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La question du choix d’un mode d’organisation est abordée en économie néo-institutionnelle au travers de la notion de coûts de transaction. Quel qu’il soit, tout mode de coordination choisi pour réaliser une transaction génère des coûts de transaction (Williamson, 1985). Les coûts de transaction (CT) sont les coûts de fonctionnement du système économique (Williamson, 1985, p.18). Ils peuvent être définis comme « les coûts comparatifs de planification, d’adaptation et de suivi des transferts de droits associés à des tâches dans le cadre d’arrangements organisationnels alternatifs » (Ménard, 2012, p.24). Théoriquement, le choix d’un mode d’organisation pour réaliser une transaction s’effectue de façon à minimiser les CT. 5" Aménageur"1" Inves&ssement)dans)le) capital)naturel) Environnement" ins3tu3onnel" Mode"d’organisa3on"par"des" fonds"de"compensa3on" Réglementa&on) Aménageur"2" Gains"écologiques" Aménageur"n" Régulateur" Autorisa&on) Contrôle) En3té"ad#hoc## Versement)de)fonds) financiers)

Les coûts de transaction étant difficilement mesurables, on les évalue généralement au travers des caractéristiques de la transaction qui constituent la principale source des coûts de transaction (Masten et al., 1991 ; Williamson, 1985). L’efficacité et la pérennité d’un mode d’organisation à réaliser une transaction s’évaluent par sa capacité à être « au mieux » adapté aux caractéristiques de la transaction (Coase, 1937).

Dans le cas de la compensation, les principales caractéristiques de la transaction sont : la spécificité des actifs, l’incertitude autour de la transaction et la fréquence des transactions (Coggan et al., 2013a ; 2013b ; Scemama et Levrel, 2014). La production du service de compensation implique des investissements dans le capital naturel afin de générer les gains écologiques. Ces investissements (actifs) sont plus ou moins spécifiques à la transaction. Lorsqu’il est très coûteux de redéployer les investissements pour une autre transaction, on parle de spécificité des actifs (Saussier et Yvrande-billon, 2007, p. 19). Le caractère non redéployable qui confère aux actifs leur spécificité peut provenir de différentes caractéristiques dont nous en retenons sept particulièrement adaptées à l’analyse de la compensation (Coggan et al., 2013) : la spécificité de site, la spécificité physique, la spécificité humaine, les actifs dédiés, la spécificité des intrants, la spécificité temporelle et la spécificité de marque.

La spécificité de site est liée à la localisation des actifs de la transaction soit des unités de compensation. Elle dépend du contexte local et s’évalue, par exemple, selon le niveau de spécificité et d’enjeux de conservation de la biodiversité. La spécificité physique dépend des caractéristiques biophysiques des gains écologiques générés pour la compensation. Elle s’évalue par exemple selon la spécificité et la complexité des écosystèmes restaurés. La spécificité humaine est relative aux compétences et aux connaissances propres spécifiquement développées pour la production des actifs de la transaction. Les actifs dédiés correspondent aux investissements matériels réalisés spécifiquement pour produire les actifs de la transaction (par exemple achat de matériel, travaux). La spécificité des intrants est liée à la dépendance des actifs de compensation de ressources extérieures (comme la gestion du site où se trouvent les actifs de compensation). La spécificité temporelle est relative au temps nécessaire entre les investissements pour produire les actifs de la transaction et leur utilisation pour réaliser la transaction. La spécificité de marque correspond aux investissements consentis par les acteurs de la transaction pour établir ou maintenir leur réputation. Plus l’investissement requis est spécifique, plus les parties cherchent à se prémunir contre les risques, ce qui génère des coûts de transaction plus importants (Ménard, 2012).

L’incertitude de la transaction a deux origines différentes : une première qui est endogène ou interne, c’est-à-dire inhérente à la transaction et aux difficultés à identifier la qualité du service sur lequel porte la transaction, et une autre exogène ou externe, qui est liée à des facteurs externes aux décisions des agents de la transaction (Williamson, 1985). Ces deux types d’incertitudes sont néanmoins liées : les incertitudes externes favorisent l’incertitude interne (Saussier et Yvrande-Billon, 2007).

La transaction est théoriquement soumise à trois incertitudes : environnementale, institutionnelle et comportementale (Easter and McCann, 2010). Les incertitudes environnementale et institutionnelle sont considérées comme exogènes et l’incertitude comportementale comme endogène. L’incertitude autour de la transaction est génératrice de coûts de transaction.

