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Chapitre 2 L’homme en mutation : Anthropologie des limites,

L’homme en

mutation :

Anthropologie des

limites,

anthropologie de

la subjectivité

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II A) Une anthropologie déconstructrice

Que signifie une approche anthropologique ? En admettant comme définition celle que propose Marc Augé de l’anthropologue, qui nous semble l’une des plus éclairantes : « entendons par là l’ethnologue qui, s’intéressant chez ceux qu’il étudie à l’idée qu’ils se font ou qu’ils mettent en œuvre de l’homme et des hommes, des sexes, de l’identité et de la

relation, inscrit à terme son analyse dans une perspective comparée »146, il ne saurait s’agir

d’entrer dans les débats internes de cette discipline, dont l’éclatement contemporain, renforcé

notamment par l’émergence du champ des « cultural studies », a été relevé par de nombreux

auteurs147. C’est en tant que l’anthropologie est liée au destin de la psychanalyse qu’elle nous

importe, selon une perspective qui n’est plus aujourd’hui celle des fondateurs (le débat Malinowski-Roheim en constituant la polémique la plus célèbre, et l’œuvre de Devereux une référence incontournable) mais de la situation du savoir à l’âge postmoderne. Si dès les origines, le concept de « culture » (dont l’acception freudienne, évidemment distincte de l’acception des anthropologues, n’en est pas moins pertinente, et souvent revendiquée par ces derniers) occupe une place déterminante dans l’anthropologie, au point que ce concept de

« culture », opposé à celui de « société » peut devenir un des marqueurs de cette approche148,

c’est l’évolution de la compréhension de la « culture » qu’il convient de souligner149. De ce

point de vue, il importe de préciser les données qui justifient de parler d’un « tournant » contemporain lié à des phénomènes nouveaux que l’anthropologie est amenée à prendre en compte : globalisation accrue, avec une paradoxale cohabitation d’univers spatio-temporels

différents au sein d’un même ensemble150, problématiques du multiculturalisme151,

revendications identitaires liées aux conflits de reconnaissance152, et surtout, pour ce qui nous

146 AUGE, M. « Préface » à Le Père (coll.), Paris : Denoël, 1989, p. 12.

147 Voir notamment CLIFFORD, J., « De la réarticulation en anthropologie. », L'Homme, 187-188, (2008/3), p. 41-68, URL : www.cairn.info/revue-l-homme-2008-3-page-41.htm, consultation avril 2016.

148 LICHTBLAU, K., « La polémique autour du concept de culture en sociologie », Trivium [En ligne], 12, (2012), mis en ligne le 20 décembre 2012, consulté le 09 mai 2016. URL : http://trivium.revues.org/4360.

149 Notons au passage l’insistance nécessaire sur la diversité, rappelée par Michel de Certeau lorsqu’il parle de « culture au pluriel » : De CERTEAU, M., (1974), La culture au pluriel, Paris : Bourgois, 1993.

150 CAILLE, A., DUFOIX, S., « Le moment global des sciences sociales », Revue du MAUSS permanente, 11 mars 2013, URL : www.journaldumauss.net/?Le-moment-global-des-sciences, consultation avril 2016. http://www.journaldumauss.net/./?Le-moment-global-des-sciences; AFFERGAN, F., La pluralité des mondes. Vers une autre anthropologie, Paris : Albin Michel, 1997 ; LE BRETON, D., in ANDRIEU, B., « Entretien avec David Le Breton », Corps 2 (2007/1), p. 5-8, URL : www.cairn.info/revue-corps-dilecta-2007-1-page-5.htm, consultation mai 2016.

151 Voir également les travaux récents de Francesco Fistetti, FISTETTI, F., Théories du multiculturalisme, Un parcours entre philosophie et sciences sociales, Paris : La Découverte, 2009.

152

Le travail de synthèse proposé par le philosophe canadien Charles Taylor, ainsi que celui d’Axel Honneth (HONNETH, A., La Lutte pour la reconnaissance, Paris : Cerf, 2000) font autorité.

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occupe, développement du processus de désenchantement et d’individualisation, sans parler de l’éclatement des savoirs eux-mêmes et de la complexité croissante de la tâche infinie de

fournir un tableau du monde153.

