• Aucun résultat trouvé

La Chine et son environnement régional, une relation historiquement tributaire

Pour pouvoir évaluer le rôle de la Corée du Nord dans la rivalité sino-américaine en Asie orientale, ainsi que l’impact de la politique nucléaire de Pyongyang sur les intérêts régionaux de

I) La Chine et ses intérêts géostratégiques en Asie orientale

1) La Chine et son environnement régional, une relation historiquement tributaire

Si la République Populaire de Chine donne bien la priorité géostratégique à son environnement proche, ce n’est toutefois pas une pratique nouvelle. Les nombreuses dynasties chinoises qui se sont succédées à la tête de l’Empire du Milieu ont toujours façonné leur stratégie internationale en rapport avec leurs voisins, en fonction de leur éloignement du centre absolu que représentait la Chine impériale. La vision historique stratégique chinoise en Asie orientale est relativement éloignée des conceptions occidentales qui ont façonné les principes géopolitiques d’aujourd’hui, et c’est pourquoi il est intéressant de s’y pencher. Mais avant tout, il faut replacer la Chine dans son environnement géographique : l’Asie orientale.

a) L’Asie orientale, un espace géographique 
 dominé par la Chine

Pour étudier la Chine dans son environnement régional, il convient de définir géographiquement cet environnement. L’Asie orientale, parfois appelée Extrême-Orient, est un espace géographique qui peut varier selon les définitions, mais il est communément admis que celui-ci englobe l’Asie du Nord-Est (Chine, Corée, Japon, Extrême-Orient russe et éventuellement Mongolie et Taïwan) et l’Asie du Sud-Est (pays de l’ASEAN, de l’archipel indonésien jusqu’au sous-continent indien, qui lui ne fait pas partie de l’Asie Orientale mais plutôt de l’Asie du Sud). L’Asie centrale en est aussi exclue, bien que la Chine, de par sa taille massive, puisse être considérée comme un pays d’Asie centrale également. Toutefois, le coeur politique, culturel et économique de la Chine se situe effectivement à l’est, sur les

> fig.11 : Carte représentant la zone géographique communément associée à ce que l’on désigne comme étant l’Asie orientale, comportant l’Asie du Nord-Est et l’Asie du Sud-Est. Source : cosmovisions.com

côtes de la mer de Chine et dans les plaines et vallées des deux grandes rivières chinoises, le fleuve Jaune et le Yangzi Jiang. La Chine est donc avant tout un pays appartenant à l’Asie orientale, et en est même son acteur principal. Ici, nous nous focaliserons principalement sur l’Asie du Nord-Est, puisque les relations avec la Corée du Nord sont notre objet d’étude, mais si elles ont une répercussion éventuelle sur l’Asie du Sud- Est, celle-ci ne sera pas omise. Il convient également de noter que des acteurs ne possédant pas de territoire en Asie orientale peuvent avoir une présence et une influence non-négligeable sur la région, de par leurs alliances, ou la présence de bases militaires. Le meilleur exemple reste bien entendu les Etats-Unis, dont les territoires les plus proches de l’espace géographique que nous avons défini sont la petite île de Guam dans l’océan Pacifique et l’extrême ouest de l’Alaska avec les îles Aléoutiennes, mais dont la présence en Asie orientale est incontestable. Quelles que soient ses délimitations, il est aisé de remarquer que cet espace géographique est incontestablement dominé par un seul acteur : la Chine.

b) La Chine, un Empire du Milieu au centre de son univers

La première caractéristique qui définit la Chine, ainsi que la façon dont elle-même se voit, est sa “centralité”. La Chine est parfois appelée l’Empire du Milieu, et en mandarin, elle se dit 中国 (Zhongguo), qui se traduit

littéralement par “pays du milieu” . Cette idée de “centralité” très prononcée entraîne un sentiment 111 d’exceptionnalisme : la Chine se considère comme le centre incontesté et absolu de son univers, et historiquement, son Empereur, porteur d’un “mandat du ciel”, n’avait guère de comptes à rendre qu’aux divinités. La Chine impériale se représente le monde en espaces hiérarchisés concentriques emboîtés, au nombre de cinq. Au centre se trouve le domaine royal, c’est à dire l’Etat chinois civilisé sur lequel rayonne l’Empereur et la culture chinoise. Autour du domaine royal, on retrouve deux espaces composés d’Etats tributaires et vassaux plus ou moins intégrés à l’Empire ou “en cours de pacification”. Encore plus en périphérie, on distingue un espace composé de barbares à demi-civilisés, non-sinisés, mais donnant tribut. Enfin, le dernier espace représente les barbares “lointains”, des sauvages en dehors des limites de la civilisation, “à peine éclairés par le Soleil”

