• Aucun résultat trouvé

Choisir nos activations : entre symboles contraignants et libre imagination

PARTIE 3. DEBROUILLER LA « FICTIONALITE » DES ŒUVRES

3.3. Choisir nos activations : entre symboles contraignants et libre imagination

œuvres romanesques, en particulier lorsque celles-ci paraissent « sérieuses » et engageantes, (3.3.1) de la part des critiques et commentateurs des œuvres, et (3.3.2) en vertu de leur résonance et efficience dans le champ de nos croyances et désirs collectifs ou individuels. Conclusion de la PARTIE 3. – Cette approche pragmatiste des œuvres romanesques a pour but d’autoriser une certaine diversité de compréhension et usage des œuvres romanesques, et plus généralement, des expressions issues de notre imagination, qui respecte néanmoins la spécificité des actes d’Invention humaine. Procédant de choix et décisions plus ou moins contraints par des exigences externes, les scénarii imaginatifs s’avèrent alors relever d’un subtil équilibre entre fantaisies personnelles et encodages symboliques destinés à nous éclairer sur certains aspects du monde, ou à nous inciter à leur donner de nouveaux visages.

35 LES SCHEMAS & LES REGLES (DETACHABLES).

Règles et métarègles du jugement de fictionalité.

Schéma 1. Histoire des théories de la fiction, de Frege à Walton.

Schéma 2. Comprendre nos expressions : Information, Interprétation et Invention. Schéma 3. Objets, expressions et pratiques fictionnels : problèmes de constructions dépendantes.

37 REGLES & METAREGLES DU JUGEMENT DE FICTIONALITE.

Les règles sémantiques (qui répondent principalement au souci ontologique) : (1) La Règle d’Existence. S juge que α est un objet fictionnel ssi…

- par défaut : … α n’existe pas dans le monde actuel.

- par dédoublage : …α existe dans un ensemble de mondes F considéré-comme-fictionnel-par-S.

(2) La Règle de Vérité. S juge que p est un énoncé fictionnel ssi…

- par défaut : … p n’est pas vrai dans le monde actuel.

- par dédoublage : p est vrai dans un ensemble de mondes F considéré-comme-fictionnel-par-S.

Les règles pragmatiques (qui répondent principalement au souci épistémique) : (3) La Règle de Sincérité. S juge que R est un récit fictionnel du locuteur L ssi…

- par défaut : … le locuteur L n’exprime pas ses croyances en énonçant R.

- par dédoublage : …il y a un locuteur L’, distinct de L, tel que L exprime les croyances de L’ en énonçant R.

(4) La Règle de Fiabilité. S juge que R est un récit fictionnel du locuteur L ssi…

- par défaut : … le locuteur L n’a pas l’obligation de défendre R (c’est-à-dire que L n’a ni preuve, ni raison, ni intuition à apporter pour défendre R).

- par dédoublage : …il y a un locuteur L’, distinct de L, tel que L’ a l’obligation de défendre R par l’intermédiaire de L.

(5) La Règle de Révision. S juge que R est un récit fictionnel pour ses participants Pssi…

- par défaut : … les participants P n’ont pas l’autorisation de discuter, réviser ou améliorer R. - par dédoublage : …il y a au moins un participant P’, distinct des participants P, qui a l’autorisation de discuter, réviser, ou améliorer R par l’intermédiaire des P.

Les règles praxéologiques (qui répondent principalement au souci éthique) :

(6) La Règle de Responsabilité. S juge que A est une action (ou série d’actions) fictionnelle(s) pour ses

participants P ssi…

- par défaut : … les participants P ne sont pas tenus pour responsables de A, sur le plan causal, moral ou légal.

- par dédoublage : … il y a au moins un participant P’, distinct des participants P, tel que P’ est tenu pour responsable de A, sur le plan causal, moral ou légal, par l’intermédiaire de P.

(7) La Règle de Société. S juge que A est une action (ou série d’actions) fictionnelle(s) pour ses

participants P ssi…

- par défaut : … A n’a pas d’enjeux sociaux (c’est-à-dire citoyens, civiques, voire civilisateurs) pour P en dehors de A.

