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Préface

Cette section présente les résultats préliminaires des préférences thermiques et édaphiques chez les mégalopes du crabe des neiges. Bien qu’effectuées à l’aide d’un nombre restreint d’individus, ces expériences présentent des résultats intéressants et aideront à perfectionner les méthodes d’élevage de décapodes pour des études futures.

Introduction

Le stade mégalope, la phase pélago-benthique, représente une période très peu connue du cycle vital du crabe des neiges. Jusqu’à maintenant, très peu d’études ont été effectuées sur les mégalopes, tant dans le golfe du Saint-Laurent que dans d’autres systèmes. Les préférences thermiques et édaphiques, ainsi que le déroulement de la déposition de ces postlarves, sont donc des mécanismes très mal connus chez le crabe des neiges. Chez d’autres espèces de crustacés décapodes par contre, certaines études ont évalué la préférence d’habitat des mégalopes eu égard à la température et au type de substrat, et démontrent l’existence d’une recherche active d’un habitat préférentiel. Le crabe bleu, Callinectes sapidus, (Lipcius et al.

1990, Boylan et Wenner 1993) et les crabes violoneux, Uca spp. (Boylan et Wenner 1993) se retrouvent à des températures <16°C et une corrélation positive significative entre la température de fond et l’abondance de ces mégalopes, bien que faible, a été observée (r = 0,277, p > 0,0001). Chez le homard américain, Homarus americanus, le succès de déposition des larves dépend de la stratification de la thermocline dans la colonne d’eau plutôt que de la température de fond elle-même (Boudreau et al. 1991, 1992). En effet, une forte

49 stratification de la thermocline diminuerait le taux de déposition des larves. Quant au substrat, les mégalopes du crabe dormeur, Cancer magister, feraient une recherche active et choisiraient de préférence les substrats avec coquilles de bivalves, plutôt que les substrats vaseux homogènes (Fernandez et al. 1993 et 1994, Eggleston et Armstrong 1995). La mortalité serait également plus faible dans les environnements coquilliers, possiblement parce que la protection contre la prédation et le cannibalisme est plus grande (Fernandez et al.

1993). Le crabe royal, Paralithodes camtschaticus, semble également préférer les substrats

hétérogènes et rejette le sable de façon systématique (Stevens et Kittaka 1998). Babcock et al. (1988) avait d’ailleurs démontré, en laboratoire, que ces crabes préfèrent les assemblages de bryozoaires et d’hydrozoaires. D’autres crabes, comme Chasmagnathus granulata (Gebauer et

al. 1998), le crabe porcelaine, Petrolisthes cinctipes (Jensen 1991) et le crabe violoneux, Uca

pugnax (O'Connor et Judge 1997, 1999), sont attirés par la présence de congénères sur le substrat, que ce soit par un signal chimique ou visuel.

Certaines informations sont donc disponibles concernant les mégalopes d’autres espèces mais beaucoup reste à connaître sur les préférences d’habitat des mégalopes du crabe des neiges, tant au niveau thermique qu’édaphique. Également, les mécanismes reliés à la déposition, restent à élucider. Cette section de projet vise donc à élucider ces mécanismes et à tester les deux hypothèses suivantes : 1) dans une situation présentant une combinaison de plusieurs températures; les mégalopes se déposent dans la région où la température est la plus froide; 2) dans une situation présentant une combinaison de plusieurs substrats, les mégalopes se déposent sur le substrat le plus fin.

Méthode

Des femelles oeuvées ont été capturées en mai 2001 dans la Baie Sainte-Marguerite, sur la côte nord du golfe du Saint-Laurent (approximativement 50°06’N, 66°35’W). Les femelles ayant des œufs noirs prêts à éclore ont été sélectionnées et conservées sur le bateau dans des bassins à circulation continue où la température de l’eau variait entre 3 et 4°C. Les

50 femelles ont ensuite été transférées dans les laboratoires de l’institut Maurice-Lamontagne à Mont-Joli, Québec, où elles ont été conservées dans les mêmes conditions. Dix-sept femelles oeuvées ont été placées aléatoirement et individuellement dans autant de bassins kriesel circulaires, soit six bassins de 40 L et 11 bassins de 55 L, jusqu’au relâchement des larves, pour ensuite être retirées. L’eau de mer en circulation dans les bassins kreissels était puisée directement de l’estuaire. Afin de refléter les conditions naturelles de surface de la colonne d’eau et ainsi favoriser une meilleure survie des larves, la température des bassins était maintenue à 8±1°C et la salinité à 27±1 %o. Des jets d’eau provenant du fond du bassin en son centre créaient un mélange vertical continu à l’intérieur de chacun des bassins kriesels. Chaque bassin était recouvert d’un couvercle de plastique transparent à des fins de protection. La photopériode suivait le cycle naturel de la lumière. Les densités de départ étaient d’environ 5000 et 6000 larves dans les bassins de 40 et 55 L respectivement. Les larves zoé I et II étaient nourries quotidiennement de nauplii d’artémies fraîches à raison de 2 nauplii par millilitre, correspondant à un nombre total de 80 000 et 110 000 nauplii par bassins de 40 et 55 L respectivement. Pour les mégalopes, une diète composée de nauplii et d’artémies adultes en ratio 2 :1 était fournie quotidiennement, pour une densité totale de 3 artémies par millilitre. Le nettoyage des bassins était effectué deux fois par semaine et un suivi journalier des densités et des taux de survie a été effectué. Les mégalopes étaient considérées compétentes pour la déposition environ 3 semaines après la mue. Vingt quatre mégalopes ont été utilisées pour les expériences, 8 individus dans chacun des trois aquariums. La procédure pour les expériences de préférence thermique et édaphique est la même qu’avec les juvéniles et est décrite en détail dans l’article constituant le chapitre 1 de ce mémoire.