que représente l’Empereur . Si cet espace 112 fait principalement référence aux peuples des plaines mongoles, mandchoues et sibériennes, l’occident, encore très méconnu, était associé à cet espace de barbares “lointains”. La Grande Muraille de Chine, construite par tronçons entre le Ve siècle avant J.-C. et le XVIe siècle, constitue une représentation physique de la démarcation conceptuelle chinoise entre le nei 内 (l’intérieur, monde civilisé du peuple chinois sédentaire) et le wai

L’origine étymologique du mot “Chine/China”, utilisé par les peuples non-sinisés, proviendrait de la première dynastie ayant

111

unifié la Chine, les Qin (221 - 206 av. J.-C.), dont la prononciation se rapproche de “Chine”. Le nom de Qin aurait voyagé le long des routes de la soie. En latin et en grec ancien le pays était connu sous le nom de Sina, qui a notamment donné le préfixe sino-. L’origine étymologique du mot “Corée/Korea” est similaire, puisqu’il proviendrait de la dynastie Koryo (918-1392), et diffère énormément des noms utilisés par les Corées pour se définir aujourd’hui (Choson pour la Corée du Nord, Hanguk pour la Corée du Sud).

BRUNEAU Michel, Géopolitique de l’Asie, Paris, Nathan, 2017, p. 21

112

> fig.12 : “Système tributaire Yu”, représentation de l’ordre mondial selon la Chine impériale. Source : “Géopolitique de l’Asie”, 2017, Nathan.

外 (l’extérieur, monde non-sinisé des barbares nomades du nord). A l’ouest, cette démarcation est représentée par les montagnes menant au plateau tibétain et la chaine des Tian Shan. Au sud et à l’est, c’est la mer qui fait office de démarcation physique entre les peuples civilisés, sinisés, et les barbares. La Chine impériale n’avait que peu de velléités d’expansion au delà de ce qu’elle considérait être son “intérieur”. Elle ne cherchait pas à siniser les peuples barbares, préférant au mieux les ignorer, au pire s’en protéger. C’est un point de différence majeur avec les Etats européens, qui au cours de leur histoire ont cherché à étendre leur influence, leur foi et leur pouvoir bien au-delà de leur environnement proche. Cette idée occidentale de “mission civilisatrice” ne caractérise pas la Chine, ou en tout cas pas dans les mêmes modalités, qui demeurait davantage focalisée sur son “intérieur” et sur ses voisins immédiats. Au cours de son histoire, la Chine n’a que très rarement cherché à envahir militairement un territoire qu’elle ne considérait pas comme sien, y compris les petits Etats tributaires attenants à l’Empire . La domination culturelle de la Chine des 113 Han (l’ethnie principale de Chine), et la démarcation nette entre “intérieur” et “extérieur”, n’ont toutefois pas empêché des peuples barbares de prendre le pouvoir en Chine à plusieurs reprises. En effet, les Mongols domineront la Chine de 1234 à 1368 avec la dynastie Yuan instaurée par Kubilai Khan, et les Mandchous de la dynastie Qing auront le pouvoir de 1644 à 1912. Ces deux régions, la Mongolie et la Mandchourie, seront par ailleurs intégrées à l’Empire et se siniseront progressivement, car, malgré leur domination politique et militaire, la supériorité culturelle et administrative du système mandarinal Han parviendra à supplanter les cultures et institutions nomades mongoles et mandchoues. Même défaite, la Chine impériale parvient donc à absorber ses envahisseurs et conserver ses spécificités Han. Un vrai tour de force, qui renforce chez les Chinois ce sentiment d’exceptionnalisme et de supériorité culturelle sur ses voisins. C’est la découverte de l’Occident qui viendra remettre en cause cette idée de “centralité” absolue chinoise. La Chine impériale a toujours eu le regard tourné vers l’intérieur des terres, car c’était en général des plaines d’Asie centrale que provenait le danger pour l’Empire . La Chine n’a d’ailleurs que très peu exploré les régions lointaines et le 114 seul fait notable à ce sujet dans son histoire impériale reste les voyages de l’amiral Zheng He vers l’Afrique et le Moyen-Orient ordonnés par l’Empereur Yongle de la dynastie Ming (1368 - 1644), l’un des rares Empereurs de Chine à rompre avec la tradition en désirant explorer les contrées lointaines. La Chine impériale n’a jamais été une puissance maritime, mais bien plus une puissance terrestre. La mer représentait pour elle un vaste mur infranchissable, gage de sécurité. C’est pourtant bien par la mer que sont arrivés les premiers colons européens, qui ont déstabilisé la Chine et son système. La découverte par la Chine de ces “barbares civilisés”, à la culture riche et technologiquement plus avancés qu’elle, a ébranlé une Chine qui se voyait comme le centre absolu, la seule source de rayonnement sous les cieux. Comment considérer et appréhender ces barbares, qui ne correspondent pas au schéma impérial hiérarchisé utilisé par l’Empire depuis des millénaires ? La multiplication des contacts et des échanges avec l’Occident, et la difficulté qu’aura la Chine à s’adapter à ce nouveau paradigme, entraineront le déclin du pays et le début du “siècle de la honte”. Cette période noire de l’histoire chinoise verra une douloureuse remise en cause de certitudes millénaires, dont la Chine ne se sortira officiellement qu’en 1949 avec la fin de la guerre civile chinoise et l’arrivée au pouvoir du Parti Communiste.

