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Choisir le mode de garde des enfants : un miroir des disparités socio économiques

Section I. Interroger la norme de la pluralité de la socialisation enfantine au prisme de trajectoires de garde

A. Choisir le mode de garde des enfants : un miroir des disparités socio économiques

Certains travaux concernant la prise en charge des jeunes enfants témoignent des inégalités face à l’accès aux modes de garde. En effet, les écarts de coûts des structures d’accueil, entre par exemple une crèche municipale et une assistante maternelle, participent d’un facteur important produisant ces inégalités (Erne et Fraisse, 2005). De surcroît, les critères d’accès pour voir les enfants pris en charge dans les structures renforcent ces inégalités. Par exemple, les parents doivent justifier d’un emploi pour pouvoir bénéficier d’une place en crèche municipale. Ce qui, de facto, exclut un ensemble d’usagers : personnes à la recherche d’un emploi ou en formation. Mais les inégalités face aux modes de garde peuvent également se décliner sur d’autres versants. La flexibilité des horaires des parents versus la rigidité des plages d’accueil des enfants en constitue un exemple (ibid).

A partir de données quantitatives fournies par les structures d’accueil enquêtées dans le 14è arrondissement (crèche municipale Gyptis, Toute petite section de l’école maternelle Compans Lamali et la crèche associative Zéphir) concernant la situation socioprofessionnelle des parents, nous mettons en évidence les traits saillants de ces disparités face aux modes de garde.

Les tableaux suivants décrivent la catégorie socioprofessionnelle des parents des enfants pris en charge dans les structures enquêtées. A partir de la profession des parents que nous avons requalifiée en fonction des Catégories socioprofessionnelles (CSP) mises en œuvre par l’INSEE, nous cherchons à établir si les profils sociologiques repérés connaissent des similitudes ou des différences en fonction des structures.

Les données afférentes à la crèche Gyptis et à la Toute petite section Lamali nous apparaissent particulièrement comparables en raison d’un nombre total de parents presque équivalent (37 parents pour la TPS et 44 pour la crèche Gyptis). En revanche, le faible nombre d’enfants pris en charge dans la crèche associative Zéphir (9 enfants pour 11 parents dans le statut en emploi nous a été transmis) ne permet pas d’établir une comparaison. Néanmoins, la particularité de cette crèche appartenant à un dispositif destiné à accueillir prioritairement des enfants dont les parents connaissent des situations difficiles en emploi (en formation, sans emploi ou en situation d’emploi précaire) permet de compléter cet éclairage sur les inégalités.

Tableau 9. Catégories socio professionnelles des parents des enfants de la Crèche Gyptis Total = 27 enfants

CSP Mère Père Total

Agriculteurs exploitants 0 0 0

Artisans, commerçants,

chefs d'entreprise 0 0 0

Cadres et professions intellectuelles supérieures 3 4 7 Professions intermédiaires 4 3 7 Employés 13 7 20 Ouvriers 0 5 5 Retraités 0 0 0 Sans emploi 1 0 0 Non renseigné 1 3 4 Total Parents 2219 23 44 19 Le fait que le nombre d’enfants n’équivaut pas au nombre de parents s’explique par le fait que dans certaines structures,

Tableau 10. Catégories socio professionnelles des parents de la Toute Petite Section de l’école maternelle Compans-Lamali Total = 20 enfants CSP Mère Père Agriculteurs exploitants 0 0 0 Artisans, commerçants, chefs d'entreprise 0 1 1

Cadres et professions intellectuelles supérieures 1 1 2 Professions intermédiaires 1 0 1 Employés 6 1 7 Ouvriers 0 6 6 Retraités 0 0 0 Sans emploi 10 4 14 Non renseigné 2 4 6 Total Parents 20 17 37

La comparaison entre ces deux premiers tableaux permet de noter un résultat particulièrement marquant : les profils sociologiques des parents des enfants pris en charge dans ces deux structures diffèrent. Il est notoire que la part des parents sans emploi à la crèche Gyptis est quasiment inexistante (1 parent) alors qu’elle prédomine largement dans la TPS Lamali culminant à 14 parents sans emploi sur un total de 20. Dans le même sens, on constate la faible part des cadres et professions intermédiaires dans la TPS (3 parents au total) alors que le nombre de professions intermédiaires et de cadres s’élève à 14 parents pour la crèche Gyptis. Ainsi, la crèche accueille une part importante d’enfants de parents en emploi plus qualifié que ceux des enfants accueillis dans la TPS. En ce sens, l’analyse du type de modes de garde, en fonction des catégories socioprofessionnelles, révèle des inégalités.

Un premier élément d’explication peut d’ores et déjà être avancé. Les crèches en France, ont pour politique d’accueillir prioritairement les enfants dont les parents sont en

activité et travaillent20. Ainsi, dans un contexte de forte demande de prise en charge des enfants en bas âge et de pénurie de places disponibles, l’accès à la crèche sera accordé de préférence aux parents en situation d’emploi. Ceci explique l’absence de parents sans emploi à la crèche Gyptis et montre que les parents, en fonction de leur statut en emploi, sont inégaux pour faire prendre en charge leurs enfants.

