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CHAPITRE II : Biodiversité fonctionnelle comme indicateur d’écotoxicité dans les sols

2. Enzymes fongiques, biomarqueurs d’exposition aux métaux ?

2.1. Les champignons du sol

Les champignons sont des organismes eucaryotes hétérotrophes, dépourvus de chlorophylles et constituent un règne propre. Les champignons peuvent disposer d’une partie aérienne appelée sporophore mais ils se caractérisent surtout par une importante partie végétative souterraine, le mycélium. Celui-ci est composé d’un ensemble de cellules filamenteuses plus ou moins ramifiées, les hyphes. Ces cellules expansives et flexibles permettent aux champignons d’explorer l’environnement pour se nourrir ou accéder à d’autres ressources. En effet, les hyphes ont la capacité de pénétrer différents solides comme les cellules vivantes, les litières, les bois ou les sols. Ils sont le siège d’une activité métabolique importante et assurent des fonctions vitales à la croissance fongique : sécrétion d’enzymes et absorption de nutriments. Grâce à leur grande capacité de biosynthèse et de biocatalyse, les champignons sont alors des colonisateurs clés de niches écologiques terrestres (Baldrian, 2003 ; Thorn & Lynch, 2007).

2.1.1. Rôle écologique

Les champignons jouent un rôle central dans les cycles biogéochimiques du carbone et de l’azote car ils sont capables de dégrader des substrats complexes essentiellement issus des plantes (Kjoller & Struwe, 2002 ; Thorn & Lynch, 2007). Ce sont des décomposeurs de la matière organique tout comme les bactéries. Cependant, contrairement à ces dernières, ils interviennent dans les étapes initiales de la dégradation de polymères bruts. Ainsi, les champignons sont les meilleurs dégradeurs potentiels de la cellulose, polymère le plus abondant sur terre (Baldrian & Valaskova, 2008). Grâce à leur système enzymatique oxydatif, ce sont les décomposeurs prédominants de la lignine, polymère récalcitrant dans l’environnement (Baldrian, 2003 ; Bouws et al., 2008). De par leur fonctionnalité, les champignons sont alors à la base de nombreux réseaux trophiques dans les écosystèmes terrestres. Par ailleurs, ils participent à la décontamination des sols grâce à leur capacité à dégrader certains contaminants organiques (Gianfreda & Bollag, 2002 ; Mougin, 2002).

Etant hétérotrophes, les champignons doivent trouver le carbone nécessaire à leur développement. Ils sont ainsi distingués selon trois modes de nutrition :

- Saprophytisme : les champignons se nourrissent de la matière organique morte ou en décomposition (feuilles mortes, débris végétaux ou animaux,…)

- Symbiose : les champignons vivent avec des organismes autotrophes comme les algues pour former les lichens, ou bien les plantes. Cette symbiose avec le système racinaire des plantes est appelée mycorhize et permet alors des échanges de nutriments et d’énergie bénéfiques pour les deux organismes. Ils jouent donc un rôle important dans la croissance des plantes.

- Parasitisme : ces champignons colonisent et exploitent la matière vivante. Ainsi, ils sont souvent pathogènes pour leurs hôtes.

2.1.2. Taxonomie

Le règne des mycètes appelés plus communément champignons, est représenté par cinq divisions : les Chytridiomycètes, les Glomeromycètes, les Zygomycètes, les Basidiomycètes et les Ascomycètes. Cette classification est basée essentiellement sur leur cycle biologique et notamment sur leur mode de sporulation (Lutzoni et al., 2004 ; Thorn &

Lynch, 2007).

Les Chytridiomycètes, champignons unicellulaires et généralement aquatiques, produisent des spores flagellées et peuvent être retrouvées dans les sols. Ils sont considérés comme les ancêtres de tous les champignons. Classés auparavant chez les Zygomycètes, les Glomeromycètes constituent maintenant une division à part. Ce sont des champignons mychoriziens, vivant en symbiose avec les racines d’un grand nombre de plantes. Malgré leur grand intérêt écologique, uniquement une centaine d’espèces est décrite à ce jour. Les Zygomycètes essentiellement représentés par les Mucorales produisent des spores non flagellées appelées les zygospores. Les Basidiomycètes regroupant environ plus de 30 000 espèces connues se caractérisent par leurs cellules spécialisées, les basides, où se développent les spores. Les Ascomycètes comportent le plus grand nombre d’espèces connues. Ils expulsent des asques qui sont des sacs renfermant des spores. La plupart des levures connues appartiennent à cette division.

Figure II.4. Estimation de la fréquence d’isolement de souches fongiques à partir de sols.

(Viaud et al., 2000 ; van Elsas et al., 2000 ; Kwasna et al., 2000 ; Peciulyte, 2001 ; Kjoller & Struwe, 2002 ; Deacon et al., 2006 ; Lynch & Thorn, 2007 ; Wu et al., 2008 ; Zinger et al., 2008 ; Collection MIAE de l’INRA de Dijon)

La synthèse de plusieurs études d’isolement de souches fongiques à partir de sols cultivés combinée à la mycothèque élaborée par l’INRA de Dijon a permis d’estimer les souches les plus fréquemment isolées des sols (Figure II.4). Les champignons telluriques

sont représentés en grande partie par les Ascomycètes (80 %). Les principaux genres retrouvés sont :

- les Fusarium, les Verticillium et les Trichoderma dont certaines espèces sont connues comme phytopathogènes

- les Aspergillus et les Penicillium dont certaines espèces sont très utilisées à des fins industrielles et pharmaceutiques (synthèse d’enzymes, d’antibiotiques,…).

