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La chambre civique près la Cour de justice de l’Aveyron

 Les chambres civiques sont créées par l’ordonnance du 26 août 1944 qui institue le crime d’indignité nationale. Adjointes aux Cours de justice, elles sont nommées « sections spéciales » avant de devenir des « chambres civiques » par l’ordonnance du 30 septembre 1944. Elles sont chargées de punir le crime d’indignité nationale.

 Les chambres civiques sont composées d’un magistrat désigné par le premier président de la cour d’appel et de quatre jurés tirés au sort en audience publique sur une liste prévue par l’ordonnance du 26 juin 1944, en présence du commissaire du Gouvernement et du greffier de la cour de justice.

1 Jean-Michel Cosson et Stéphane Monnet, L’Aveyron dans la guerre: 1939-1945, Romagnat, de Borée,

2006, p.172.

2 Ibid.

3 Lisa Laborde- Tuya, « Base de données des arrêts de la Cour de Justice de Toulouse (octobre 1944-juillet 1945)

51  La chambre civique près la Cour de justice de l’Aveyron tient entre le 22 novembre 1944 et le 14 avril 1945 douze audiences durant lesquelles elle traite au total quatre- vingt-dix affaires dont neuf concernant des femmes1. Les jugements sont pour la plupart expéditifs. En effet, jusqu’à quinze dossiers peuvent être traités sur la même journée. Certains n’ont pas de témoins, d’autres pas d’avocat.

 Sur les quatre-vingt-dix-affaires instruites par la chambre civique, cinquante-deux condamnations et vingt-six acquittements sont prononcés. Dix-neuf personnes, quant à elle, relèvent de l’indignité nationale mais ne font pas l’objet d’une condamnation.2  Les personne personnes coupables « d’indignité nationale » sont celles qui ont

« postérieurement au 16 juin 1940 apporté volontairement, en France ou à l’étranger, une aide directe ou indirecte à l’Allemagne ou à ses alliés, soit porté volontairement atteinte à l’unité de la nation, ou à la liberté et à l’égalité des Français 3». Est précisé dans l’article 1 ce qui « constitue notamment le crime d’indignité nationale » :

- « Avoir fait partie […] des gouvernements ou pseudo-gouvernements ayant exercé leur autorité en France entre le 16 juin 1940 et l’établissement du Gouvernement provisoire de la République française ». Autrement dit, avoir fait partie du régime de Vichy

- « avoir occupé une fonction de direction dans les services centraux, régionaux ou départementaux de la propagande desdits gouvernements »

- « avoir occupé une fonction de direction dans les services centraux, régionaux ou départementaux du commissariat aux questions juives »

- « avoir participé à un organisme de collaboration […]». Est cité notamment : le service d’ordre légionnaire (SOL), la milice, le groupe collaboration, la légion tricolore ou encore le rassemblement national populaire.

- « avoir adhéré ou continué d’adhérer au partir populaire français, franciste ou au mouvement social révolutionnaire et ce, postérieurement au 1er janvier 1942 »

1 En raison de la crise sanitaire actuelle, l’accès aux archives a été difficile. Des données manquent rendant ce

résultat partiel.

2ADA, 201W95 : statistiques établies par le greffier de la Cour de justice en date du 7 août 1945

52 - « avoir volontairement participé à l’organisation des manifestations artistiques,

économiques, politiques ou autre en faveur de la collaboration avec l’ennemi » - « avoir publié les articles, brochures ou livres ou fait des conférences en faveur de

l’ennemi, de la collaboration avec l’ennemi, du racisme ou des doctrines totalitaires »1.

 En utilisant le terme « notamment » dans son article 1 de l’ordonnance, même s’il énonce les différents motifs d’indignité nationale, le GPRF renonce à l’exhaustivité et permet aux chambres des différences d’appréciation. Certaines poursuivent des personnes pour d’autres motifs que ceux décrits de manière explicite dans l’ordonnance. L’exemple le plus connu est celui des femmes qui ont eu des relations sexuelles avec des Allemands (voir infra).

 Mentionné pour la première fois par les juristes du GPRF en 1943, le « crime d’indignité nationale » permet de faire apparaître une nouvelle catégorie de coupable à côté de celle du traître puni par l’article 75 du Code Pénal : le vichyste.2 Celui qui est réceptif aux idéologies du régime, qui relaie parfois ces dernières, qui adhère à un parti ou à une organisation mais qui fait preuve d’un certain attentisme.

