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PARTIE I : Contexte général

CHAPITRE 4 : Contexte géographique : l’Afrique de l’Ouest

4.3. Changements climatiques, pression anthropique et équilibres hydrologiques

4.3.1. Évolutions récentes des éco-hydrosystèmes ouest-africains :

entre effets climatiques et anthropiques

Bien que les sévères sécheresses des années 1970 et 1980 en Afrique de l’Ouest soient considérées comme les évènements climatiques les plus significatifs du siècle à l’échelle mondiale (Hulme et al., 2001), les réponses hydrologiques ont largement différé selon les zones éco-climatiques. Ainsi en zone soudano-guinéenne, les suivis effectués sur différents bassins sont allés dans le sens d’une nette diminution (40-60 %) des écoulements ainsi qu’une baisse du niveau des nappes (Conway et al., 2009 ; Descroix et al., 2009 ; Mahé et al., 2013). Plusieurs études ont en revanche indiqué une augmentation du ruissellement dans plusieurs bassins sahéliens, notamment au Burkina-Faso (Albergel, 1987 ; Mahé et al., 2005), au Niger (Leduc et al., 2001 ; Séguis et al., 2004 ; Descroix et al., 2009, 2013 ; Amogu et al., 2010), au Mali (Gal et al., 2017) ou encore en Mauritanie (Mahé & Paturel, 2009) ; ainsi qu’une augmentation du nombre et du volume des mares (Massuel, 2005 ; Leblanc et al., 2008 ; Gardelle et al., 2010 ; Kergoat et al., 2015 ; Gal et al., 2016) et une hausse du niveau des nappes (Favreau, 2000 ; Favreau et al., 2009 ; Massuel et al., 2011). Cette évolution contre-intuitive de l’hydrologie sahélienne est couramment appelée « le Paradoxe Sahélien ».

Un évènement majeur s’étant aussi produit depuis les dernières sécheresses historiques est le remaniement sans précédent de l’occupation des sols. Plusieurs études ont en effet révélé une forte expansion des zones cultivées et une augmentation de l’exploitation du bois combustible au détriment de la végétation naturelle en différents points du Sahel (Leduc et al., 2001 ; Leblanc et al., 2008 ; Descroix et al., 2009 ; Gardelle et al., 2010 ; Ruelland et al., 2010) ; expansion fortement induite par le boom démographique observé sur la même période (Mahé et al., 2010). Hormis dans les zones les plus arides au Nord, cette tendance est commune à l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest et s’observe aussi en région soudanienne (Leroux, 2012 ; Djohy et al., 2016). Dans le même temps, la durée des jachères a été considérablement réduite (Valentin et al., 2004). Ceci a restreint la fertilité des sols, diminuant la productivité des cultures et favorisant d’autant plus leur expansion. Cette conversion des savanes sahéliennes en terres cultivées a augmenté l’érosion hydraulique et éolienne favorisant l’encroutement. Ainsi à l’échelle locale, les propriétés hydrodynamiques des sols ont été modifiées entrainant une réduction de la capacité d’infiltration et une forte augmentation des coefficients de ruissellement (Séguis et al., 2004 ; Mahé & Paturel, 2009 ; Le Breton, 2012 ; Mamadou, 2012 ; Sighomnou et al., 2013).

Cette hausse du ruissellement a entrainé une augmentation de la connectivité hydraulique des bassins versants endoréiques sahéliens. Plusieurs auteurs ont en effet mis en évidence le développement spectaculaire du réseau de drainage, notamment au Sud-Ouest Niger (Massuel, 2005 ; Leblanc et al., 2008) et au Mali central (Gal et al., 2017). Cette intensification de la densité de drainage conduit certains bassins sahéliens à une rupture

d’endoréisme pouvant aboutir à une connectivité entre bassins voire à la contribution directe aux écoulements des grands fleuves (Mamadou et al., 2015).