- par dédoublage : … il y a au moins un participant P’, distinct des participants P, pour lequel A a des enjeux sociaux (c’est-à-dire citoyens, civiques, voire civilisateurs) pour P’ dans A, par l’intermédiaire de P.

Les métarègles :

(A) Concernant les règles sémantiques, on peut opter pour une définition minimaliste de l’ensemble de mondes F considéré-comme-fictionnel-par-S, fonctionnant de pair avec l’attribution « par défaut » des règles (1) et (2) – à savoir, un ensemble constitué de mondes possibles, de mondes doxastiques ou d’entités théoriques, dont est exclu le monde actuel. En ce sens, les conditions d’application du méta-prédicat sont définies à partir de standards ontologiques.

(B) Les règles sémantiques sont soumises à l’application des règles pragmatiques. L’ensemble F est considéré-comme-fictionnel-par-S ssi F est le contenu sémantique d’une narration ou d’une assertion (la diégèse d’un récit) jugée fictionnelle selon (3), (4) ou (5), ou une partie d’entre elles. Les conditions d’application du méta-prédicat sont définies à partir de standards épistémiques. (C) Les règles sémantiques sont soumises à l’application des règles praxéologiques. L’ensemble F est

considéré-comme-fictionnel-par-S ssi F est le contenu sémantique d’une description des actions (d’un jeu) jugées fictionnelles selon (6), (7) ou une d’entre elles. Les conditions d’application du méta-prédicat sont définies à partir de standards éthiques.

38 SCHEMA 1. HISTOIRE DES THEORIES DE LA FICTION, DE FREGE A WALTON.

Critères de fictionalité : propriété catégorique ou conditionnelle ? Conditions nécessaires (N) et suffisantes (S) :

1. intention de feindre de la part de l’auteur : ni (N) ni (S). 2. intention de produire une fiction de la part de l’auteur : (N) mais pas (S), ou ni (N) ni (S).

3. attitude propositionnelle de faire-semblant de croire (make-believe) : (N) et (S).

Fictionalité per se : pertinence des

distinctions (ou ressemblances) entre fiction et art (A), langage (L), jeu (J).

PRAGMATIQUE.

Searle. Théorie des actes de langage : la feinte auctoriale. (F) ≠ (A).

Intention de feindre d’asserter : pseudo-assertions (et pseudo-assertions authentiques possibles

dans une œuvre de fiction). Référence créée par une feinte partagée entre

auteur et lecteur. Conventions horizontales. Parasitisme : pas d’acte illocutoire spécifique.

SEMANTIQUE.

Frege/Russell. Théorie du langage-image : échec de la référence. (F) = (L) ou (F) = (A).

Enoncé dépourvu de valeur de vérité, ou faux. . Théorie des actes de langage : un acte spécifique

ou parasitique. Beardsley/Urmson/Gale.

INTENTIONNEL.

Currie. Théorie de la communication : le « faire-semblant de croire » imposé par l’auteur. (F) ≠ (A). Intention gricéenne : acte illocutoire spécifique du

« faiseur de fiction ».

Reconnaissance par l’auditoire de l’intention de l’auteur : il faut feindre de croire que l’histoire est

racontée comme un fait connu.

Second réquisit : une indépendance contrefactuelle (être accidentellement vrai).

CONVENTIONNEL.

Lamarque et Olsen. Pratique de raconter des histoires. (F) ≠ (J).

Une activité sociale publiquement connue. Enonciation fictive (intention gricéenne de l’auteur)

et attitude fictive (imaginer, faire-semblant de croire, que ce soit vrai ou faux). Convention

collective partagée par la communauté. Second réquisit : une dépendance entre mode et contenu (la description fictionnelle est l’origine).

FONCTIONNEL.