L’incertitude environnementale provient de l’impossibilité d’anticipation des états futurs de la nature (Williamson, 1991). Dans le cas d’un système de compensation, l’incertitude environnementale concerne les difficultés de prévision des résultats écologiques des actions de compensation et de leur maintien dans le temps. L’incertitude se manifeste également dans le délai nécessaire entre les actions de compensation et l’atteinte des résultats. L’incertitude institutionnelle est liée à l’environnement institutionnel car elle dépend de la force des institutions à pouvoir contraindre les agents et aux capacités de ces derniers à pouvoir s’y ajuster (Williamson, 1991). L’incertitude comportementale provient du risque, impossible à anticiper, d’apparition de comportements opportunistes des agents de la transaction et des comportements stratégiques qui en résultent (Williamson, 1985). L’apparition de comportements opportunistes repose sur les hypothèses théoriques d’une rationalité limitée des agents (c’est-à-dire ne traitant qu’une partie de l’information associée à la transaction), et d’une propension de ces derniers à tirer avantage des incertitudes des transactions (Ménard, 2012). Les comportements opportunistes proviennent, en partie, d’une asymétrie d’information entre les agents de la transaction qui peut être utilisée à l’avantage d’un agent, et au détriment d’un autre, voire de l’intérêt général dans le cas d’engagements en faveur de la conservation de la biodiversité. Deux aléas contractuels sont distingués en fonction du moment auquel ils peuvent survenir dans la transaction : la sélection adverse qui apparaît ex ante, et l’aléa moral qui survient ex post. La sélection adverse provient d’une incertitude au moment de la négociation et de la signature des termes du contrat. Dans ce cas, les parties ne disposent pas de toute l’information disponible sur la transaction pour s’assurer que les termes du contrat seront respectés par les autres partie et certaines d’entre elles peuvent tromper les autres sur leurs intentions réelles (Ménard, 2012). Dans le cas de la compensation, la sélection

adverse concerne par exemple les difficultés de l’aménageur à anticiper la qualité et le coût réel de la production des gains écologiques par l’offreur du service de compensation. L’aléa moral porte sur l’incertitude quant au respect des termes du contrat par les parties après la signature du contrat. Il s’agit par exemple du non respect par le producteur du service de compensation des actions écologiques prévues pour assurer la production des gains écologiques de la compensation. Plus l’incertitude est élevée, plus le coût d’organisation de la transaction devient important en raison des contingences à anticiper (Saussier et Yvrande-Billon, 2007).

La fréquence des transactions est une des caractéristiques qui influencent également les coûts de transaction (Williamson, 1985). Théoriquement, plus la fréquence des interactions entre les parties de la transaction est importante, plus les coûts de transaction diminuent en raison de la capacité des agents à redéployer des connaissances et à capitaliser sur les processus relatifs à la transaction, et du fait de la confiance et de la connectivité qui s’instaurent entre eux (Rorstad et al., 2007 ; Williamson, 1985 ; Ménard, 1995).

Le choix des modes d’organisation pour réaliser la transaction de la compensation dépendra également, en dehors des caractéristiques de la transaction, des incitations et des règles du jeu établies par l’environnement institutionnel. Le cadre institutionnel conditionne les organisations qui y seront créées, et les comportements de leurs entrepreneurs (North, 1990). Dans le cas de la compensation, l’environnement institutionnel portera sur l’établissement des règles relatives aux conditions de production des gains écologiques. Elle jouera également sur les incitations aux agents économiques à assurer la production et le maintien des gains écologiques dans le temps, et à garantir le respect de l’équivalence écologique entre les pertes et les gains de biodiversité.

La mobilisation du cadre théorique de la NEI s’est avérée particulièrement adéquate dans l’analyse de l’organisation de la transaction de la compensation écologique dans les contextes institutionnels américains et australiens (Coggan et al., 2013b ; Scemama, 2014 ; Vaissière, 2014). Nous allons souligner, dans la partie suivante, les principaux résultats mis en évidence dans ces travaux au travers d’une analyse synthétique de la littérature. Au-delà des questions organisationnelles et institutionnelles autour des compensations, je présenterai également les principaux enjeux écologiques et politiques autour de la compensation écologique soulignés

dans la communauté scientifique. Cette analyse de la littérature me permettra par la suite de préciser les questions et les hypothèses de recherche posées dans ce travail.

3. La compensation écologique dans la littérature scientifique

Cette section n’a donc pas pour objectif de faire une revue exhaustive de la littérature sur le sujet de la compensation, d’autant plus qu’un des chapitres de la thèse porte spécifiquement sur l’étude de toute la production académique sur le sujet (chapitre 5). Je vais particulièrement m’intéresser dans cette partie aux travaux qui portent sur : (1) l’analyse de l’efficacité écologique des compensations ; (2) l’étude des modes d’organisation pour réaliser la transaction; et (3) l’étude des tensions autour de l’utilisation de la compensation comme outil des politiques de conservation.

