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Charles Leclère

Dans le document Contes et nouvelles du Québec (Page 191-200)

1825-1870

Avocat, C. Leclère a pourtant collaboré à plusieurs journaux et revues, dont La Revue canadienne et Le Courrier de Saint-Hyacinthe.

Tic Toc ou Le doigt de Dieu

Dédié à Messieurs L. H. Fréchette et Faucher de St-Maurice, amis de l’auteur.

Go, deceiver, go.

Some days, perhaps thou’lt waken From pleasures dream to know The grief of hearts for saken ! MOORE

I

Le fils de Jean-Marie Toc était décidément, et au dire de tous, un des plus chétifs garnements de la chrétienté – du moins, c’était là l’opinion générale – et, si par hasard cette opinion était mise en doute, la grande masse des habitants du village de ***, était sûre de se récrier.

Non seulement le fils de Jean-Marie Toc était le plus méchant garçon, mais la même autorité authentique, assurait d’une manière péremptoire, que cela ne pouvait se faire autrement en considérant la lignée du susdit petit Toc.

C’eût été un crime de lèse-bon sens que de penser autrement.

En effet, n’était-ce pas rendu à l’état de proverbe, dans le village de..., que tous les Toc, de génération en génération, avaient été de père en fils, suivant l’énergique expression populaire..., des vraies rognes ?

Tout le monde ne savait-il pas, que le vieux Toc, le père du grand-père du père du petit Toc actuel, avait été tué et scalpé par un sauvage, à qui il avait filouté quatre peaux de castor et six peaux de loutre ?

Tout le monde ne savait-il pas, que Paul Toc, le tailleur, avait passé un des plus beaux mois d’un délicieux printemps en prison, par suite de sa faiblesse proverbiale pour les choux et pour les poules de ses voisins ?

Puis, il y avait Zacharie Toc, le maquignon, qui s’était envolé pianissimo, avec la femme d’un de ses amis, les plus intimes.

Quant à Jean-Marie Toc, le père du petit Toc dont nous allons raconter l’histoire, il était, lui, depuis quinze ans, l’ivrogne breveté du village, et faisait autant partie des meubles de l’auberge du coin que l’enseigne criarde qui grinçait sur les gonds de fer de son pignon délabré.

À tout prendre il y avait décidément du sang mauvais dans toute la race des Toc ; et, comme le disait Monsieur Sébastien Deschamps, le riche aubergiste du village : « Un crocodile ne pouvait pas être le père d’un lapin. »

Les démérites de la famille Toc, depuis le vieux Toc original, jusqu’au Toc présent, étaient le thème de conversations bien ordinaire du coin du feu. Les bonnes vieilles du village, à la langue acerbe et preste, s’essayaient à qui mieux mieux, celle-ci à calomnier, celle-là à médire, cette autre à inventer sur le compte de tous les Toc passés, présents et futurs.

À en juger par son apparence personnelle,

ainsi que par la réputation colossale dont il jouissait, l’on était logiquement porté à croire que tous les vices qui avaient distingué les Toc, s’étaient donnés rendez-vous, s’étaient concentrés dans la personne malpropre et répugnante de notre jeune Scapin. À part sa dépravité précoce, il était doué d’une finesse de renard, jointe à une activité physique étonnante.

Paraissant jouir de don d’ubiquité si quelque méfait arrivait, soit dans le village, soit dans un rayon de deux lieues autour du village, le fils de Jean-Marie Toc était certain d’être accusé, soit comme principal, soit comme instigateur, soit comme accessoire.

S’il y avait une bataille de chien dans la rue, il était toujours le premier rendu sur le champ de carnage. Un cirque s’arrêtait-il au village de ***, le fils de Jean-Marie Toc était le premier à découvrir un trou dans la toile de la tente, et assistait ainsi, gratis, au spectacle. Un joueur de serinette passait-il avec son singe, le petit drôle le suivait tout le jour, braconnant quelques-unes des noix que les amateurs jetaient au quadrumane.

Tout le monde le connaissait, tous le boudaient, le bafouaient, le taquinaient, le bousculaient, lui donnaient des coups de pieds, suivant l’humeur d’un chacun. Tous l’appelaient « Tic Toc » sans s’occuper jamais s’il avait une autre appellation.

Quelles qu’aient été les peccadilles de ses ancêtres, il est constant que si ce plus jeune rejeton de la célèbre maison des Toc était coupable de la dîme des péchés qu’on lui imputait, il avait un fardeau assez lourd sur ses épaules d’enfant, sans y entasser encore les fredaines de feus les siens.