Walton. Jeu de faire-semblant. Institution de fiction. Propriété des propositions. (F) ≠ (L). Classes des représentations (objets naturels ou

artéfacts). Œuvres d’art et jeux d’enfant. Participation volontaire et accord collectif sur des

stipulations, des prescriptions à imaginer. « Avoir la fonction de servir de support dans un

jeu de faire-semblant ». Les supports conventionnés génèrent des vérités fictionnelles.

Remarque : certaines œuvres de fiction le sont par respect pour les intentions de l’auteur.

FORMEL. (F) = (A).

Cohn/Hamburger. Analyse narratologique et stylistique : instances rhétoriques ou syntaxiques de

fictionalité, par des marqueurs textuels (ex. monologue intérieur).

39 SCHEMA 2. COMPRENDRE NOS EXPRESSIONS : INFORMATION, INTERPRETATION ET INVENTION.

La tripartition entre information, interprétation et invention est une grille d’analyse conceptuelle pour nos expressions (quelles qu’elles soient). Les concepts proposés ne sont pas des termes d’instances particulières, mais plutôt des types, ou des voies majoritaires. La classification est relative à l’enquête en cours. En fonction des questions formulées, certains indices sont mis en évidence. Les contrastes ou convergences entre telle et telle expression (ou types d’expressions) sont proposés en vertu de ses motifs, ainsi que des motivations de l’enquêteur.

INDICES INFORMATION INTERPRETATION INVENTION

Souci Ontologique Epistémique Ethique

Question Comment le sais-tu ? Pourquoi le crois-tu ? Qu’est-ce que tu décides ?

Action Chercher Construire Créer

Axe Sens des Réalités Sens des Rationalités Sens des Responsabilités

But Enregistrer ou recenser l’ordre des choses

Déduire ou induire un ordre de ressemblances / dissemblances entre éléments d’un système

Ajouter un ordre ou déformer/transformer un ordre

Intention Description Explication / Compréhension Déclaration / Stipulation

Propriété Etre vérifiable / réfutable Etre discutable / justifiable Etre acceptable / concevable

Faculté Croyance / Mémoire / Perception Raison / Logique / Connaissance Désir / Volonté / Rêve

Réalisation Sens commun et vie pratique Entreprise de sens et attribution de valeurs Affabulation et distraction

Mesure Sous contraintes Sous codifications Sous caprices

Fonction Un rôle donné Un rôle déterminé Un rôle décidé

Position Proposition Supposition Imposition

Structure Cadre référentiel Cadre taxinomique Cadre prescriptif

Modalité Probable Possible Virtuel

Exemple générique Les faits (facts) Les effets (figures) Les fées (Fairy, fancies)

Type linguistique Compte-rendu Théorie / Conjecture Fantaisie

Forme de vie Expérience / Sensation Expérimentation Evasion

Besoins … De certitudes et de fondements De sens et de synthèse De liberté et de folie

Orientation Esprit de survie Esprit de société Esprit de sorcellerie

Discipline Science Philosophie Art

40 SCHEMA 3. OBJETS, EXPRESSIONS ET PRATIQUES « FICTIONNELLES » : PROBLEMES DE CONSTRUCTIONS DEPENDANTES.

OBJETS

Ex. Personnage, poupée, bâton (support dans un jeu de faire-semblant)…

définissables par leur origine dans des expressions linguistiques ou visuelles spécifiques ?

vs. abstrait / concret inexistant / existant théorique / matériel possible / actuel

CONSTRUCTION de l’esprit ou ELEMENT du monde.  ? objets artéfactuels, faits sociaux/institutionnels

? objets logiques/mathématiques, entités postulées ? contenus de pensée : idées, concepts, sentiments

? double direction d’ajustement mot/monde +

déclarations/stipulations // Tripartition par Frege sur les noms

 objectivité : qu’est-ce qui est commun ?  connaissance : qu’est-ce qui est certain ?  identité/individuation : qu’est-ce qui est stable ?

? UNITE DE LA FORME

 « Objets » que nous souhaitons :

? Observation / Rationalité / Imagination. Ex. un individu / un homme / une fée Ex. Socrate vécu / historique, théorique / romancé.

