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Ce que l’institution scolaire attend des futurs enseignants

2. Étudiants et culture

2.1. Ce que l’institution scolaire attend des futurs enseignants

La consultation du rapport du jury du concours de recrutement de professeurs des écoles (CRPE) de la session 2018 de l’académie de Bordeaux peut être une source d’informations sur les attendus de l’institution scolaire en matière de culture de la part des futurs enseignants, puisque ce rapport vise précisément « à permettre aux futurs candidats de prendre connaissance des compétences attendues aux diverses épreuves1 » qui composent le concours. L’épreuve d’amissibilité de français ne comprend pas de partie spécifiquement dédiée à l’évaluation de la culture des candidats, mais le rapport du jury relève la nécessité de « convoquer une culture générale, acquise au cours de la scolarité du collège et du lycée, pour tenir les textes à bonne distance d’analyse et ne pas se tromper, parfois radicalement, sur leur sens2. » Les textes dont il est ici question sont ceux qui composent le corpus sur lequel les candidats doivent travailler dans la première partie de l’épreuve de français. Celle-ci peut donc être considérée, au moins en partie, comme un exercice de culture générale, dans la mesure où il n’est pas possible de répondre correctement à la question que pose le sujet sans avoir pour viatique une certaine culture, nécessaire à la compréhension pleine et entière des textes. Le rapport du jury précise en effet qu’« [u]ne bonne maîtrise des genres littéraires et de leurs caractéristiques permet une analyse plus fine et approfondie3 » des textes et invite explicitement les candidats « à ne pas négliger la culture littéraire générale4 », précisant que

« [i]ls auront à enseigner la langue mais contribueront également à la formation esthétique,

morale et culturelle de leurs futurs élèves ; ce qui suppose d’abord de maîtriser le sens des textes, littéraires voire philosophiques. Cela ne peut s’acquérir sans fréquentation régulière des œuvres et textes fondateurs d’une culture humaniste5

. »

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Concours de recrutement de professeurs des écoles. Epreuves d’admissibilité et d’admission.

Rapport du jury, Académie de Bordeaux, juillet 2018, [en ligne], disponible sur

<http://cache.media.education.gouv.fr/file/DEC_4/83/6/Rapport_du_jury_-_CRPE_2018_1043836.pd f>, consulté le 28/04/2019, p. 3. 2 Ibid., p. 10. 3 Ibidem. 4 Ibidem. 5 Ibidem.

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La culture attendue des futurs enseignants est donc assez précisément définie par le rapport du jury : il s’agit d’une culture générale, et cette culture générale a pour fondement la culture humaniste. C’est la dimension littéraire de cette culture qui est recherchée avant tout. Le rapport du jury du CRPE de 2017 précise d’ailleurs que c’est par la « fréquentation régulière des œuvres poétiques, dramatiques et narratives1

» que peut s’acquérir la maîtrise du sens des textes. De fait, les textes du corpus de la première partie de l’épreuve de français de 2018, dans l’académie de Bordeaux, ont un fort « ancrage littéraire2

», puisqu’ils ont pour auteurs Victor Hugo, Friedrich Nietzsche, Marc Bloch et Tzvetan Todorov ; ils ont « également une portée philosophique et historique3 ». L’ancrage littéraire est plus marqué encore en 2017, où le corpus de textes de la première partie est constitué d’extraits de Chrétien de Troyes, Racine, Victor Hugo et Eugène Ionesco. De même, la dimension littéraire et humaniste domine dans le sujet de la cession 2019, même si se trouve, à côté de textes de Montaigne, Maupassant et Lévi-Strauss, l’extrait d’un roman de Richard Matheson, Je suis

une légende, qui relève de la culture populaire, et non de la culture savante ou, du moins,

légitimée. La culture doit donc embrasser de vastes domaines, puisque c’est la variété qui est l’une de ses principales caractéristiques, qui autorise la grande diversité des textes des corpus du concours et qui explique donc que

« les auteurs convoqués sont historien, écrivain/poète critique, critique littéraire/essayiste,

philosophe, de nationalités différentes (allemand, français, bulgare), que les genres sont variés (essai historique, poème polémique, essai philosophique) et les textes d’époques diverses4 ».