Rupture avec le paradigme objectiviste

L’intérêt de l’anthropologie pour les « mondes contemporains » est symptomatique d’une évolution par rapport aux cadres de pensée issus des années d’avant-guerre et des premières décennies de l’après-guerre, selon lesquels l’anthropologie comme étude des sociétés

traditionnelles s’opposait à la sociologie, science des sociétés modernes154 : c’est cette

distinction qui, après la décolonisation et l’onde de choc qu’elle produit dans les représentations, vole en éclats et vient menacer les distinctions bien établies, notamment entre les disciplines. Toutefois, alors qu’une part importante de la sociologie prend un tournant quantitativiste, il semble que la distinction entre sociologie et anthropologie garde une certaine validité, non pas tant au niveau de l’objet (puisque finalement toute société est susceptible de faire l’objet d’une investigation aussi bien sociologique qu’anthropologique)

mais quant à la méthode155. Non qu’il faille souscrire à l’opposition naïve et méprisante entre

une sociologie qui s’efforcerait s’expliquer et une anthropologie qui se contenterait de décrire… A moins que, dans cette humilité et ce renoncement à la tentation d’une explication trop rapide ne réside justement ce qui fait toute la valeur de la démarche anthropologique. Description patiente, au service de la richesse des phénomènes, cheminement ouvert aux surprises de la rencontre, qui diffère le bilan : la démarche « ethnométhodologique » s’applique bien à n’importe quelle société, mais son regard est singulier et tranche avec les protocoles dits expérimentaux à l’œuvre dans les autres « sciences humaines ». Ce n’est pas l’objet qui diffère, mais le rapport avec cet objet. Plutôt que de construire un objet sur le mode de l’objectivation scientifique, l’anthropologie sociale (à bien distinguer de l’anthropologie

physique ou de la préhistoire, ou encore de l’anthropologie linguistique156) relève d’une

épistémologie de la relation157 et du sens158; plutôt phénoménologique qu’expérimentale, elle

153Voir entre autres, LABURTHE-TOLRA, P., Critiques de la raison ethnologique, Paris : PUF, 1998.

154

Voir, dans les années 50, le débat opposant Alfred Kroeber au sociologue Talcott Parsons, qui débouche sur une sorte d’accord de partage des concepts légitimes dans chacune des deux disciplines, qui fera date : KROEBER, A. L., PARSONS, T. (1958) : « The Concepts of Culture and of Social System », American Sociological Review, 23 (1958), p. 582-583.

155

HAMEL, J., « La socio-anthropologie, un nouveau lien entre la sociologie et l’anthropologie », Socio-anthropologie [En ligne], 1 (1997), mis en ligne le 15 janvier 2003, consulté le 09 mai 2016. URL : http://socio-anthropologie.revues.org/73.

156

WEBER, F., Brève histoire de l’anthropologie, Paris : Flammarion, 2015, « note préliminaire ».

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engage une recherche questionnante qui ne détermine pas son objet en l’enserrant dans un processus d’opérationnalisation des variables et de confirmation d’hypothèses univoques,

mais demeure attentive à la pluralité des signes159. De ce point de vue, le risque de

nominalisme, ou d’enfermement excessif dans les idéaltypes ou les représentations génériques

a priori, est écarté160, alors que le paradigme cognitiviste, aujourd’hui dominant dans la plupart des sciences sociales et présent dans les travaux d’anthropologie cognitive, tendrait précisément à régresser à une conception scientiste au sens étroit, qui reviendrait à une

naturalisation de son objet161. Selon Florence Weber, il s’agirait d’une répétition de la « scène

primitive » de l’anthropologie, à savoir le fantasme racialiste et colonialiste de la

sociobiologie162.

L’anthropologie est certainement la seule discipline où l’auto-critique et l’intérêt pour la question non seulement de l’altérité, mais de la pluralité épistémologique, soit à ce point centrale : tout se passe comme si, rongée par la culpabilité liée à ses origines coloniales et pénétrée depuis ses débuts par une sourde mélancolie (Lévi-Strauss en est un des plus éclatants témoins, avec Leiris), elle avait dû travailler en son sein la question de l’Autre au

point de mettre en crise sa propre unité163. Fragmentation, décentrement, distance d’avec

soi-même, creusement de la « différance » au sein de son objet et de sa définition même : le destin de l’anthropologie en tant que savoir semble être d’illustrer ce que la déconstruction tente d’esquisser à un niveau proprement philosophique. L’aspiration à une unité, celle de « l’homme », va de pair avec l’aveu simultané que cet objet échappe et se diffracte en une multiplicité de singularités relatives et immaîtrisables. De même, dans le champ qui lui est

propre, en se préoccupant de « l’homme ordinaire »164, Freud aurait réussi ce tour de force

d’ouvrir le savoir au « débordement », au « trouble » qui saisit la culture, à cette

158 Voir ILLOUZ, E., (2008) Saving the modern soul, Berkeley : UC Press, 2008, citée in MARQUIS, N., Du bien-être au marché du malaise, Paris : PUF, 2014.