Les deux dynasties qui auront le plus étendu les frontières chinoises dans un esprit de conquête seront par ailleurs les dynasties

113

Mongole et Mandchoue, issues de peuples nomades ayant pris le pouvoir en Chine par la force. A l’exception des deux tentatives d’invasion du Japon lors de la guerre d’Imjin (1592-1598).

c) La relation de suzerain à vassal, coeur des relations régionales historiques chinoises

Une autre caractéristique qui définit la façon dont la Chine appréhende le monde qui l’entoure, et qui découle de ce sentiment de “centralité”, est la mise en place d’une relation de suzerain à vassal et d’un système de tributs avec les Etats sinisés (ou non) attenants à l’empire. Parmi ceux-ci on retrouve, selon les dynasties, le Vietnam, le Myanmar, le Népal, le Japon ou encore bien sûr la Corée, mais il y a eu au total plusieurs dizaines de royaumes tributaires à la Chine au cours de l’Histoire . Ces Etats tributaires de la Chine 115 impériale profitaient de son rayonnement culturel et économique, tout en versant un tribut en contrepartie (offrandes, richesses, présents, concubines…), qui leur permettait aussi de s’assurer une certaine sécurité. Les Chinois appelaient cette conception chaogong tizhi (朝贡体制), que l’on pourrait traduire par “système du tribut” . La Chine impériale se positionnait donc vis-à-vis de ses voisins comme une puissance dominante, 116 mais généreuse : “Elle [la Chine] demande des tributs proportionnés à leurs capacités [les tributaires], en

compensation, pour ainsi dire, des facilités d’accession à une culture supérieure que, dans sa générosité, elle ne refuse pas à des hommes encore privés de lumière” . Les tributs étaient donc versés selon les capacités 117 et selon l’éloignement du pays tributaire vis-à-vis du centre impérial (les royaumes se trouvant dans les premiers 500 li hors du domaine royal, qui lui-même faisait 1000 li de diamètre, devaient verser le tribut 118 une fois par an, les royaumes dans les 500 li suivants versaient le tribut une fois tous les deux ans, etc.). Un système qui démontre encore une fois la vision du monde en cercles concentriques des Chinois, et la primauté du “centre” sur la “périphérie”. Cette pratique consistant à verser un tribut à une Chine dominante est une constante de la politique extérieure chinoise, puisqu’elle est plusieurs fois millénaire : “Hiérarchie et