La culture attendue des candidats implique la familiarité avec la chronologie et une mise en perspective historique des auteurs pour comprendre la portée réelle de leurs textes, car, est-il précisé dans le rapport du jury de 2018, « [l]es contextes différents expliquent la divergence

1

Concours de recrutement de professeurs des écoles. Epreuves d’admissibilité et d’admission.

Rapport du jury, Académie de Bordeaux, juillet 2017, [en ligne], disponible sur

<http://cache.media.education.gouv.fr/file/DEC_4/07/7/Rapport_du_jury_-_CRPE_2017-1_8 60077.pdf>, consulté le 28/04/2019, p. 10.

2

Concours de recrutement de professeurs des écoles. Epreuves d’admissibilité et d’admission.

Rapport du jury, Académie de Bordeaux, juillet 2018, op. cit., p.10.

3

Ibidem.

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de points de vue et leur complémentarité1. » Les auteurs du rapport estiment par exemple que « [l]a lecture poétique et politique du poème extrait des Châtiments de Victor Hugo nécessitait […] une bonne contextualisation2

. »

2.1.2. Attendus en matière de maîtrise de la langue

Le rapport du jury de 2018 précise que la première partie de l’épreuve que nous venons d’évoquer, « entièrement rédigée, doit faire l’objet d’une attention particulière sur le plan de l’expression et de la correction de la langue3

. » Les candidats doivent en effet faire la démonstration de leur bonne maîtrise de la langue sur toute l’épreuve d’admissibilité de français, puisque, non seulement sa deuxième partie, notée sur 11 points, est consacrée à la connaissance de la langue (« grammaire, orthographe, lexique et système phonologique4 »), mais encore parce qu’aux trois parties de l’épreuve « se rajoute une ‘‘quatrième’’ partie avec l’évaluation de la maîtrise de la langue sur l’ensemble de la copie qui est notée sur 5 points5

», à savoir : « correction syntaxique, morphologique et lexicale, niveau de langue et clarté d’expression6

». De plus, même si ce ne sont pas les dossiers qui sont notés, lors de l’épreuve à choix optionnel, mais la qualité des prestations orales, le jury précise que cela « ne dispense toutefois pas les candidats d’une rédaction de qualité7. » Le rapport inclut ainsi parmi les recommandations données aux candidats sur la forme du dossier « [l]’attention à la précision lexicale, aux erreurs orthographiques ainsi qu’à la correction syntaxique8

. »

Cette exigence de maîtrise de la langue est justifiée par le fait que celle-ci revêt une grande « importance dans le cadre de l’enseignement9 », puisque « [à] la fois support et moyen d’apprentissage, la langue est au service de toutes les disciplines10

». Et donc, « [p]our être capable d’enseigner, les candidats doivent maîtriser la langue écrite11

. » Le rapport du jury invite en effet ceux-ci à travailler une compétence « qu’il s’agira de transmettre par la 1 Ibidem. 2 Ibid., p. 12. 3 Ibid., p. 13. 4 Ibid., p. 9. 5 Ibidem. 6 Ibidem. 7 Ibid., p. 31. 8 Ibid., p. 32. 9 Ibid., p. 13. 10 Ibidem. 11 Ibid., p. 17.

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suite aux élèves1. » Il est d’ailleurs rappelé que cette compétence « participe pleinement de la maîtrise du socle commun de compétences, de connaissances et de culture2. » En raison de la nature-même du métier en vue duquel les candidats se présentent au CRPE, le rapport rappelle qu’« on attend d’un futur professeur des écoles des compétences assurées en maîtrise de la langue française (ses normes, sa richesse, ses subtilités)3 » afin que celui-ci puisse « l’enseigner à de jeunes enfants4. » La langue française est en effet si centrale que même, dans l’épreuve à choix optionnel, le jury attend que soient faits des liens « entre le domaine [de l’option] et la maîtrise de la langue, plus précisément entre la langue et la discipline5

» (par exemple, « la langue pour décrire, ou pour argumenter6 ».)