159 GARFINKEL, A., Recherches en ethnométhodologie, op.cit

160 Voir QUERE, L., « Une théorie sociologique générale est-elle pensable ? », Revue du MAUSS, 24, (2004/2).

161 WEBER, F., Brève histoire de l’anthropologie, op.cit.

162

Ibid.

163 Voir par exemple l’article d’Élisabeth Cunin et Valeria A. Hernandez, CUNIN, E., HERNANDEZ, V., « De l’anthropologie de l’autre à la reconnaissance d’une autre anthropologie », Journal des anthropologues [En ligne], 110-111 (2007), mis en ligne le 22 juin 2010, consulté le 09 mai 2016. URL : http://jda.revues.org/899.

164

Selon Certeau, Freud renverse en quelque sorte la perspective métaphysique du savoir classique en lui substituant une autre sorte de savoir, dont le fondement est à chercher non plus chez Dieu, mais dans l’homme du commun, qui « y fonctionne à la manière du Dieu de jadis » : DE CERTEAU, M., L'Invention du quotidien, quotidien 1. : Arts de faire et 2 : Habiter, cuisiner, éd. établie et présentée par Luce Giard, Paris : Gallimard, 1990, p. 17, et CHAUVIER, E., Anthropologie de l’ordinaire, Paris : Anarcharsis, 2011.

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« dissémination langagière qui n’a plus d’auteur »165. C’est ce que manifeste singulièrement

l’oeuvre de Michel de Certeau, en tant qu’elle se situe, en tant qu’« anthropologie » inassignable à un champ disciplinaire unique, à l’entrecroisement de plusieurs influences, notamment celle de Freud et Lacan, voire de la déconstruction, dont en tout cas elle reprend

une certaine attitude166. En portant attention à la façon dont les acteurs eux-mêmes

construisent les normes, se les approprient, les interprètent, leur donnent un sens théorique et pratique dans les activités les plus anodines de la vie quotidienne, il s’agit bien de rompre

avec le modèle objectiviste importé des sciences exactes167, en se situant dans un tout autre

paradigme, beaucoup plus proche de celui de la clinique psychanalytique. Son postulat de base est que les sujets ne se réduisent pas à de simples produits passifs de l’enculturation, soumis à un déterminisme, ni à des rôles sociaux, mais se manifestent comme de véritables créateurs, capables non seulement d’interpréter les rôles qui leur sont assignés, mais de construire des stratégies singulières, imprévisibles, complexes, en fonction des rencontres et de la relation à l’autre. Le vocabulaire utilisé par Certeau, « érosion », « ouvertures », « trace », « déplacement », « débordement » du corpus théorique, ne seraient pas, en outre, reniés par Derrida : sa méthode résolument anti-objectiviste a explicitement pour visée de déconstruire toute approche scientiste qui, en substituant de force des représentations normatives au discours des anonymes, assujettit les individus à la raison technicienne et à la violence de la logique institutionnelle, aux « langues artificielles d’une opérativité régulée »,

« qui articulent les procédures d’un savoir spécifié »168. Il n’est pas question de connaître

l’autre au sens de la connaissance scientifique explicative qui exclut le sujet, sur le mode de ce que Lacan appelle le « discours de l’universitaire », qui n’est qu’une version du discours du maître, et veut ignorer le manque et la division subjective. En fait d’autre, c’est bien de l’Autre qu’il est question.

Loin d’être un savoir positif et totalisant, l’exploration du quotidien, qu’on peut qualifier

d’anthropologique, cherche à « réorganiser la place d’où le discours se produit »169. Il ne

s’agit plus de produire un savoir dans lequel les sujets, conçus comme des objets, viendraient

165

Ibid., p. 13.

166Sur la question des rapports possibles entre Derrida et Certeau, voir ICHILOV, O., Political Learning and Citizenship Education Under Conflict, London : Routledge, 2004.

167

« La culture, fragmentée dans chacun de ses membres et que chacun rejoue à sa façon, est une forme d’énonciation possible sur le monde et non une saisie objective des choses ; elle ne renvoie pas à une vérité », ANDRIEU, B., « Entretien avec David Le Breton », Corps, 2 (2007/1), p. 5-8, URL : www.cairn.info/revue-corps-dilecta-2007-1-page-5.htm, consultation mai 2016.

168

De CERTEAU, M., L'Invention du quotidien, op.cit., p. 19-20.

