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CHAPITRE I : LE STEREOTYPE DE L’« AUTRE » : LES IRLANDAIS DANS

C) L’« ALTERISATION » RELIGIEUSE

1. Le catholicisme et le protestantisme au temps de la Réforme en Irlande

a. Le « papiste » irlandais : l’« Autre »

Les trois auteurs anglais étudiés dans ce mémoire partagent la même foi qui est également celle de leur souveraine, Elizabeth I : la foi protestante. Le nom qui revient le plus souvent au 16ème siècle pour désigner les Irlandais (et notamment dans les trois œuvres étudiées) est « papiste »136. L’adjectif comporte une connotation péjorative et prouve l’aversion de ces auteurs protestants envers les catholiques irlandais. Un autre artiste protestant, John Bale, nous propose une représentation visuelle très significative de cet antagonisme entre catholiques et protestants (cf. Annexe 9). Cette gravure oppose un « papiste » irlandais et une « chrétienne » anglaise. Cette dernière, à gauche de l’image, semble effrayée face aux menaces du « papiste » irlandais, représenté à droite, prêt à brandir son épée. L’Irlandais est représenté avec un visage démoniaque : il a un nez crochu et il semble agressif. De plus, il est accompagné par un loup, métaphore du diable dans la Bible, contrairement à l’agneau qui accompagne la protestante anglaise. Cette gravure souligne le conflit entre les Catholiques et les Protestants qui naît au 16ème siècle. La métaphore du loup est aussi utilisée dans les gravures de Derricke, celui-ci accompagne

Rorie Oge, rebelle et protestant vaincu par les forces armées anglaises, dans les bois soulignant ainsi ses aspirations diaboliques (cf. Annexe 5). John Bale était un Protestant fervent et, dans cette gravure sur bois, il oppose ce qu’il pense être la « Vraie Religion » incarnée par la « chrétienne » anglaise et la « fausse religion » contrôlée par Satan et représentée par le « papiste » irlandais137. Ces « papistes » sont représentés par Irenius comme des individus incompétents et ignorants.

Irenius: They be all Papists by their profession, but in the same so blindly and brutishly informed, (for the most part) that not one a|mongst a hundred knoweth any ground of Religion, or any Article of his faith, but can perhaps say his Pater noster or his Ave

Maria, without any knowledge or understanding what one word thereof meaneth138.

De plus, ils ne remplissent pas leurs devoirs d’hommes d’Église mais abusent des privilèges de leur fonction, selon Irenius. Ils ne sont, par conséquent, pas de réels religieux et semblent habités par l’avarice, selon le point de vue des Anglais. Ils baptisent pour accueillir de nouveaux fidèles mais ne prêchent pas la bonne parole, ni ne communient. Ils se contentent de récupérer la dîme et les offrandes, c’est du moins ainsi qu’Irenius les décrit. Spenser, ici, critique ce que les Protestants désignaient comme l’avarice de l’Église Catholique139.

Irenius: For all Irish Priests, which now injoy the Church livings, they are in a manner meere lay men, saving that they have taken holy orders, but other|wise they doe goe, and live like lay men, follow all kinde of husban|dry, and other worldly affaires, as other Irish men doe. They neither read Scriptures, nor preach to the people, nor administer the Commu|nion, but Baptisme they doe: for they Christen yet after the Popish fashion, onely they take the tithes and offerings, and gather what fruite else they may of their livings, the which they convert as badly and some of them (they say) pay as due tributes and shares of their li|vings to their Bishops, (I speake of those which are Irish) as they re|ceive them duely140.

Le clergé irlandais est défini, selon Irenius, porte-parole de Spenser, comme mauvais, avare, licencieux et désordonné.

b. La religion : le « loup » catholique contre l’« agneau » protestant Réformer le clergé en Irlande n’est pas une priorité dans le plan d’Irenius puisque qu’il faut d’abord éduquer la population pour qu’elle puisse apprécier et adhérer à la religion protestante mais cela prend du temps. Pour Irenius, la religion ne doit pas être

137 Andrew Hadfield, « Historical Writing, 1550-1660 », The Oxford History of the Irish Book: the Irish book

in English 1550-1800, vol. 3, Raymond Gillespie and Andrew Hadfield, Oxford University Press, New York,

2006, p. 250.

138 Spenser, op. cit., p. 59.

139 Cette « avarice » est l’une des raisons de l’émergence du Protestantisme. 140 Ibid, p. 60.

imposée par la force puisqu’elle ne sera alors pas complètement acceptée par les Irlandais. Il faut donc que la conversion au protestantisme se fasse à travers l’éducation141. Mais pour que cet enseignement soit efficace, il faut d’abord soigner l’Irlande de tous les maux évoqués plus haut. En effet, aux yeux des pasteurs et des fervents protestants anglais tels que Spenser, Sidney ou encore Derricke, le protestantisme ne saurait être compris par des individus « non-civilisés », comme le sont les Irlandais.

Irenius : Most true Eudoxus, the care of the soule, and soule matters is to be preferred, before the care of the body, in consideration of the worthynesse thereof, but not till the time of reformation, for if you should know a wicked person dangerously sicke, having now both soule and body greatly diseased, yet both recoverable, would you not thinke it evill advertizement to bring the Preacher before the Phisitian, for if his body were neglected, it is like that his languishing soule being disquieted by his diseasefull body, would utterly refuse and loath all spirituall comfort, but if his body were first recured, & broght to good frame, should there not then be found best time, to re|cover the soule also142.

Spenser réutilise, ici, la métaphore du pays malade qu’il faut soigner, c’est-à-dire qu’il faut reformer de manière urgente, radicale et efficace, avant de l’éduquer et de le moderniser, c’est-à-dire avant de le civiliser à la manière des Anglais.