EXPRESSIONS

Ex. Roman, légende, film, dessin animé, pièce de théâtre, peinture…

définissables par une convention, intention, fonction ou institution spécifique ?

vs.

œuvre de fiction / œuvre de non-fiction conte / article de journal rêve, délire / constat, enregistrement Relation constitutive ou accidentelle entre CONTENU

et MODE DE PRESENTATION.  ? art, mythes, symboles, poésie

? théories, explications, hypothèses, jugements ? conception, modélisation, idéalisation ? interprétations quotidiennes de signaux

? effets performatifs du langage en acte

// Tripartition par Goodman sur l’ordre du récit

 subjectivité : qu’est-ce qui est signé ?  signification : qu’est-ce qui a du sens ?  vérité : qu’est-ce qui correspond aux faits ?

? UNITE DE SENS

 Intentions orientant la construction de :

? Chercher / Construire / Créer.

Ex. fournir des documents / trouver ou donner du sens / (se) raconter des histoires.

PRATIQUES

Ex. Raconter des histoires, jouer un jeu de faire-semblant (artistique ou non)…

définissables par une activité participative, une institution collectivement reconnue ?

vs. jeu / travail

simulation (faire-semblant) / effectivité monde « parallèle » / monde

Ajout TEMPORAIRE ou PERENNE d’une REGLE constituant un contexte spécifique.

 ? plaisanterie, ironie, parodie

? essayer, apprendre, copier

? incarner des rôles dans des interactions sociales ? règle constitutive / régulative / choisie

// Analyse par Austin de l’acte de feindre : pas de garantie quant aux liens de conséquence entre « (ne pas) faire/être authentiquement » et « (ne pas) faire/être prétendument ».

[…]

 comment suis-je impliqué/engagé socialement ?  de quoi suis-je responsable ?

 contraintes publiques et liberté individuelle.

? UNITE DE L’ACTION

 Degré de cohésion de l’agent :

? Total / Partiel / Partial

Ex. conduire / conduire avec un moniteur / conduire une voiture virtuelle.

DEPENDANCE INDEPENDANCE DEPENDANCE INDEPENDANCE DEPENDANCE INDEPENDANCE

REFERENCE SENS REPRESENTATION

DECRIRE COMPRENDRE INVENTER

ETUDE SYMPHONIE HISTOIRE

41

PARTIE 1. DEFINIR LA PROPRIETE DE FICTIONALITE : ENQUÊTE SUR LES CONDITIONS NECESSAIRES ET SUFFISANTES.

Il s’agit dans un premier temps d’examiner la pertinence des analyses philosophiques concernant la nature et le fonctionnement des fictions, et plus précisément celle des définitions de la propriété de fictionalité, telles qu’elles ont pu être proposées tout au long des développements de la philosophie anglo-saxonne. L’attention se focalise autour de l’énoncé fictionnel, celui qu’on trouve sous la plume des romanciers ou dramaturges, ou celui que nous faisons lorsque nous parlons du conte que nous avons lu. La distinction entre discours de fiction et discours sur les œuvres de fiction vient s’ajouter progressivement aux recherches ; mais ce qu’il faut retenir ici, c’est l’idée implicitement acceptée par tous, à savoir qu’il existe bien des conditions suffisantes et nécessaires de l’application du prédicat « être fictionnel », que ce soit à un objet, une proposition, un récit, une énonciation, etc., et correspondant à la possession de la propriété de fictionalité.

Cela conduit à un second examen de la manière dont les problèmes qui touchent à nos fictions sont traités dans les débats, en particulier ceux qui concernent les personnages, ou « êtres de fiction », entités fictionnelles, et les conditions d’intelligibilité de ce type de discours. Entre les accommodationnistes, qui reconnaissent la réalité des personnages fictionnels, et les éliminativistes qui adoptent une sémantique causale (pour les noms propres, en tant que désignateurs rigides), psychologique (descriptivisme des états mentaux), ou tout simplement neutre, s’offrent autant de positions ancrées, in fine, sur le sens de la réalité ; l’explication de la notion de « création » d’un objet fictionnel, ou d’« imagination », attitude propositionnelle pour laquelle on se demande si elle génère ses propres vérités, ses croyances feintes, tend à aboutir à la notion problématique de « monde fictionnel ».