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bien sagement prendre leur place dans le modèle épistémologique réifiant et dualiste qui est celui des sciences exactes. Les sciences humaines, sociologie, ethnologie, linguistique, histoire et bien entendu psychologie, qui prennent pour objet les comportements, les croyances et les représentations, prétendent fournir, sinon des lois, du moins des modèles explicatifs, arrimés à la méthode expérimentale, à l’arsenal conceptuel en passe d’être unifié par les sciences cognitives, et à l’outil statistique. Ce n’est pas du tout de cela qu’il est question. Un auteur contemporain, Eric Chauvier, qui se situe dans le sillage de Certeau, insiste récemment sur les « anomalies », les « dissonances », voire « l’étrangeté » dans les

situations de communication170, toutes les disruptions qui affectent l’homogénéité du discours

prétendument scientifique, venant menacer en profondeur un essentialisme toujours latent, et obligeant à une mutation dans la posture du chercheur. Quoi de plus cohérent avec ce que la psychanalyse se propose de son côté ?

Rencontre avec la psychanalyse : le « non-savoir »

Sans doute Freud a-t-il contribué largement, par le rapport profond (et néanmoins ambivalent) de fascination qu’il a entretenu avec la scientificité, à alimenter d’innombrables lectures « positivistes » de la psychanalyse, que l’évolution de sa pensée, notamment le

tournant de 1920 et le recours à des catégories « mythologiques »171 n’a pas inquiétées172. Si

l’on s’en tient à la lecture « subversive » proposée par Certeau, la psychanalyse ne saurait se constituer comme savoir clos sur lui-même, totalisant, indépendant de ses conditions de production en tant que discours, et de sa position dans le jeu social. Le projet même de vouloir faire de la psychanalyse une science doit être réinterrogé en tant qu’effort de légitimation, qui comme toute entreprise discursive se situe à la fois dans le registre du savoir et dans celui du pouvoir, au risque d’une confusion ou d’un camouflage des stratégies à l’œuvre, et d’une

170 CHAUVIER, E., Anthropologie de l’ordinaire, op.cit., notamment p. 78-80.

171 Freud assume ouvertement cette dimension, au point d’écrire à Einstein lui-même : « Peut-être avez-vous l’impression que nos théories sont une sorte de mythologie, dans le cas présent une mythologie qui n’est même pas réjouissante. Mais toute science de la nature ne revient-elle pas à une telle sorte de mythologie ? En va-t-il autrement pour vous en physique ? » (FREUD, S., « Pourquoi la guerre ? », Sigmund Freud, Œuvres complètes, vol. XIX, Paris : PUF, 1995)

172Il ne nous appartient pas de rouvrir ici un débat bien connu et toujours vivace, depuis les critiques adressées à la psychanalyse par Popper, qui montraient que celle-ci, comme d’autres sciences humaines, ne saurait prétendre au statut de science selon les mêmes critères que les sciences dites exactes ou positives. Voir notamment, parmi les ouvrages récents ayant trait à ces questions, MICHELI-RECHTMANN, V., La psychanalyse face à ses détracteurs, Paris : Aubier, 2007 ; de SAUVERZAC, J.-F., Freud écrivant la psychanalyse, Paris : Flammarion, 2007 ; VISENTINI, G., Pourquoi la psychanalyse est une science. Freud épistémologue, Paris : PUF, 2015 ; Psychanalyse et science, les liaisons dangereuses, Le Coq-héron, 222 (3/2015), URL : www.cairn.info/revue-le-coq-heron-2015-3, consultation mai 2016 ; et du côté du dialogue entre psychanalyse et neurosciences, GEORGIEFF, N., GOLSE, B., OUSS, L., WIDLÖCHER, D., Vers une neuropsychanalyse, Paris : Odile Jacob, 2009 ; ANSERMET, F., MAGISTRETTI, P., Neuroscience et psychanalyse, Paris : Odile Jacob, 2010.

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illusion sur les effets de « maîtrise » qu’elle engendre parfois à son corps défendant. Non seulement la psychanalyse ne saurait prétendre au statut de science positive, mais elle ne le doit évidemment pas : sa place « entre science et fiction » témoigne d’une posture particulière, que Certeau revendique aussi pour l’historien-anthropologue, celle d’un

décentrement, d’un mouvement perpétuel, si ce n’est d’un exil de son propre objet173. A la

fois «altérante et altérée », entamée par son Autre, la psychanalyse a tout intérêt à préserver sa situation « entre-deux », dans le dialogue notamment avec l’anthropologie : Mireille Cifali rappelle les propos éclairants de Certeau à ce sujet, parlant d’un « rapport entre deux

manques »174 plutôt que d’un échange entre disciplines souveraines. On peut aller jusqu’à

employer le concept de « fiction » comme « savoir "atteint" par son autre (l'affect, etc.), un