Une basse-cour était-elle raflée de ses volailles durant la nuit... bien sûr... c’était par Tic Toc. Un chien revenait-il à la maison la queue coupée..., c’était encore Tic Toc que l’on accusait de ce grave méfait. Un chat mangeait-il la crème dans une laiterie..., pour vrai..., c’était Tic Toc qui était le chat. Trouvait-on une vieille carcasse dans un puits..., vite... ce mortel Tic Toc était au fond.

Mauvais sujet de Tic Toc, va !

Étant universellement connu comme l’Attila du village, depuis le jour où il avait pris la

responsabilité de ses propres jambes, il était facile aux malfaiteurs, de jeter sur ses épaules le poids de leurs délits. Ainsi, il arrivait souvent que Tic Toc était inculpé de cinq ou six offenses différentes, commises à cinq ou six différents endroits et à cinq à six époques parfaitement identiques.

Le ruisseau bourbeux trouve toujours un débouché ; la plus misérable existence trouve aussi un terme.

Il advint une époque, dans la vie de ce triste enfant.

Maintenant il était devenu un grand garçon de douze ans, fort et robuste, à l’esprit présent artificieux et subtile au point de rendre la découverte de ses fredaines presque impossible.

Et puis, il avait rarement mis les pieds à l’Église, jamais au catéchisme, peu ou point à l’école, et n’avait entendu prononcer le Saint Nom de Dieu, qu’au milieu des blasphèmes de ses compagnons de vices.

À cette époque, son père mourut..., mourut lentement empoisonné, lentement calciné par les

terribles effets de l’intempérance.

C’était par une froide et sombre nuit de décembre, avec son vent gelé, soufflant par rafale, avec sa neige fine, poudrant à travers les interstices des pièces disjointes de la cabane qui servait d’abri à lui et à son fils.

Jean-Marie Toc avait été jadis un bon et laborieux menuisier, et une faible réminiscence de son brave passé adoucissait seule les angoisses de sa dernière heure. Sa femme, humble et douce créature, était morte le cœur brisé, durant l’enfance de son fils Joseph (car tel était le véritable nom de Tic Toc), qu’elle aurait mieux élevé que son père, si elle eût vécue.

Celui-ci, avant de mourir, reçut tous les Sacrements que l’Église dans sa bonté prodigue à ceux qui vont partir pour un autre et meilleur monde. Puis, il fit venir son jeune fils, et lui parla d’abondance d’âme, comme savent parler ceux qui sont sur le seuil de la tombe. Jamais le pauvre garçon s’était trouvé l’objet des caresses paternelles ; pour la première fois de sa vie, il entendit son nom prononcé avec affection, et il

écouta, avec respect et reconnaissance, les précieuses paroles écoulées du cœur que lui adressa son vieux père mourant. Le souvenir de ces bonnes paroles, ainsi que celui de la dernière et tremblante bénédiction du vieillard, resta toujours gravé dans sa mémoire en caractères indélébiles.

Quelles résolutions nouvelles jaillirent là et alors du cœur de cet enfant sans amis, sans asile, sans pain, sans protecteur ; quelles émotions poignantes se firent là et alors sentir dans l’âme de l’orphelin honni... ? Personne ne le sait...

hélas !... personne non plus tenait à le savoir... ! Pour le bien petit nombre de ceux qui suivirent le cercueil de bois brut de son père, de sa chétive cabane à sa tombe, il était lui, le pauvre enfant délaissé, il était, lui disons-nous, toujours Tic Toc l’incorrigible, Tic Toc le polisson, Tic Toc le gueux ! !

Pauvre, pauvre Tic Toc ! ! ! Mais :

« Aux petits des oiseaux, Dieu donne la

pâture. »

Aussi, il y avait un homme au village, un homme bon et religieux, un homme qui avait puisé ses principes dans l’Évangile, ce livre d’un Dieu : dans l’Évangile qui ouvre une ère nouvelle, rattache l’homme à l’homme, la famille à la patrie, les peuples aux peuples pour sauver l’humanité.

Il eut l’angélique charité de prendre l’orphelin par la main pour essayer, malgré les reproches et les récriminations mauvaises de ses voisins, à mettre la brebis égarée dans le droit chemin, et à en faire un honnête artisan.

Cet homme, ce vrai chrétien, que Dieu bénisse ! était le cordonnier, Jérôme Bonneville.

Jérôme amena le pauvre garçon dans son échoppe, et l’introduisit dans le sein de sa famille.

Au bout d’un mois, à force de patients ménagements, d’admonitions sages, de conseils d’ami, il réussit à courber un peu cette nature sauvage qui semblait indomptable. Deux mois

Dans le document Contes et nouvelles du Québec (Page 191-200)

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