Une analyse de variance à 2 facteurs (température et substrat) a été utilisée afin de vérifier les préférences d’habitat des mégalopes. Des comparaisons à posteriori sur les moyennes ont été effectuées à l’aide de LS Means afin d’évaluer quelle température et quel type de substrat était préféré parmi ceux offerts. Le test de Bonferroni séquentiel a été utilisé à cette fin. Les analyses ont été effectuées avec le logiciel SAS (logiciel SAS/STAT, version 8.2 pour Windows, copyright ©1999 SAS Institute Inc., Cary, NC, USA). L’homogénéité de la variance a été vérifiée par le test de Cochran et la normalité des données a été évaluée par l’observation des résidus.

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Résultats

L’élevage du stade zoé I au stade mégalope compétente pour la déposition sur le fond a duré environ 12 semaines. La durée moyenne des stades zoé I et zoé II a été de 33 et 32 jours respectivement. Les périodes de mue entre les stades zoé I et II et entre les stades zoé II et mégalopes se sont étendues sur 3 et 2 semaines respectivement. Les taux de survie hebdomadaires, exprimés en pourcentage selon les densités de départ, sont illustrés à la figure 9. Vingt quatre larves sur 97 000 au départ ont survécu jusqu’au stade mégalope compétente, ce qui représente un taux de survie global d’environ 0.0003%. L’analyse de variance révèle aucune préférence de température mais souligne une préférence de substrat (F=3.0, p=0.16 et F=7.8, p=0.007 respectivement, voir tableau 4). Les comparaisons multiples indiquent une préférence pour le substrat vaseux par rapport aux autres types de substrat (fig. 10).

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Figure 9 Taux de survie moyen par semaine, estimé en pourcentage des densités initiales de larves par bassin. Les différentes étapes du développement sont indiquées en haut du graphique. Még. = mégalope.

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Tableau 4. Résultats de l’ANOVA à 2 facteurs comparant l’abondance des mégalopes à différentes températures (froide: 0-1 °C, moyenne : 1-1.5°C, chaude : 1.5-2.5°C) et sur trois types de substrat (vase : <0,5 mm; sable : 1-2 mm; gravier : 2-16 mm) à l’intérieur d’un même aquarium. Réplicat est un facteur aléatoire. Température et substrat sont des facteurs fixes. Les valeurs significatives de p sont en gras. Source df MS F P Réplicat 2 0.11 1.0 0.444 Température 2 0.11 3.0 0.160 Erreur a (RxT) 4 0.56 0.2 0.934 Substrat 2 0.56 7.8 0.007 TxS 4 0.56 <0.001 1.0 Erreur b 12 0.56

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Figure 10 Abondance des mégalopes sur différents types de substrat (a) et dans différentes zones de température (b) durant les expériences de préférence d’habitat en laboratoire. Les barres ayant des lettres différentes sont significativement différentes l’une de l’autre selon les tests de LS Means.

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Discussion

Une préférence pour le substrat vaseux a été observée, malgré le petit nombre de mégalopes utilisées, ce qui souligne l’importance du type de substrat lors de la déposition. Ces résultats concordent avec ceux obtenus chez les juvéniles de stades III et V (voir chapitre 1). Il y a également concordance avec les résultats de Gebauer et al. (1998), qui ont observé une accélération du développement des mégalopes chez le crabe Chasmagnathus granulata sur des substrats vaseux naturels. Ce substrat fin pourrait permettre aux mégalopes de s’enfouir, leur offrant ainsi une protection potentielle contre certaines menaces, comme la prédation par exemple. Ce comportement d’enfouissement a d’ailleurs été observé chez quelques individus durant les expériences. Les mégalopes ne semblent pas faire de choix spécifique de température ambiante, du moins entre 0 et 2.5°C, malgré une faible tendance à occuper les températures plus froides entre 0 et 1,5°C. Par contre, il serait préférable de refaire ces expériences avec un plus grand nombre d’individus afin d’augmenter la puissance des tests statistiques utilisés et ainsi augmenter les chances de détecter une différence significative lorsqu’une telle différence existe. Un plus grand nombre d’individus aurait aussi permis d’effectuer des expériences à température et substrat uniques, expériences qui auraient servi de témoins et qui auraient permis de confirmer les résultats obtenus en excluant la possibilité d’intervention de facteurs confondus.