énoncé que l'énonciation du sujet locuteur prive de son sérieux »175. L’ouverture de la

« science » ou du discours psychanalytique à la dimension fictionnelle, comme c’est le cas pour l’anthropologie ou pour l’histoire, signe non pas un renoncement à toute prétention de vérité, mais une prise en compte de la dimension subjective et affective, passionnelle, de toute

recherche de la vérité, qui ne saurait ignorer la place du sujet de l’énonciation176. Au-delà

même d’une perspective herméneutique qui viserait à restaurer la place du sujet réflexif et la pluralité des interprétations (ce qui est déjà une prise de distance considérable avec le

positivisme)177, il s’agit toutefois plutôt, pour Certeau, d’une déconstruction, d’une

dissémination, d’un « espacement » au sens derridien, ou encore d’une prise en compte d’une singularité clinique: « la fiction c’est la mise en relation dans le texte du rapport entre le discours et la place d’où il se produit, la particularité, la singularité de son lieu de

173 De CERTEAU, M., La fable mystique, XVIe-XVIIe siècles, Paris : Gallimard, 1982 : le mystique étant défini comme celui « qui ne peut s’arrêter de marcher et qui, avec la certitude de ce qui lui manque, sait de chaque lieu et de chaque objet que ce n’est pas ça, qu’on ne peut résider ici ni se contenter de cela. Le désir crée un excès. Il excède, passe et perd les lieux. Il fait aller plus loin, ailleurs. Il n’habite nulle part. (...) De cet esprit de dépassement, séduit par une imprenable origine ou fin appelée Dieu, il semble que subsiste surtout, dans la culture contemporaine, le mouvement de partir sans cesse, comme si, de ne plus pouvoir se fonder sur la croyance en Dieu, l’expérience gardait seulement la forme et non le contenu de la mystique traditionnelle » (p. 411 sqq).

174 « Cette application fonctionne sur un rapport entre deux manques, ce qui chez l’anthropologue manque de psychanalyse et ce qui chez le psychanalyste manque en ce qui concerne la formation », thèse de doctorat en Sciences de l’Education de Mireille Cifali, sous la direction de Michel de Certeau, Eléments pour une démarche psychanalytique dans le champ éducatif, 1979, citée sur son site, en ligne : http://www.mireillecifali.ch/Articles_%281997-2002%29_files/micheldecerteau.pdf, consultation mai 2016.

175 De CERTEAU, M., Histoire et psychanalyse entre science et fiction, Paris : Gallimard, 2002, p. 132, 134.

176

« Le freudisme rend simultanément leur pertinence aux passions, à la rhétorique et à la littérature. Elles ont en effet partie liée. Elles avaient été exclues ensemble de la scientificité positiviste » (Ibid.)

177Sur le dialogue psychanalyse-herméneutique, voir les débats autour de l’ouvrage de référence de Ricoeur,

De l’interprétation, Essai sur Freud, Paris : Seuil, 1965, notamment LAMOUCHE, F., « Herméneutique et psychanalyse. Ricœur lecteur de Freud », Esprit, (2006/3), p. 84-97, et MICHELI-RECHTMANN, V., La psychanalyse face à ses détracteurs, op.cit.

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production »178 Etre à l’écoute des sujets, ou plutôt des voix, ce n’est pas restaurer un

humanisme naïf de l’imaginaire, mais s’ouvrir à une parole « qui n’a plus d’auteur », voire à une écriture179.

Cette attention aux effets de pouvoir, ce scepticisme vis-à-vis des prétentions de vérité de la psychanalyse, n’est pas sans évoquer l’attitude de Lacan à l’égard de celle-ci, lui qui n’a eu de cesse de rappeler, en particulier dans les ultimes développements de son enseignement, que

“la psychanalyse [...] n’est [...] pas une science du tout”180. L’accès au réel n’est pas à

comprendre sur le mode positiviste de la connaissance d’un donné, ni même de la construction d’un artefact, puisque le réel se définit, à l’opposé, comme ce qui se dérobe, cet

impossible que Certeau dit « partout supposé et partout manquant »181. Le sujet dont il est

question, loin d’être le sujet de la maîtrise, fût-elle celle de la science, est un sujet troué, « pris

dans une division constituante »182, qui confine à la déprise de soi, à l’image du mystique qui

demeure dans son œuvre la figure référentielle ultime. Comme le rappelle Jean-Daniel

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