Ces premiers résultats d’enquête corroborent les analyses de Bernard Erne et François Fraisse (2005) portant sur les politiques de diversification des modes de garde dans les villes de Montreuil et de Rennes. Ces auteurs affirment en effet que les politiques de diversification des modes de garde, sans faire l’objet d’une réelle politique de régulation par les pouvoirs publics, participent de la production d’inégalités dans les modes de garde.

« La diversification des services n’augmente pas les possibilités et les capacités de choix de garde de tous les parents mais seulement d’une partie de ceux-ci. L’absence d’une régulation locale de la diversité se traduit le plus souvent par une segmentation sociale des modes de garde. Plusieurs facteurs de polarisation sociale sont à prendre en compte : la pénurie de places et la proximité des services, leurs prix et, enfin, les critères d’admission ainsi que leurs conditions de fonctionnement (horaires, participation). Les problèmes d’accès se manifestent d’abord par les difficultés de certains parents à trouver une place, en crèches ou chez une assistante maternelle, en fonction de leur situation économique, sociale et professionnelle » (Erne et Fraisse, 2005 : 12).

En outre, l’enquête qualitative a permis de révéler que les Toutes petites sections apparaissent aux parents connaissant des difficultés en emploi (chômage, absence d’activité) comme une alternative face à l’absence de places disponibles en crèche. Ainsi, le mode de garde de la TPS relève pour eux d’une forme de choix que nous pourrions qualifier de « sous contrainte ».

Par ailleurs, la prise en charge des enfants induit également un aspect économique. Le coût d’une prise en charge en crèche municipale est inférieur à celui de la garde par une assistante maternelle.

« Le coût de l’accueil individuel est un autre facteur majeur d’inégalité d’accès. Le système actuel d’aides et de financements publics de la petite enfance, fragmenté,

20 Le code de l’action sociale prévoit néanmoins un quota pour accueillir certains enfants en crèche orientés par l’action sociale. Ainsi 5% des enfants des crèches peuvent être orientées par les services sociaux. Sources : Légifrance, codes de

l’action sociale et des familles, Article L 214-7,

favorise une polarisation sociale entre accueil individuel et accueil collectif. Alors que les tarifs des crèches municipales et non municipales respectent un barème national qui tient compte des revenus des parents, le recours à une assistante maternelle ou à une aide à domicile demeure inabordable pour les familles à revenus modestes qui ne peuvent profiter des incitations fiscales. Les familles à bas revenus ne peuvent compter que sur l’accueil collectif ou informel lorsque la mère ne renonce pas à travailler (ibid. : 12).

Ainsi, parce que les parents sans emploi ne peuvent accéder à la crèche municipale et qu’ils disposent de faibles ressources, ils ont recours à la Toute petite section de maternelle ou à la crèche associative. Ces structures présentent l’avantage de garder les enfants gratuitement ou à moindre coût. Par exemple, un bénéficiaire des minimas sociaux participera à hauteur de 30 centimes par heure soit 3 euros par jour pour faire garder son enfant en crèche associative.

Tableau 11. Catégories socioprofessionnelles des parents des enfants de la crèche associative Zéphir

Total = 9 enfants - Données renseignées pour 11 parents

CSP Mère Père Total

Agriculteurs exploitants 0 0 0

Artisans, commerçants,

chefs d'entreprise 0 0 0

Cadres et professions intellectuelles supérieures 0 0 0 Professions intermédiaires 0 0 0 Employés 2 0 2 Ouvriers 0 0 0 Retraités 0 0 0 Sans emploi 4 2 6 En formation 3 0 3 Total Parents 9 2 11

A l’instar de la Toute petite section Compans Lamali, on trouve dans la crèche associative Zéphir, une proportion importante de personnes sans emploi : 6 parents sur 11

(cf. tableau 5). Certes, la particularité du dispositif prédispose à accueillir une part importante d’enfants dont les parents sont sans emploi. Pour autant, nous pouvons avancer l’hypothèse selon laquelle les parents en situation difficile voient dans la crèche associative une opportunité pour faire garder leurs enfants à moindre coût.

L’accès aux modes de garde révèle donc des inégalités sociales forgées à partir de la situation en emploi qui sont redoublées par le coût de la prise en charge. Un troisième facteur peut venir renforcer ces disparités : la flexibilité des horaires au travail de certains parents qui s’oppose à la rigidité des horaires des structures. Les trajectoires de garde des enfants décrites dans la section suivante permettront d’en témoigner. En conséquence, nous interrogerons la norme de la pluralité des socialisations à l’aune de ces inégalités. Nous verrons comment cette norme de pluralité est à l’œuvre dans le cas de l’aide sociale à l’enfance (cas d’Abdel). Il s’agira ensuite de décrire dans quelle mesure la pluralité peut constituer un choix relatif (cas de Raphaël), une contrainte (cas de Philomène et Sami) ou une opportunité dans une situation difficile (cas de Faïza). Pour ce faire, nous partirons de la reconstitution de 5 trajectoires d’enfants pris en charge dans différentes structures d’accueil.