Les changements du couvert végétal, sont également dus en partie aux effets directs des déficits de précipitation depuis les sécheresses des années 1970 et 1980, notamment en zone pastorale où la mise en culture est impossible. Les végétations naturelles ont sans aucun doute souffert de ces sécheresses extrêmes. Pierre et al. (2016) ont notamment montré que ces sècheresses ont raccourci et réduit l’amplitude du cycle végétatif moyen de la strate herbacée. Par la suite, la reprise des précipitations enclenchée dans les années 1990, s’est accompagnée d’une tendance générale positive dans les indices de végétation tels que le NDVI. Ce dernier point a entrainé plusieurs auteurs à parler de « reverdissement » du Sahel (Eklundh & Olsson, 2003 ; Anyamba & Tucker, 2005 ; Herrmann et al., 2005 ; Hickler et al., 2005 ; Olsson et al., 2005 ; Capecchi et al., 2008). Cependant Dardel et al. (2014b) et Leroux et al. (2017) ont montré que ce « reverdissement » était hétérogène ; une dégradation, en particulier du couvert herbacé, pouvant être observé localement. C’est notamment le cas au Sud-Ouest Niger, où la diminution de la fertilité des sols et la progression des surfaces cultivées a entrainé une diminution du développement de la strate herbacée (Hiernaux et al., 2009a).

De la même manière, plusieurs études ont mis en évidence la dégradation locale de la végétation ligneuse. Dans la région du Gourma qui reste faiblement anthropisée, l’analyse du suivi sur le long terme des peuplements ligneux a conclu à un déclin de la densité de la strate arborée sur les sols peu profonds (Hiernaux et al., 2009b). Sur cette même région, Dardel et al. (2014a) ont montré que les écosystèmes des sols profonds montraient une forte résilience tandis que ceux des sols peu profonds présentaient des signes de dégradation. Ainsi à l’échelle régionale, le Gourma est une zone où la tendance au reverdissement est forte, même si des changements contrastés y coexistent.

La strate arbustive et en particulier les systèmes de brousses tigrées ont également connu de fortes perturbations. Plusieurs auteurs rapportent ainsi une nette diminution de ces écosystèmes largement répandus par le passé (Leblanc et al., 2008 ; Ruelland et al., 2010 ; Touré et al., 2010). Les bandes de végétation très dense de la brousse tigrée constituent une barrière efficace contre l’érosion éolienne, permettant une accumulation des sédiments et favorisant par conséquent l’infiltration. La dégradation des brousses tigrées constitue un élément prépondérant dans l’augmentation locale du ruissellement (Gal, 2016).

Par ailleurs, si la reprise des précipitations a pu favoriser un reverdissement partiel du Sahel, notamment un regain par endroit du couvert ligneux épars (Spiekermann et al., 2015 ; Brandt et al., 2016), différents auteurs ont mis en évidence une réduction globale de la biodiversité végétale (Maranz, 2009 ; Brandt et al., 2015). Wittig et al. (2007) ont également montré que des espèces mentionnées comme strictement sahéliennes dans la littérature pré-sécheresses, se retrouvent désormais en zone réputée soudanienne, ce qui soutient la thèse d’un déplacement vers le Sud des zones bioclimatiques et notamment une « sahélisation » de la bordure soudanienne. Ainsi, la simple observation d’un retour de la végétation ne permet

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Sahel n’est donc pas tranché, la vérité se situant très probablement entre les deux (Dardel, 2014).

4.3.2. Prévisions climatiques et démographiques : quel avenir

pour les éco-hydrosystèmes ouest africains ?

