• Aucun résultat trouvé

Introduction générale du Chapitre I

La lubrification de surfaces permet d'assurer la longévité et le bon fonctionnement des pièces en mouvement dans de nombreux systèmes mécaniques. Sans exception, le monde du vivant possède une multitude de systèmes lubrifiants indispensables pour la locomotion, la protection des muqueuses, le transit alimentaire, le fonctionnement des yeux, etc1.

Parmi les systèmes biologiques fournissant une faible friction et résistant à l'usure, les articulations synoviales sont probablement les plus perfectionnées. En effet, elles garantissent une excellente mobilité du squelette des vertébrés tout en protégeant les zones en mouvement tout au long de la vie d'un individu et parfois dans des conditions extrêmes lors, par exemple, de sauts, courses ou appuis. Pour donner un aperçu de cette efficacité, le genou d'une personne effectue plusieurs dizaines de millions de cycles de flexion sur toute une vie, avec des contraintes normales très élevées de plusieurs mégapascals2.

Les articulations synoviales peuvent se décomposer en éléments tribologiquement fonctionnels : le cartilage et le liquide synovial. Le cartilage, composé de fibrilles de collagène structurées, principalement de type II (90 % en masse) (mais aussi des collagènes mineurs de type XI qui régule du diamètre de la fibrille de collagène de type II et de type IX qui lie le collagène type II et l'ECM assurant la cohésion du cartilage)3-4 piégeant des protéoglycanes, est responsable des propriétés de résistance aux contraintes mécaniques des articulations tandis que les composantes du liquide synovial garantissent la lubrification et une protection contre l'usure du cartilage. Cependant, malgré un siècle d'études intensives sur ces systèmes, les mécanismes de lubrification ne sont toujours pas complètement élucidés comme le reflètent la quarantaine de théories proposées sur le fonctionnement des articulations5-6. En effet, les systèmes biologiques responsables de la lubrification et/ou de la protection contre l'usure des tissus et des êtres vivants peuvent être multiples, et relèvent de domaines d'études multidisciplinaires: biologie, chimie, mécanique, biomécanique, sciences des matériaux, sciences des interfaces et tribologie.

4

Cependant, quand des lésions apparaissent, dues, par exemple, à des traumatismes, une inflammation, ou à cause d'un surpoids ou une chirurgie touchant l'intégrité du cartilage, les très faibles propriétés de régénération (absence de vascularisation et d'innervation) du cartilage n'empêchent pas leur progressive dégénérescence. Cette dégénération est amplifiée par des mécanismes inflammatoires et d'érosion jusqu'à l'atteinte osseuse et l'apparition de douleurs aigües. Ainsi l'ostéoarthrite (OA), ou arthrose, touche actuellement 10 millions de Français et 4.4 millions de Canadiens (environ 10-15 % de la population de chaque pays). L'OA représente une des premières maladies invalidantes des pays développés et un fardeau économique pour les systèmes de santé puisqu’il n'existe aujourd'hui aucun traitement de l'OA. Les seuls traitements existants sont symptomatiques : traitements non pharmacologiques (nutrition, exercices, rééducation), traitements pharmacologiques (anti-inflammatoires (voie orale, cutanée et intra-articulaire), viscosupplémentation, ou chirurgicaux (débridement, forage/microfracture, greffe autologue de cartilage, pose de prothèse)7-8. Certains traitements symptomatiques ont des résultats cliniques assez controversés, car les résultats sont souvent limités9. Les prothèses articulaires ont une durée de vie limitée, mais en constante augmentation, grâce aux nouveaux matériaux et aux nouvelles techniques chirurgicales (environ une vingtaine d'années actuellement)10, de plus, de nombreuses complications peuvent intervenir (complications mécaniques : descellement aseptique, usure et formation de débris provoquant de l'inflammation, désaxation, fracture, complications non mécaniques : infections, raideurs, troubles hémorragiques), et il devient alors nécessaire de recourir à des chirurgies de pose de dispositifs de deuxième intention, pratique très invasive11. Il est donc nécessaire de proposer des stratégies en amont de la pose de prothèse, soit pour différer leur pose, soit pour éviter complètement ces approches invasives.