La deuxième partie de l’épreuve d’admissibilité de français a justement pour fin de « chercher à vérifier l’acquisition de connaissances fondamentales sur la langue française par les candidats, condition nécessaire à la mise en place d’un enseignement sur la langue à l’école7

. » Les questions de cette partie de l’épreuve peuvent donc porter sur le lexique, la conjugaison, l’orthographe, la grammaire et la stylistique. Ce ne sont pas seulement des « connaissances techniques variées et solides8 » qui sont exigées, mais aussi « la capacité à les énoncer clairement, ce qui constitue deux compétences attendues d’un professeur des écoles9. »

Mais la connaissance de la langue ne doit pas seulement être théorique, comme nous l’avons dit plus haut ; il faut également qu’elle soit vérifiée dans la pratique : il est en effet attendu du futur professeur des écoles « une pleine maîtrise de sa propre langue écrite10 » mais aussi de sa langue orale, puisque le jury attend du candidat, pendant les oraux du concours, « qu’il porte son attention sur l’emploi d’un niveau de langue adapté à l’enseignement11

» et renvoie, à ce sujet, au « Référentiel de compétences professionnelles des 1 Ibid., p. 13. 2 Ibidem. 3 Ibidem. 4 Ibidem. 5 Ibid., p. 35 6 Ibidem. 7 Ibid., p. 13. 8 Ibidem. 9 Ibidem. 10 Ibid., p. 17. 11 Ibid., p. 33.

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métiers du professorat et de l’éducation », dont la compétence P2, intitulée « Maîtriser la langue française dans le cadre de son enseignement1 » consiste non seulement à « [u]tiliser un langage clair et adapté aux capacités de compréhension des élèves2 » mais encore à « offrir un modèle linguistique pertinent pour faire accéder tous les élèves au langage de l’école3

». Ce n’est donc pas seulement la correction de la langue qui est attendue mais encore sa clarté, et le jury considère qu’« une expression rendant compte sans exactitude, sans organisation ou sans clarté de la pensée [rend] impossible l’enseignement de la langue auprès des élèves4

. » On en revient toujours au fameux vers de Boileau : « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement5 » et cinq points du barème de l’épreuve de français servent à vérifier si « les mots pour le dire arrivent aisément6 » ! Mais Boileau a cette autre maxime, qui est une injonction : « Avant donc que d’écrire, apprenez à penser7 », dit-il en effet, ce qui nous ramène à la question de la culture des candidats, car on n’apprend jamais mieux à penser qu’en écoutant les leçons de ceux qui ont pensé avant nous, c’est-à-dire en lisant ce qu’ils ont écrit, et qui constitue le fonds commun de cette immense bibliothèque d’Alexandrie qu’on appelle la culture. Car pour écrire des textes, c’est-à-dire pour transformer le noir de l’encre en lumière, en cette clarté qu’attend du candidat le jury du concours, la connaissance de la grammaire et du lexique n’est pas suffisante, il faut aussi de la pensée, autrement dit de la culture, car, comme il est d’ailleurs rappelé dans le socle commun, c’est l’acquisition d’une certaine culture qui « [rend] possible l’exercice de l’esprit critique8 ». Composante de l’apprentissage de la lecture, l’acculturation, si l’on peut également entendre par ce mot le fait de se cultiver,

1

Référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation, [en ligne], disponible sur <https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000027721614& dateTexte=&categorieLien=id>, consulté le 29/04/2019. 2 Ibidem. 3 Ibidem. 4

Concours de recrutement de professeurs des écoles. Epreuves d’admissibilité et d’admission.

Rapport du jury, Académie de Bordeaux, juillet 2018, op. cit., p. 17.

5

Nicolas Boileau, Art poétique, Paris, Garnier- Flammarion, coll. « GF », 1998, Chant I, v. 153, p. 91.

6

Ibid., v. 154, p. 91.

7

Ibid., v. 150, p. 91.

8

Socle commun de connaissances, de compétences et de culture, [en ligne], disponible sur <http://cach e.media.education.gouv.fr/file/17/45/6/Socle_commun_de_connaissances,_de_competences_et_de_cu lture_415456.pdf>, consulté le 12/01/2019.

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est donc tout aussi nécessaire à l’exercice de la pensée et de l’esprit critique, qui sont les conditions d’une production d’écrit efficace.