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Chapitre 1. Revue de la littérature

1.2. Sources d’information utilisées par les cadres

1.2.3. Catégories de sources d’information utilisées par les cadres

Différents auteurs ont tenté une classification des catégories de sources d’information utilisées par les cadres. Nous présentons tout d’abord les catégories proposées, puis suggérons un modèle général à partir des travaux sur le sujet. Certaines catégories sont fréquemment mentionnées dans les études empiriques sur les sources d’information et les comportements informationnels, notamment les sources internes et externes, personnelles et impersonnelles, verbales (humaines) et textuelles/documentaires/en ligne, formelles et informelles (tableau I, page 38).

Tableau I. Catégories de sources d’information recensées dans les écrits Catégories de sources d’information Aguilar 196 7 Keeg an 197 4 T aylo r 198 6 Mc Kinnon e t Bruns 199 2 Choo e t Au ster 199 3 Choo 199 4 Choo 200 2 Z ach 200 2 Sources internes 3 3 3 3 3 3 3 Sources externes 3 3 3 3 3 3 3 Sources personnelles 3 3 3 3 3 Sources impersonnelles 3 3 3 3 Sources verbales (humaines) 3 3 3 3 Sources textuelles / documentaires 3 3 3 3 Sources en ligne 3 3 Sources formelles 3 3 3 Sources informelles 3 3 3 Sources « phénomènes physiques » 3

Des classifications de sources d’information ont été proposées en gestion par des auteurs comme Aguilar (1967), Keegan (1974) et McKinnon et Bruns (1992). Des classifications ont également été suggérées en sciences de l’information, notamment par Taylor (1986), Choo et Auster (1993), Choo (1994, 2002) et Zach (2002). Certains, comme Choo (2002), ont proposé une classification plus détaillée d’où émergent les catégories recensées dans le tableau I (page 38). Les catégories de sources d’information ne sont pas mutuellement exclusives, puisqu’une catégorie peut s’imbriquer à l’intérieur d’une autre : une source interne peut être verbale (humaine) ou documentaire (écrite), tout comme elle peut être personnelle ou impersonnelle.

1.2.3.1. Sources internes et externes

Les sources internes proviennent de l’intérieur de l’organisation, qu’elles soient verbales (humaines) ou documentaires (textuelles, écrites, en ligne). Les sources

documentaires internes sont généralement constituées de tous les documents ou dossiers produits par l’organisation : rapports, lettres, mémos, bulletins d’information, dossiers du personnel, etc. (Mintzberg, 1973; Keegan, 1974; Kotter, 1982a, b; Taylor, 1986; Katzer et Fletcher, 1992; Choo et Auster, 1993; Choo, 2002). Mintzberg (1973) mentionne explicitement le « courrier reçu » qui recouvre plusieurs catégories de documents provenant tant de l’interne que de l’externe. L’Intranet est considéré par les cadres comme une source d’information puisqu’il inclut plusieurs documents et dossiers internes (Peyrelong et Accart, 2002). Les sources verbales internes sont toutes les personnes avec qui les cadres interagissent : il peut s’agir d’autres cadres ou d’employés qui leur transmettent de l’information à l’occasion de communications verbales (Aguilar, 1967; Mintzberg, 1973; Keegan, 1974; Kotter, 1982a, b; Katzer et Fletcher, 1992; Choo et Auster, 1993; Choo, 2002; Zach, 2002).

Plusieurs gestionnaires mentionnent également les services ou ressources d’information qui font alors office de « sources de sources d’information » : bibliothèque de l’organisation, centre de documentation, centre de connaissances, systèmes d’information électronique, systèmes de veille concurrentielle (Aguilar, 1967; Taylor, 1986; Marshall, 1993; Choo, 1994; Cullen, 2000; Peyrelong et Accart, 2002; Choo, 2002). Ces « sources de sources d’information » sont internes puisqu’elles relèvent des organisations. Elles peuvent donner accès à des sources d’information internes ou externes à l’organisation. Les gestionnaires y consultent principalement des documents de nature textuelle, que ces documents aient été publiés ou non (Choo et Auster, 1993; Choo, 1994; Peyrelong et Accart, 2002).

Enfin, les gestionnaires utilisent des sources extérieures à l’organisation, qu’elles soient écrites (publications, journaux, médias électroniques, bases de données en ligne ou sur CD-ROM, Internet, etc.) ou verbales (communications avec des gens d’affaires, des analystes financiers, des journalistes, etc.) (Aguilar, 1967; Choo et Auster, 1993; Choo, 1994; Choo, 2002; Peyrelong et Accart, 2002; Zach, 2002).