tribut : ces deux concepts ont été au coeur de la géopolitique des dynasties qui ont régné sur la Chine. Le modèle de tribut apparait sous la dynastie Han (206 av. J.-C. - 220 apr. J.-C.), mais c’est pendant la dynastie Tang (618 - 907) que sa pratique se généralise dans les relations extérieures de l’empire” . La pratique se 119 poursuivra sous toutes les dynasties jusqu’au XIXe siècle. Selon l’historien René Servoise, ce système tributaire découle de concepts à la fois religieux, philosophiques et géopolitiques : “Il traduit l’extension aux

relations internationales de plusieurs concepts d’origine religieuse et philosophique (confucianisme) et il a progressivement prêté son rituel à une certaine organisation politique de l’espace chinois et à certaines méthodes commerciales. […] Ce système a naturellement évolué et il a reflété, en quelque sorte, l’évolution internationale du pays” . Des concepts religieux, représentés notamment par la toute puissance de 120 l’Empereur, médiateur entre la Terre et le Ciel et responsable de l’humanité entière “sous les cieux” (天下,

tianxia). En acceptant de verser un tribut, les “barbares” adhèrent symboliquement au système chinois et

reconnaissent le mandat du “fils du Ciel”. Des concepts confucéens également, qui traduisent l’idée de

A titre d’exemple, la dynastie coréenne Joseon aurait effectué 391 missions tributaires vers la Chine de 1392 à 1450, soit environ

115

sept par an. CLARK Donald, The Ming Dynasty, 1368-1644, vol. 2, Cambridge University Press, 1998, p. 280

KANG David, East Asia before the West : Five centuries of trade and tribute, Columbia University Press, 2012, p. 125

116

SERVOISE René, “La conception de l’ordre mondiale dans la Chine impériale”, Revue Française de Sciences Politiques, n° 23.3,

117

1973, p. 557

Le li (⾥) est une unité de mesure chinoise qui équivaut environ à 500 mètres. Dans l’exemple cité ici, 500 li équivaut donc à

118

environ 250 km.

DUCHATEL Mathieu, Géopolitique de la Chine, Paris, Presses Universitaires de France, 2017, pp. 11-12

119

SERVOISE René, “La conception de l’ordre mondiale dans la Chine impériale”, op. cit., p. 557

hiérarchie et de subordination à une autorité supérieure, dans le but d’atteindre l’harmonie . C’est un 121 concept que l’on retrouve dans la famille chinoise (soumission des enfants au père, aux ainés), dans le travail (soumission au supérieur) et dans la politique (soumission à l’Etat), et ce encore aujourd’hui. Enfin, le système tributaire traduit des objectifs géopolitiques de stabilité et d’harmonie poursuivis par la Chine impériale. Contrairement aux Européens, la Chine n’a pas recherché la stabilité à travers un système d’équilibre des forces , mais à travers la domination incontestée d’un Etat central puissant mais sage, 122 garant de la paix à ses périphéries. Le modèle chinois a donc tout d’un système féodal dans lequel le dominé doit respect, soumission et déférence à l’égard du dominant. En retour, il obtiendra paix, bienveillance, culture et commerce. Un système gagnant-gagnant cher à la Chine que l’on retrouve encore aujourd’hui dans ses relations bilatérales.

d) La stratégie internationale chinoise façonnée par la primauté de son environnement proche

La stratégie chinoise a donc été façonnée par son environnement proche et la relation qu’elle entretient avec celui-ci. Les contrées lointaines, peuplées de “barbares”, n’intéressaient pas l’Empire du Milieu, si ce n’est pour commercer, car il était inconcevable que celles-ci arrivent ne serait-ce qu’à la cheville du centre culturel, économique et religieux du monde que représentait la Chine. Les relations internationales de la Chine se sont donc développées de façon très différente que celles de l’Occident. “La Chine n’entendait pas

soumettre tous ces peuples à son contrôle, encore moins les conquérir ou les coloniser (même s’il y eut des exceptions), mais faire en sorte que les suzerains de ces Etats soient favorablement disposés envers la Chine, et si possible dans une sorte de dépendance politique et culturelle” . Maintenir de bonnes relations avec ces 123 petits royaumes périphériques était un objectif majeur de la Chine impériale puisque ceux-ci remplissaient également un rôle protecteur vis-à-vis du centre. Leur dépendance culturelle, économique et sécuritaire à la Chine les empêchaient de comploter et de nuire au pouvoir impérial, et leur localisation en périphérie de l’Empire les transformaient en Etat-tampons, en pays satellites, qui formaient un glacis de protection entre la Chine et les “barbares lointains”, qui, eux, posaient un véritable problème à la sécurité et à la stabilité de l’Empire. Cette ceinture d’Etats n’a pas toujours réussi à protéger la Chine, puisque, comme nous l’avons vu, les Mongols et les Mandchous ont réussi à prendre le pouvoir en Chine, mais comme le dit René Servoise : “Ce n’est pas parce qu’un principe politique est bafoué qu’il n’en demeure pas un objectif, et celui-ci le