Une stratégie envisageable est l'utilisation de systèmes lubrifiants biocompatibles en voie aqueuse qui seraient directement utilisés au niveau de l'articulation afin de ralentir l'avancée de l'OA. Afin de concevoir des systèmes lubrifiants en voie aqueuse, réduisant la friction et/ou protégeant contre l'usure, pour des applications biomédicales (revêtement de prothèses, lentilles cornéennes, viscosupplémentation), une première approche consiste à s’intéresser à la détermination des mécanismes responsables de la réduction de la friction et/ou de l'usure dans le monde vivant (animaux, végétaux, insectes, champignons, bactéries et virus) et à en élucider les mécanismes sous-jacents. En effet, ces mécanismes développés au cours de l’évolution confèrent des capacités extraordinaires d'adaptation à un environnement

5

particulier12. Nous pouvons citer par exemple, les denticules de la peau des requins qui améliorent leur aérodynamisme dans l'eau, ou encore les fonctions lubrifiantes et de protection des larmes des yeux composées de protéoglycanes et de lipides. Ceci a conduit les chercheurs à fonder leurs recherches sur les concepts de biomimétisme et de bioinspiration qui consistent à adapter des systèmes naturels à des systèmes artificiels ou synthétiques, d’ores et déjà utilisés dans de nombreuses technologies13.

Définitions

Avant de détailler les recherches sur la bioinspiration pour la lubrification et la résistance à l'usure, nous allons revenir rapidement sur des concepts clés qui seront abordés dans cette thèse, à savoir la tribologie, la friction, l'usure et la lubrification.

La tribologie est la science qui étudie les phénomènes de frottement se produisant entre deux substrats en contact direct ou séparé par un fluide lubrifiant. En ce sens, la tribologie regroupe les concepts de friction, d'usure et de lubrification.

La friction est définie comme la résistance tangentielle à un mouvement d'un objet par rapport à un autre14. Elle peut être caractérisée par le coefficient de friction (CoF) qui est le rapport de la force tangentielle sur la force normale appliquée (IUPAC Gold Book,

https://doi.org/10.1351/goldbook.F02530).

L'usure, d'un point de vue tribologique, est le phénomène par lequel deux matériaux frottés l'un par rapport à l'autre perdent progressivement de la masse à cause de l'abrasion, de l'adhésion des matériaux, de la fatigue des matériaux et/ou de l'usure chimique ou corrosive14. Finalement, la lubrification est un procédé destiné à réduire la friction et/ou l'usure entre deux matériaux qui se frottent par l'ajout d'un fluide séparant les surfaces ou en modifiant les surfaces en contact5. Un point important est que la friction et l'usure de matériaux à base de polymères sont des concepts qui ne sont pas simplement reliés5, 14-16, d'où la distinction "friction et/ou usure".

Bioinspiration

Afin d'aborder la thématique de la bioinspiration pour la lubrification en voie aqueuse, nous avons réalisé une revue de la littérature intitulée : "Biolubrication and Wear Resistance: from nature to bioinspired materials". Cette revue est composée de deux parties : une première s'intéresse aux systèmes voués à réduire la friction à partir de systèmes

6

polymériques aux architectures bioinspirées. Une seconde partie traite de la bioinspiration dans le but de réduire l'usure de matériaux pour applications biomédicales grâce à leur combinaison avec des matériaux lubrifiants polymériques. Cette revue a été rédigée dans le cadre d’une collaboration de l’équipe de X. Banquy avec une équipe sud-coréenne dirigée par le Professeur Dong Woog Lee, Université Nationale de Science et de Technologie d'Ulsan, spécialiste dans le domaine de la bioinspiration, biotribologie et des phénomènes de surface. Le fonctionnement des articulations synoviales est abordé au début de la revue, ainsi que les techniques de mesure de la friction et de l'usure de biomatériaux afin de mieux comprendre les différentes méthodologies utilisées dans ce manuscrit. Finalement, dans cette revue comme tout au long de ce travail, nous avons choisi de soigneusement distinguer et aborder séparément la friction et l'usure de nos matériaux16.

7

Biolubrication and Wear Resistance: from Nature to

Documents relatifs