Les modèles climatiques comportent de nombreuses incertitudes et fournissent parfois des trajectoires contradictoires. Néanmoins, les projections climatiques actuelles s’accordent sur une hausse globale des températures (+2.8 °C durant les décades 2031–2060 comparé à la période 1961–1990 ; Sultan et al., 2014), pouvant se traduire aussi par une hausse de la demande évaporatoire (Ardoin-Bardin et al., 2009). Par exemple, sur six stations météorologiques au Bénin, Obada et al. (2017) anticipent une augmentation de 7 à 20 % de l’ETP d’ici 2100 selon les scénarios RCP4.5 et RCP8.51, et une répartition saisonnière non uniforme de ces augmentations.

Le devenir des précipitations reste globalement plus incertain (Druyan, 2011 ; Laprise et al., 2013). Certaines publications font notamment état d’uneaugmentation des pluies dans le centre du Sahel (Burkina Faso, Sud-Ouest Niger, Nord-Nigéria) et une diminution à l’Ouest (Sud-Mauritanie, Sénégal, Sud-Ouest Mali). Les déficits de précipitations projetés seraient en outre concentrés au début de la saison de mousson tandis que les anomalies positives se rencontreraient en fin de saison sur l’ensemble du Sahel. Ceci se traduirait par une modification de la saisonnalité de la MOA avec notamment une saison des pluies plus tardive et probablement plus courte dans la partie ouest du Sahel (Biasutti & Sobel, 2009 ; Fontaine et al., 2011 ; Monerie et al., 2012, 2013 ; Biasutti, 2013 ; Sultan et al., 2014). Ces mêmes études s’accordent par ailleurs sur une absence de changements significatifs dans les volumes précipitées en région soudano-guinéenne mais une diminution dans le golfe de Guinée. En termes de ruissellement, à l’horizon 2050, les scénarios actuels pourraient quant à eux laisser présager une diminution du ruissellement, dans des proportions variables, dans les bassins versant du Nord-Ouest et d’une augmentation dans la partie Sud-Est de l’Afrique de l’Ouest (Ardoin-Bardin et al., 2009 ; Mahé et al., 2009).

Cette augmentation de température combinée à une possible modification de la saisonnalité des pluies risquent de réduire le rendement des cultures (Schlenker & Lobell, 2010 ; Roudier et al., 2011 ; Sultan et al., 2013). Sultan et al. (2014) estiment par exemple à 16-20% la diminution du rendement des cultures et une forte augmentation de la variabilité interannuelle dans la partie Ouest du Sahel à l’horizon 2060. Dans le même temps, selon les démographes, dans leur scénario le plus bas, la population de la région aura plus que doublé d’ici 2050, et augmentera même de plus de 300 % si la fécondité demeure à son niveau actuel (United Nations, 2017 ; Figure 4.5). Ainsi, si la population ouest africaine représentait un peu

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Les RCP pour « Representative Concentration Pathway » sont les scénarios d’émission de gaz à effet de serre utilisés par le GIEC. Le RCP 8.5 est le scénario le plus pessimiste prévoyant une augmentation croissante des émissions tandis que le scénario 4.5 est un scénario intermédiaire qui prévoit une stabilisation des émissions à l’horizon 2100.

moins de 5 % de la population mondiale en 2015, elle devrait représenter entre 13 et 20 %, selon les scénarios, d’ici la fin du siècle.

Cette forte augmentation démographique combinée à la diminution des rendements laisse présager le maintien voire l’accélération de l’expansion en cours des zones de cultures pour répondre aux besoins des populations. A défaut, les différents scénarios climatiques laissent envisager une augmentation généralisée de la malnutrition en Afrique de l’Ouest (Liu et al., 2008). Ces changements plausibles d’occupation du sol auront potentiellement des conséquences néfastes sur la fertilité des sols et entraineront à nouveau des modifications des écoulements. Par ailleurs, ils pourraient entrainer des rétroactions sur le climat local, en contribuant notamment à une modification des régimes et/ou des cumuls de pluies (Taylor et al., 2002).

FIGURE 4.5 : Scénarios d’évolution démographique de la population ouest africaine pour la période 1950-2100

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4.4. Synthèse des connaissances acquises concernant le