Les Zygomycètes isolés des sols sont essentiellement représentés par l’ordre des Mucorales avec les principaux genres suivants : les Mucors, les Rhizopus, les Mortierella,... Ces saprophytes très répandus ont une croissance très rapide et une grande capacité à sporuler. Ils sont de ce fait considérés comme faisant parti des champignons les plus efficaces de la biosphère. Finalement, les Basidiomycètes les plus fréquemment isolés des sols cultivés sont du genre Rhizoctonia, appelé aussi Thanatephorus selon le stade de reproduction. Certaines espèces sont bien connues dans les mycorhizes et sont des phytopathogènes opportunistes (Lutzoni et al., 2004 ; Thorn & Lynch, 2007).

2.1.3. Diversité fonctionnelle

Grâce à leur capacité à s’adapter à différentes sources de carbone et d’azote, les champignons sécrètent un vaste équipement enzymatique capable de mobiliser et de minéraliser différents polymères naturels et d’autres composés tels que des contaminants organiques (Kjoller & Struwe, 2002 ; Bouws et al., 2008). Lors de cultures liquides, les champignons ont notamment été étudiés pour leur activité ligninocellulolytique. Ainsi, des activités β-glucosidases ou cellulases impliquées dans la dégradation de la cellulose ont été mesurées chez des Ascomycètes tel qu’Aspergillus oryzae ou chez des Basidiomycètes tels que Pleurotus ostreatus, Phanerochaete chrysosporum, Irpex lacteus ou Trametes versicolor (Di Nardo et al., 2004 ; Baldrian et al., 2006 ; Fragoeiro & Magan, 2005 ; Oda et al., 2006).

Ces basidiomycètes ont notamment été très étudiés pour leur capacité à synthétiser des oxydoréductases de type ligninolytique, telles que les laccases (E.C. 1.10.3.2), les lignine-peroxydases (E.C. 1.11.1.14) ou les lignine-peroxydases (E.C. 1.11.1.13). Les lignin- et Mn-peroxydases sont des enzymes contenant un hème avec un atome de Fe et sont H2O2 -dépendantes. Le Mn joue un rôle de cofacteur pour les Mn-peroxydases. Les laccases dont la structure a été caractérisée par cristallographie chez T. versicolor (Bertrand et al., 2002a), sont des enzymes dont le pouvoir catalytique est médié par des atomes de Cu (Figure II.5).

Figure II.5. Mécanisme d’action des laccases fongiques : T correspond à un site contenant un ou deux atomes de Cu. T1 extrait un électron du substrat réduit et T2/T3 forme un centre trinucléaire où l’O2 est réduit (issu de Bertrand et al., 2002a).

Bien que le rôle premier de ces oxydoréductases soit de dégrader les matériaux ligninocellulosiques, ce set enzymatique présente des intérêts industriels et environnementaux. Pour leur propriété oxydante, les oxydoréductases sont très utilisées en industries (papier, textile,…). Par ailleurs, ces enzymes peu spécifiques dégradent une grande variété de contaminants organiques : bromophénols, HAP, arylamines… (Mougin et al., 2002 ; Cajthaml et al., 2008 ; Uhnakova et al., 2009 ). Grâce à ces propriétés de biotransformation, les oxydoréductases ont été suggérées comme des outils potentiels de bioremédiation des eaux et des sols. Cependant, les enzymes doivent être fixées à un support afin d’améliorer leur stabilité et donc leur activité enzymatique (Ahn et al., 2000 ; Mougin et al., 2003 ; Ikehata et al., 2004).

Depuis une dizaine d’année, les avancées méthodologiques en électrophorèse et en spectrométrie de masse ont permis l’émergence de l’étude de la composition des sécrétomes fongiques (Kim et al., 2007). Ces études protéomiques donnent accès à des profils d’expression fonctionnelle dans différentes conditions. Ainsi, il a été montré que la sécrétion fongique varie selon le type de substrat (liquide ou solide), la source de carbone ou lors de stress salins (Oda et al., 2006 ; Gori et al., 2006 ; Liang et al., 2007 Sato et al., 2007). Par ailleurs, bien qu’un grand nombre de protéines extracellulaires restent à être identifiées, cette approche a permis de caractériser différentes hydrolases impliquées dans la dégradation de la cellulose ou la chitine, protéases et peptidases, métalloprotéines, estérases, lipases et oxydoréductases ligninolytiques (Bouws et al., 2008).

Ainsi, ces outils protéomiques contribuent à améliorer nos connaissances sur le système enzymatique extracellulaire des champignons et sur ses implications dans le fonctionnement des écosystèmes terrestres. Malgré ces investigations, la diversité fonctionnelle et sa régulation dans des conditions naturelles ou de stress chimiques restent encore limitées chez les champignons telluriques.

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