Un troisième temps nous permettra d’évaluer les limites et les mérites des tentatives de définitions essentialistes, dans leur versant positif. En effet, contre les approches parasitaires, il apparaît n’être ni nécessaire ni suffisant de ne pas être quelque chose (de vrai, de concret…) pour être fictionnel ; il faut en fait posséder la propriété de fictionalité, sans quoi on confond des expressions qui n’ont pas grand-chose à voir (par exemple, si un texte n’est pas vrai, cela peut être un mensonge, une erreur, ou un conte, et ce n’est pas la même chose). Positivement, cette propriété est attribuée à une intention, une convention ou une fonction : c’est l’émergence de la fiction, au sein d’un contexte social, comme type particulier de

42

communication ou d’interactions humaines. La différence entre les mensonges et les œuvres de fiction tient à l’intention du locuteur, et à la reconnaissance de cette intention par l’audience, qui partage la connaissance de la convention de fiction. Tout le monde sait que c’est une fiction, et que cela vise à être imaginé, à remplacer la vérité qui est l’objet de croyance, par la fiction qui est l’objet de l’activité d’imagination.

On aboutira au rejet d’une propriété essentielle positive de fictionalité pour deux raisons distinctes. La première est qu’elle peut entraîner une extension du domaine de ce qu’il faut reconnaître comme étant une fiction (les jeux vidéo, les institutions artistiques), que nous devrions par conséquent assumer, et donc mesurer. La seconde est qu’elle est in fine partielle et partiale quand on l’applique à la catégorie des œuvres dites « de fiction », parce qu’elle est normative : certains aspects de l’œuvre déterminent la nature totale d’une expression, et prescrivent alors le critère de correction de l’attitude des récepteurs.

La thèse qui guide cette première partie est la suivante : il n’existe pas de propriété de fictionalité per se, comme il existe celle d’être en bois ou en mouvement, ou encore celle d’être dit, écrit, cru, ou stipulé. On peut adopter un scepticisme à l’égard de toute forme d’essentialisme, en privilégiant les différences entre cadres de références, schèmes conceptuels ou structures de construction – et il se pourrait, en vertu des clauses secondes des critères avancés, que la question ne soit pas optionnelle. Cela conduit à l’idée que la classe des expressions fictionnelles est plutôt transcatégorielle ; et s’il existe des aspects récurrents (voire une gradation), c’est pourtant au niveau de nos motivations dans l’enquête que nous en venons à former le jugement de fictionalité19.

1.1. Histoire des théories de la fiction en philosophie analytique. [Cf. schéma 1]

On peut relever six critères principaux de fictionalité, proposés chronologiquement depuis la théorie représentationnaliste du langage (Frege, Russell) jusqu’à la théorie fonctionnaliste des représentations (Walton) – en passant par l’approche narratologique du texte. Les six critères sont nommés de la manière suivante, en vertu de l’accent qui est mis sur

19

C’est une stratégie qui peut ressembler à celle de Currie [2010 :ch.2], à propos du concept de « narrativité ». Il pose alors la question du genre d’intérêt que nous avons à nous demander si nous avons affaire à un récit ; nous posons ici la question du genre d’intérêt que nous avons à juger que quelque chose est fictionnel.

43

tel ou tel aspect des fictions à l’étude : (1) syntaxique, (2) sémantique, (3) pragmatique, (4) intentionnel, (5) conventionnel, (6) fonctionnel. En ce sens, les définitions ne sont pas forcément exclusives. Cela dit, l’approche proprement narratologique est traitée en premier, parce que l’idée selon laquelle il y aurait des marqueurs textuels de fictionalité, dans l’enquête sur les types de récit, est rejetée très rapidement par les philosophes comme étant incapable d’aboutir à la formulation de conditions nécessaires et suffisantes.