 L’ « indigne national» est alors condamné à la dégradation nationale. Définie par l’article 9 de l’ordonnance du 26 août 1944, cette dernière consiste notamment à : - « la privation des droits de vote, d’élection, d’éligibilité et, en général de tous les

droits civiques et politiques […] »

- « la destitution et l’exclusion […] de toutes fonctions, emplois, offices publics et corps constitués »

- « la perte de tous grades dans l’armée de terre, de l’air et de mer » 3

Le condamné se retrouve aussi dans l’incapacité d’être juré, expert, arbitre, témoin, avocat, officier ministériel, professeur, tuteur. Il lui est interdit de diriger une entreprise d’édition, de presse, de radio ou de cinéma. Il ne peut pas être administrateur ou gérant d’une société, non plus être directeur de siège social, directeur général de banque ou de compagnie

1 Ibid.

2 Francois Rouquet, Fabrice Virgili, Les Francaises, les Francais et l’Épuration: 1940 à nos jours, Paris,

Gallimard, p.151.

53 d’assurance. « Au total, quatorze incapacités frappent les « indignes nationaux » 1». C’est alors une peine « infamante », le condamné devenant un citoyen de seconde classe. Elle est aussi lourde de conséquences sur le quotidien de ce dernier. Il doit faire face aux nombreuses interdictions et aux exclusions qui peuvent découler de la dégradation nationale. Par exemple, les pensions civiles et militaires sont suspendues. De plus, la peine peut être assortie d’une interdiction de résidence2 et, à la suite de l’ordonnance du 30 septembre 1944, la confiscation de tout ou une partie des biens de la personne coupable.

Ainsi, à l’image de nombreuses régions à la même période, l’Aveyron connaît des violences dans les instants qui suivent la libération du département. Les habitants, dans un désir de justice, exécutent et tondent les personnes soupçonnées de collaboration avec les Allemands. Toutefois, à part quelques coups d’éclats dans plusieurs communes comme Decazeville, Rodez, ou encore Laguiole, la situation reste relativement calme. En effet, l’Aveyron fait partie des départements qui comptent le moins d’exécution sommaires après la Libération. Afin d’endiguer ces violences et de reconstruire un cadre étatique, des juridictions destinées à juger les collaborateurs se mettent en place. Quelques semaines après la libération du département, est instituée une « cour martiale » par les militaires FFI qui siège à Rodez. La cour de justice de l’Aveyron prend le relais en septembre 1944 jusqu’en avril 1945. Les femmes ne représentent qu’une faible part des personnes jugées et condamnées par ces juridictions mais elles sont sources de nombreux questionnements. Nous pouvons en effet nous interroger sur la nature des formes de collaboration pour lesquelles elles ont été jugées ainsi que sur leurs condamnations.

1 François Rouquet, Fabrice Virgili, Les Francaises, les Francais et l’Épuration, op. cit., p.190. 2 Article 10 de l’ordonnance du 26 août 1944, JORF, 71, 28 août 1944.

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3

ème

partie : Juger les collaboratrices

I-

Les différents types de collaboration

Durant les « années noires », divers comportements se côtoient sur le territoire français, pouvant aller de la résistance à l’ennemi à la collaboration sous fond de partage d’idées politiques, en passant par l’accommodement. Une infinité de profils de personnes qui collaborent avec l’ennemi et qui se retrouvent devant les juges se détachent alors. Les frontières entre les différents actes de collaboration étudiés dans les dossiers d’instruction ne sont pas forcément définies de manière claire. En effet, une femme peut par exemple adhérer à un mouvement collaborationniste et y travailler ou encore, une femme accusée d’avoir eu des relations avec des Allemands peut aussi être soupçonnée de dénonciation1. Toutefois, les historiens ont réussi à dégager de grandes tendances à l’image de Fabrice Virgili. Dans son ouvrage La France « virile » Des femmes tondues à la Libération, il définit quatre catégories de « faits de collaboration reprochés aux femmes 2». Ces actes peuvent avoir été réalisés sur le « plan politique », « sur le plan financier » ou encore « sur le plan personnel»3. Des femmes sont aussi suspectées d’ « avoir dénoncé quelqu’un aux autorités d’occupation4 ». Par ailleurs, l’historien comptabilise les femmes qui sont des ressortissantes des pays de l’Axe parmi les motifs d’arrestation. Leur nationalité n’est pas, cependant, considérée comme un acte de collaboration en lui-même mais elle apporte une suspicion supplémentaire de la part des enquêteurs et des juges.

Dans notre travail, nous nous inspirons des différentes catégories déterminées par Fabrice Virgili pour décrire les actes de collaboration des femmes aveyronnaises.

1 Dans la constitution du graphique page 54, lorsque la situation se présente, les personnes sont comptabilisées

plusieurs fois.

2 Fabrice Virgili, La France « virile »: Des femmes tondues à la Libération, Nouvelle édition, Paris, Payot, 2019,

p.22.

3 Ibid. 4 Ibid.

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Sources : ADA, 405W13-22 ; ADH, 59W35-361