demeure impérativement tout au long de l’histoire de la Chine : assurer la protection des dix-huit provinces chinoises par des ceintures concentriques d’Etats favorablement disposés envers la Chine” . Toutefois, la 124 Chine n’a jamais tenté de mettre en place un “système international” qui lierait tous ces Etats entre eux dans une approche multilatérale. Elle a toujours privilégié les relations bilatérales, traitant avec chaque royaume un à un. La création d’un système multilatéral implique une forme d’égalité entre les Etats, ce qui ne correspond pas à la vision chinoise très hiérarchisée du monde. “C’est véritablement la transposition du

Les concepts confucéens proviennent de la pensée de Confucius (551 - 479 av. J.-C.). Peu reconnus durant la vie du philosophe,

121

ses principes deviendront néanmoins le socle de la société chinoise, et son influence sur la pensée chinoise ne pourrait être sous- estimée.

Dont le meilleur exemple en Europe reste le “système westphalien”, découlant des “traités de Westphalie” de 1648, qui modifie

122

les équilibres politiques en Europe et pose les bases de la création d’Etat-nations aux frontières bien définies, qui permettent un certain équilibre des forces entre des Etats dont la puissance et la taille sont plus ou moins similaires.

SERVOISE René, “La conception de l’ordre mondiale dans la Chine impériale”, op. cit., p. 560

123

Ibid.

système féodal du suzerain et de ses féaux. D’ailleurs, les pays tributaires sont exclusivement tournés vers la Chine qui, aussi jalousement qu’elle protège les Chinois de tout contact avec l’étranger, essaie de fermer ces pays à toute influence autre que chinoise. Ainsi, la Corée qui constitue l’Etat tributaire modèle, plus impénétrable encore que la Chine elle-même, devient-elle connue de l’Occident sous le nom de Royaume Ermite” . La Corée qualifiait sa relation avec la Chine sous le terme “sadae”, qui pourrait se traduire par 125 “servir le grand”, alors qu’elle définissait sa relation avec le Japon avec le terme “kyojin”, qui se rapproche plus de la “relation entre voisins”. Ce système régional, qui gravitait autour de la Chine comme centre absolu, s’est finalement effondré au cours du XIXe siècle, du fait des influences agressives occidentales et des velléités de domination de plus en plus importantes du Japon. La Chine a difficilement accepté que le “petit” Japon, Etat tributaire périphérique pendant des siècles, et qui devait “tout” à la culture et à l’influence chinoise, puisse surpasser si rapidement l’Empire millénaire à la fin du XIXe siècle. Si l’on se place de ce point de vue chinois, il est plus aisé de comprendre le choc et l’humiliation qui ont découlé des défaites face au Japon en 1895 et 1937. Des défaites sûrement encore plus douloureuses que celles subies face aux Occidentaux, ces “barbares lointains” dont la Chine savait peu de choses et ne parvenait pas à cerner. Le “siècle de la honte”, “faillite morale des Qing à remplir leurs responsabilités envers leurs vassaux

traditionnels” , a donc fait perdre à la Chine ses Etats tributaires et ébranlé son système d’harmonie et de 126 stabilité millénaire, et finalement fait chuter l’Empire. Le Royaume-Uni, la France et d’autres Etats européens se sont partagés l’Asie du Sud et du Sud-Est, arrachant de nombreux Etats comme la Birmanie et le Vietnam à l’influence chinoise . A l’est, la Russie et surtout le Japon sont parvenus à briser les liens 127 tributaires entre la Chine et la Corée. Toutefois, si la Chine a effectivement perdu énormément de son influence lors de cette période, cela ne veut pas dire que sa vision des relations internationales à changé pour