Le taux de survie de 0.0003% que nous avons obtenu est très en dessous du taux de survie attendu. En effet, bien que variable selon les espèces, le taux de survie des larves de crabes aurait pu se rapprocher de celui des larves de poissons en milieu naturel estimé à 0.01% (Sale 1990). Il était même possible d’espérer un taux de survie encore plus élevé puisque plusieurs facteurs affectant la survie, tel la prédation, n’interviennent pas en laboratoire. Nous avons très peu de connaissances concernant les méthodes d’élevage des larves de décapodes en général et particulièrement celles appropriées aux larves du crabe des neiges. Plusieurs tentatives d’élevage de larves de crabe des neiges ont été effectuées à l’institut Maurice- Lamontagne, mais très peu ont été répertoriées et très peu ont donné de bons résultats (Lovrich et Ouellet 1994). Notre élevage s’inscrit donc dans cette suite d’essais.

56 Des mesures d’hygiène ont été prises afin de diminuer au maximum les risques de contamination et ainsi d’augmenter les chances de survie. Les manipulations ont été effectuées par les deux même personnes avec des gants et des outils préalablement désinfectés. L’eau de mer puisée pour approvisionnement était préalablement filtrée et des couvercles étaient en place en tout temps sur chacun des bassins. Une contamination a donc été peu probable et aurait causé une mortalité ponctuelle dans le temps plutôt que graduelle, tel qu’observé durant cet élevage. La température, la salinité et la luminosité sont des facteurs qui influencent grandement la croissance des larves (Boylan et Wenner 1993, Forward Jr. et al. 1997) et qui

ont été ajustés pour recréer les conditions naturelles retrouvées dans la couche de surface lors de la période estivale, milieu où se retrouvent les larves zoé I, zoé II et mégalopes pélagiques.

Malgré ces mesures de précautions, certains paramètres seraient susceptibles d’influencer négativement la survie des larves. La force du courant à l’intérieur des bassins, la forme du bassin et l’hydrodynamisme représentent des paramètres dont les caractéristiques idéales pour les larves restent à déterminer. Plusieurs études ont évalué l’impact des courants sur le transport et le recrutement des larves en milieu naturel (Eggleston et Armstrong 1995, Jones et Epifanio 1995) ou encore sur la vitesse de nage en laboratoire (Luckenbach et Orth 1992, Fernandez et al. 1994), mais aucune étude à notre connaissance a évalué l’influence de ces paramètres sur la survie des larves de crabe en laboratoire. Un deuxième paramètre exerçant probablement une influence très importante sur le taux de survie des larves est la qualité de la nourriture. Les larves n’ont pas traversé les deux périodes de mue avec beaucoup de succès, ce qui est caractéristique d’une mauvaise condition physiologique découlant d’une alimentation inadéquate. Malheureusement, la diète des larves en milieu naturel est un aspect méconnu chez le crabe des neiges. L’éclosion des larves semble associée à l’apparition massive du microzooplancton, ce qui suggère qu’il constitue leur nourriture principale (Starr

et al. 1994). La diète utilisée ici, composée seulement d’artémies, n’était peut-être pas assez

diversifiée et de taille particulaire assez petite. Selon les expériences précédentes d’élevage, une des bonnes années a été reliée à une diète mixte d’artémies et de crevettes broyées,

Pandalus borealis (F. Hazel, MPO, Québec région, comm. pers.). Les rotifêres pourraient également diversifier la nourriture et améliorer la survie des larves zoé I selon certaines expériences préliminaires (Wiencke et Clotteau 1995). Par contre, nous avons obtenu un taux

57 de survie supérieur à celui obtenu lors de ces dernières expériences. La quantité de nourriture est quant à elle probablement moins problématique puisqu’un excès de nourriture était toujours présent après 24 heures, avant chaque période d’alimentation. Parallèlement, certains paramètres pourraient non pas améliorer directement la qualité de l’élevage, mais plutôt la rapidité de celui-ci. En effet, les résultats de Christy (1989) démontrent que le développement des mégalopes du crabe violoneux, Uca pugilator, s’effectue de 2 à 3 fois plus rapidement lorsqu’il y a présence de sédiment au fond des bassins. Gebauer et al. (1998) arrivent aux

même conclusions pour les mégalopes du crabe Chasmagnathus granulata, mais ajoutent par contre que ce substrat doit être une vase naturelle.

En conclusion, ces expériences préliminaires indiquent que les mégalopes ont une préférence pour les substrats de vase, mais ne semblent pas influencées par la température, du moins lorsqu’elles se retrouvent entre 0 et 2.5°C. Par contre, des expériences similaires, incluant un plus grand nombre de mégalopes par réplicat, ainsi que des expériences témoins seraient nécessaires afin de confirmer ces résultats. Il serait intéressant d’effectuer des expériences ayant pour but d’évaluer quelles combinaisons de courants et de bassins donnent les meilleurs résultats de survie chez les larves et surtout quelle diète est la plus appropriée.

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Annexe B

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