• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 1 Introduction générale

1.3 La strate arbustive

1.3.2 Cause principale de la densification de la strate arbustive : l’augmentation récente

La densification de la strate arbustive a été recensée dans différentes régions arctiques et subarctiques au cours des dernières décennies. Bien que non uniforme, l’étendue de ce phénomène suggère qu’il est contrôlé par un facteur agissant à l’échelle planétaire, du

moins en partie. De ce fait, l’augmentation récente des températures est le facteur le plus fréquemment proposé pour expliquer ce phénomène. Comme les études descriptives utilisées pour quantifier la densification de la strate arbustive ne peuvent nous éclairer sur les causes de ce phénomène, il devient nécessaire de s’appuyer sur d’autres évidences. Parmi ces dernières, les études paléoécologiques suggèrent que les arbustes ont le potentiel de répondre positivement à des conditions climatiques plus clémentes. En effet, des espèces arbustives appartenant aux genres Salix, Betula et Alnus étaient présentes en plus grande abondance en Arctique après le dernier maximum glaciaire, période où les conditions climatiques sont connues pour avoir été plus chaudes et plus humides qu’actuellement (Anderson et Brubaker 1994, Kullman 1995, Naito et Cairns 2011). Afin de confirmer ou d’infirmer le lien entre le climat et la densification des arbustes, deux autres types d’études ont été entreprises : des études expérimentales utilisant des serres expérimentales (« open- top chambers ») d’une part et des études dendrochronologiques d’autre part. Je présenterai donc dans cette section ces deux types d’analyses ainsi que les principales conclusions qu’elles nous permettent de tirer sur les liens unissant la densification de la strate arbustive et le climat.

L’utilisation de serres expérimentales permet de simuler l’augmentation des températures et d’évaluer la réponse d’une espèce d’intérêt. En suivant la réponse de cette dernière au fil des saisons de croissance subséquentes, il est possible d’inférer les changements dans la performance de l’espèce sous de nouvelles conditions climatiques. Parmi les différents indicateurs de performance mesurés, notons par exemple le pourcentage de recouvrement (Wahren et al 2005), la croissance en hauteur (Chapin et al 1995, Elmendorf

et al 2012a) et l’effort reproducteur (Arft et al 1999). Bien que cette méthode soit souvent

utilisée sur de courtes périodes et donc qu’elle ne permette pas de tirer des conclusions à long terme (Elmendorf et al 2012b), les résultats obtenus semblent montrer l’effet positif d’un adoucissement du climat sur la performance globale de différentes espèces arbustives. Cette réponse est toutefois maximale dans le Bas-Arctique, comparativement au Haut- Arctique où les espèces semblent investir davantage dans la reproduction (Dormann et Woodin 2002, Walker et al 2006). Une des hypothèses avancées pour expliquer cette réponse différentielle entre les deux régions est liée à la compétition pour la lumière et les

11

nutriments. Comme ces derniers sont en quantité nettement supérieure dans le Bas- Arctique, une meilleure croissance confèrerait un avantage compétitif dans ce milieu (Arft

et al 1999). La diminution du nombre d’individus et donc de la compétition apparente dans

le Haut-Arctique favoriserait quant à elle un plus grand investissement dans la reproduction sexuée. Cependant, certains indices nous laissent croire que la compétition pourrait également être importante dans ces régions (N. Boulanger-Lapointe, communication personnelle). Parmi les arbustes du Bas-Arctique, les espèces décidues sont celles pour lesquelles la réponse au réchauffement est la plus marquée. L’augmentation de leur pourcentage de recouvrement (Chapin et al 1995, Bret-Harte et al 2002, Wahren et al 2005) ainsi qu’une meilleure croissance en hauteur (Chapin et Shaver 1985, Jónsdóttir et al 2005, Elmendorf et al 2012a) ont toutes deux été observées lors de telles études. Cette tendance est d’autant plus prononcée lorsque l’utilisation des serres expérimentales est couplée à l’ajout de nutriments (Chapin et Shaver 1996, Bret-Harte et al 2001). De plus, la germination des graines de certaines espèces arbustives (Empetrum nigrum ssp.

hermaphroditum et Vaccinium uliginosum) et, par conséquent, l’établissement de nouveaux

individus semblent être favorisés par une augmentation des températures (Graae et al 2008).

