010).

Tableau 1 : Propriétés physico-chimiques d’Al3+ et de Sc3+.

Paramètre Al Sc

Rayon ionique a (indice de coordination), r 0,535 Å (6) 0,745 Å (6); 0,870 Å (8)

Densité de charge, z/r (z=3) 5,56 Å-1 4,03 Å-1 (6); 3,45 Å-1 (8)

Pouvoir polarisant, z2/r (z=3) 16,67 Å-1 12,08 Å-1 (6); 10,34 Å-1 (8)

Configuration électronique de M3+ Gaz rare Gaz rare

Vitesse d’échange de H2O b, k-w 1,3 s-1 4,8 x 107 s-1

Log β M(OH)x(3-x)+ (x=1,..,4) c 9,003; 17,906; 25,209; 33,312 9,703; 18,306; 25,909; 30,012

Log β M(F)x(3-x)+ (x=1,..,4) c 7,000; 12,600; 16,700; 19,400 7,080; 12,900; 17,400; 20,220

Log Ks M(OH)3 d -9,350 (gibbsite microcristalline) -9,291

a Les rayons ioniques sont issus de Shannon (1976)

b La vitesse d’échange de H

2O de l’Al provient de Martin (1992) et celle du Sc provient de Kobayashi et al. (1998)

c β, constante de formation du métal M à force ionique nulle et à 25°C, sélection critique réalisée par Martell et Smith

(2004)

d K

s, constante de solubilité du métal M à force ionique nulle et à 25°C, sélection critique réalisée par Nordstrom et al.

(1990) pour l’Al et par Martell et Smith (2004) pour le Sc

Figure 4 : Solubilité maximale d’Al3+ et d’ions similaires en milieu aqueux à différents pH, d’après les données de Baes et Mesmer (1976). Figure modifiée de Ganrot (1986).