Chaque analyse du discours fictionnel repose sur le rejet total, ou une reformulation plus radicale, des définitions précédentes : le critère sémantique est jugé insatisfaisant au vu du critère pragmatique, pas assez spécifique relativement au critère intentionnel, lui-même jugé trop faible du point de vue conventionnaliste, lui-même jugé trivial du point de vue du critère fonctionnel. Le centre des attentions s’élargit, en quelque sorte, pour passer du nom fictionnel, à l’énoncé, à l’acte de parole, à l’œuvre de fiction. Etrangement, la « dernière » théorie de la fiction, élaborée par Walton, tend à remettre en cause cela même qui nous préoccupe : à savoir qu’il n’y aurait pas de propriété catégorique de fictionalité (pas de fictionalité per se), mais au mieux, une propriété conditionnelle ; en réalité, dans son analyse de la distinction entre œuvre de fiction et œuvre de non-fiction, Walton semble plus radical que cela.

Les deux premières définitions expriment la thèse d’un langage spécifique de la fiction, comme ancrée dans le texte, dans les mots eux-mêmes et la manière dont ils sont reliés au monde. Par exemple, on dira que « Emma Bovary est une femme » est un énoncé fictionnel, de fait, parce qu’il se compose d’un nom fictionnel (ensuite on se demande si ce nom propre est vraiment propre, ou est une description déguisée). En revanche, les critères (3), (4) et (5) expriment plutôt l’idée d’un usage spécifique du langage, une activité de communication qui obéit à une intention particulière de la part du locuteur, et qui est soutenue, ou régie, par une convention connue, réglant la réception de l’auditeur20

. Le dernier critère se passe de liens déterminés entre la fiction et le langage, amenant le domaine du jeu dans l’explication du fonctionnement de ce type de pratiques humaines (dont les œuvres d’art sont des sources majeures).

On ajoutera une remarque supplémentaire sur les deux ruptures qui organisent les critères. La première tient au fait qu’il y a alors une distinction claire entre fiction et littérature

20

De ce fait, à partir de (3) inclus, les définitions portent sur l’aspect pragmatique du langage ; les noms choisis pour les critères (4) et (5), principalement, signalent des traits plus marqués de cette dimension pragmatique.

44

(dans l’article de Searle [1975], comparé à celui de MacDonald [1954]) : le discours fictionnel n’est pas le discours littéraire, même s’ils mettent tous les deux en question nos modes linguistiques. Il n’est plus possible de s’appuyer alors sur des figures de style ou des notions comme celles de « création » ou de « mimesis », qui ne paraissent pas saisir la particularité logique du discours. La seconde rupture est le résultat de cette indépendance de la fiction vis-à-vis du langage, rapprochant alors l’activité fictionnelle de l’activité esthétique, ou encore ludique21 : c’est davantage l’intention des participants à une feinte partagée, quelle qu’elle soit, et régie par des règles constitutives, qui sert de frontière22.

Il reste la question de la relation entre la fiction et le monde, comme un fil rouge. Les idées de « faire-semblant », « être pour de faux », ou « n’être pas vraiment référentiel » appellent alors quelque chose qui serait la base : faire-semblant par rapport à quoi ? Aucune définition, nous le verrons, n’échappe, in fine, au souci de rendre compte de la nature de l’écart entre ce qui est dit et ce qui le dit – les clauses secondaires de chaque critère en sont la preuve. De là, la possibilité même d’une définition de la fictionalité qui ne soit pas parasitaire peut s’avérer douteuse. La raison en est bien une sorte d’ambiguïté dans l’analyse de Searle, et qu’on retrouve dans les critères ultérieurs, à savoir, le rôle, déterminant ou non, du lien spécial entre les noms et les choses, au sein d’une œuvre de fiction. Afin de suivre le mouvement historique des développements de la recherche philosophique sur les critères de

Documents relatifs