En plus de confirmer le lien entre le climat et la croissance, les études dendrochronologiques nous permettent d’identifier les différents paramètres climatiques associés à une meilleure croissance. Cependant, bien que leur propension à former des

cernes annuels de croissance soit connue depuis le début du 20e siècle, les espèces

arbustives sont demeurées largement ignorées en dendrochronologie. Leur faible intérêt économique, leur courte longévité (Schweingruber 2007) ainsi que les nombreuses embuches encourues lors de leur traitement ne sont que quelques raisons pouvant expliquer leur absence prolongée des analyses dendrochronologiques. Par exemple, le collet des arbustes (c’est-à-dire la partie la plus vieille) est difficile à identifier sur le terrain et il est souvent nécessaire de traiter les échantillons afin de distinguer leurs cernes annuels de croissance (Au et Tardif 2007, Bär et al 2008). Ces derniers sont souvent étroits, incomplets ou complètement absents (Callaghan 1973, Liang et Eckstein 2009, Hallinger et

dans les régions arctiques et subarctiques, où les courtes saisons de croissance ne permettent parfois pas au collet des vieux individus d’enregistrer une croissance radiale. En effet, la croissance des arbustes est initiée dans les parties apicales des individus grâce à la libération d’une hormone nommée auxine (Forest et al 2006). Cette hormone migre par la suite le long des branches pour finalement se rendre au collet. Comme les branches deviennent de plus en plus longues au fil des années, la croissance prend de plus en plus de temps à être initiée dans les parties les plus vieilles de l’arbuste. Dans les années où les conditions sont difficiles, le collet peut donc ne pas former de cellules et, par conséquent, ne pas enregistrer de croissance radiale (Hallinger et al 2010). Néanmoins, le besoin criant d’approfondir nos connaissances sur les variations récentes du climat des régions arctiques et subarctiques où peu d’espèces arborescentes sont en mesure de croître a fortement encouragé la communauté scientifique à développer des outils et techniques afin d’utiliser les arbustes comme modèles d’études dendrochronologiques. Une revue de littérature récente révèle que 76% des chronologies recensées sont sensibles à certaines variables climatiques (Myers-Smith et al 2015). En effet, plusieurs espèces arbustives répondent positivement aux températures estivales (Bär et al 2008, Liang et Eckstein 2009, Forbes et

al 2010, Hallinger et al 2010, Hantemirov et al 2011, Boudreau et Villeneuve-Simard 2012,

Jorgensen et al 2015), corroborant de ce fait les résultats obtenus grâce aux études expérimentales détaillées plus haut. Dans les milieux arctiques et subarctiques où la saison de croissance est courte, une amélioration des conditions climatiques estivales pourrait en effet favoriser les réactions enzymatiques de la photosynthèse et permettre une meilleure croissance. Cependant, les variations de croissance radiale des espèces arbustives ne sont pas toutes expliquées par les températures de la saison de croissance en cours. Certaines semblent en effet contrôlées par les températures printanières (Xiao et al 2007, Au et Tardif 2007) ou par les précipitations hivernales (Liang et Eckstein 2009; Hallinger et al 2010; Schmidt et al 2010) ou estivales (Blok et al 2011). De plus, la relation croissance-climat semble varier en fonction de la position géographique, de la hauteur des espèces arbustives considérées et de la disponibilité en eau du sol (Myers-Smith et al 2015). Les espèces arbustives érigées croissant à la limite entre le Haut-Arctique et le Bas-Arctique et dans un milieu où la disponibilité en eau n’est pas limitante semblent être les plus sensibles au climat (Myers-Smith et al 2015).

13

Documents relatifs