3.1. La question de l’efficacité écologique des compensations

Cette question de recherche est principalement traitée par des travaux menés en écologie. L’écologie scientifique s’est emparée très tôt du sujet de la compensation pour en analyser l’efficacité. La majorité des travaux portent sur l’analyse des compensations menées par des actions de restauration écologique. En effet, les actions de restauration sont privilégiées aux Etats-Unis pour mener les actions de compensation, celles-ci constituent alors les actions de compensation les plus répandues dans le contexte américain (USACE, 2008). Les travaux menés sur ce sujet sont globalement assez critiques sur les possibilités de compenser les pertes de biodiversité par les actions de restauration écologique (Curran, Hellweg et Beck, 2014 ; Maron et al., 2010, 2012 ; Moreno-Mateos et al., 2012 ; Palmer et Filoso, 2009). Les principaux problèmes mis en évidence sont les limites techniques, résultant du peu de connaissances disponibles sur la composition des écosystèmes et sur leur fonctionnement (Rey Benayas et al., 2009), et temporelles en raison des longues périodes de temps nécessaires pour en évaluer les résultats (Bendor, 2009 ; Zedler and Callaway, 1999). Des problèmes organisationnels relatifs au suivi et au contrôle des compensations sur le long terme renforcent cette limite temporelle des actions de restauration (NRC, 2001). Il est globalement montré que les efforts de restauration ne permettent pas à un écosystème dégradé de recouvrer avec succès l’état de référence visé dans la compensation (Matthews and Spyreas, 2010).

Certains pays, comme la France, continuent de mener les compensations par des actions de préservation. Regnery et al. (2013) ont montré que 26% des mesures compensatoires étaient menées par des actions de préservation contre 17% pour les actions de restauration, 24% pour de la création d’habitats et 33% pour de l’amélioration (ou réhabilitation). L’utilisation des actions de préservation pour mener les compensations est remise en question dans la communauté scientifique par rapport à la réelle plus-value écologique qu’elles apportent. En effet, leur mobilisation dans le cadre des compensations doit être justifiée par l’évitement de futures pertes de biodiversité, ce qui confère à cette action la plus-value écologique (Bull, Suttle, Gordon, et al., 2013).

Plus généralement sur les compensations, les travaux confrontent la pratique de la compensation à des questions théoriques et empiriques. Premièrement, des auteurs soulignent les risques dans la pratique de la compensation en mettant en évidence l’importance de la question des références des états de biodiversité dans la production des gains écologiques. Maron et al. (2015) et Bull et al. (2014) montrent par exemple que l’atteinte de l’objectif écologique dépend de l’état de référence de la biodiversité considéré dans l’évaluation des pertes écologiques. En fonction des scénarios d’évolution de la biodiversité, les pertes de biodiversité peuvent être surestimées et conduire à la production de gains écologiques supérieurs aux pertes réelles, conduisant alors à la production de « droits à détruire ». D’autre part, des écologues se sont intéressés aux types de biodiversité considérés dans le mécanisme de compensation. Dans cette perspective, Regnery et al. (2013) ont par exemple souligné que les compensations ne concernaient en pratique que les espèces et les habitats protégés alors qu’elles devraient également s’appliquer à la biodiversité ordinaire, notamment dans le cadre des impacts sur les Trames vertes et bleues. Curran et al. (2014) révèlent quant à eux que les compensations ne devraient pas s’appliquer à des écosystèmes anciens comme les forêts primaires car les impacts sur ces écosystèmes ne pourraient être compensés. Curran et al. (2014) questionnent également les supports théoriques sur lesquels repose la pratique de la compensation en soulignant leur fragilité et leur manque de robustesse notamment en raison du manque d’études empiriques portant sur l’analyse de l’efficacité des mesures compensatoires. Des auteurs s’intéressent également aux avantages présumés des mécanismes de banques de compensation par rapport aux autres mécanismes de compensation (Carroll, Fox et Bayon, 2008). Mais l’étude empirique de l’efficacité écologique des banques de compensation révèle des résultats plutôt mitigés (Bekessy et al., 2010 ; Burgin, 2008a, 2010 ; Jaunatre, Buisson et Dutoit, 2014), bien que peu d’études récentes aient vraiment analysé

empiriquement les résultats écologiques des banques en faisant des suivis sur le terrain (Bull, Suttle, Gordon, et al., 2013 ; Maron et al., 2012; Jaunatre et al., 2014).