1.2.3.2. Sources verbales (humaines) et documentaires/textuelles/en ligne (écrites) Les sources verbales, également qualifiées de « sources humaines » par certains auteurs, sont formées des réseaux de relations internes et externes constitués par les cadres afin de les aider à mettre leurs objectifs en œuvre (Choo et Auster, 1993; Kotter, 1982a, b). Ces sources fournissent souvent de l’information informelle, « behind-the-scene information » (Choo, 2002 : 159), que les cadres peuvent privilégier lorsqu’ils sont

confrontés à des situations problématiques mal structurées et ambiguës puisqu’elles leur permettent d’obtenir davantage de détails sur la situation elle-même et son contexte. Les sources verbales appartiennent à tous les niveaux hiérarchiques : à l’interne, les subordonnés, les collègues, les supérieurs, etc.; à l’externe, les associés, les concurrents, les clients, les représentants du gouvernement, les bailleurs de fonds, les consultants, etc. (Aguilar, 1967; Mintzberg, 1973; Keegan, 1974; Kotter, 1982a, b; Taylor, 1986; McKinnon et Bruns, 1992; Choo et Auster, 1993; Choo, 1994, 2002; Zach, 2002). Enfin, il ne faut pas négliger les cadres comme sources d’information permanentes pour eux-mêmes, qui s’appuient sur leur expérience personnelle et les connaissances tacites qu’ils ont accumulées au fil des années (Choo, 1998; Zach, 2002).

Selon les auteurs, les sources documentaires sont également qualifiées de sources textuelles ou écrites qui peuvent être disponibles sur support papier ou électronique. Les sources documentaires peuvent être internes ou externes, comme nous l’avons vu dans la section précédente. Pour Choo (2002 : 159-160), les sources textuelles offrent un plus haut degré d’exactitude lors de leur transmission et peuvent être diffusées plus facilement et largement. Il considère que l’information formelle et structurée se transmet particulièrement bien à l’aide de sources textuelles, par exemple les budgets, les organigrammes, les caractéristiques des produits, les politiques et règlements gouvernementaux (Choo, 2002 : 159-160).

Les sources en ligne sont mentionnées par Choo et Auster (1993), Choo (1994, 2002), Baumard (1996) et Zach (2002). Choo (2002 : 157) les inclut explicitement dans sa catégorisation des sources d’information et les subdivise en (a) bases de données en ligne et

CD-ROM (par exemple, les bases de données commerciales et gouvernementales), et (b) ressources d’information sur Internet (par exemple, les groupes de discussion). Dans l’étude menée par Zach (2002 : 139-140), la catégorie des sources électroniques se résume à l’Internet : les cadres supérieurs perçoivent l’Internet comme un nouveau moyen d’accéder à de l’information générale qui se trouvait auparavant dans les bibliothèques. L’Internet leur permet aussi d’avoir accès à des sites Web spécialisés dans le domaine des arts. Plusieurs des sources en ligne mentionnées dans les études semblent être de nature documentaire/écrite, ce qui permet de les intégrer dans la catégorie des « sources documentaires ».

1.2.3.3. Sources personnelles et impersonnelles

Les sources personnelles, comme leur nom l’indique, communiquent de l’information personnellement aux gestionnaires (Choo et Auster, 1993 : 296; Taylor, 1986 : 168). Elles sont surtout constituées de sources verbales à l’interne ou à l’externe (Aguilar, 1967; Taylor, 1986; Choo, 1994, 2002; Zach, 2002). Daft et Lengel (1984 : 196) vont jusqu’à considérer les lettres et les mémos adressés aux gestionnaires, par exemple, comme étant des sources personnelles, même si elles sont communiquées par écrit plutôt que verbalement. Les sources impersonnelles communiquent de l’information à des groupes ou à un plus large public (Choo et Auster, 1993 : 296). Elles consistent principalement en des sources documentaires/textuelles/en ligne provenant de l’interne ou de l’externe (Aguilar, 1967; Taylor, 1986; Choo, 1994, 2002). D’après le tableau dressé par Choo (1994 : 26), il semble que les sources impersonnelles pourraient également être des sources verbales (par exemple, des conférenciers livrant leur communication lors d’un congrès).

Certains auteurs semblent utiliser les qualificatifs « personnelles » et « informelles » comme synonymes pour désigner une même catégorie de sources d’information, tout comme les qualificatifs « impersonnelles » et « formelles » désigneraient également une même catégorie de sources d’information. Taylor (1986 : 168-175) utilise les termes

« formel » et « informel », tandis qu’Aguilar (1967 : 66, 94) et Choo (1994 : 25-26) préfèrent les termes « personnel » et « impersonnel » pour référer aux mêmes réalités. D’autres utilisent les deux termes (Choo et Auster, 1993 : 285, 302-303). Zach (2002 : 126- 128) privilégie le terme « personnel » lorsqu’elle réfère aux réseaux de contacts personnels des cadres. Daft et Lengel (1984 : 196) opposent pour leur part les notions de sources personnelles et de sources formelles. Enfin, Keegan (1974 : 413-414) émet la supposition que les termes « sources personnelles » et « sources impersonnelles » utilisés par Aguilar (1967 : 66, 94) correspondent respectivement à ce que lui-même choisit d’appeler « sources verbales » et « sources documentaires ». Dans le cadre de cette recherche, considérant les définitions et les exemples choisis par les différents auteurs pour expliquer en quoi consistent les sources personnelles et impersonnelles, nous associons les premières aux sources verbales (humaines) et les secondes aux sources documentaires (écrites).

1.2.3.4. Contexte formel et informel de l’information

L’utilisation des termes « formels » et « informels » associés à l’information semble se définir différemment selon le domaine de spécialisation des auteurs. Ainsi, ceux qui étudient les technologies de l’information et les systèmes d’information de gestion parlent d’information formelle ou informelle en référant à la structure de l’information : l’information formelle est vue comme étant structurée, factuelle, souvent de nature quantitative, hautement compatible avec un traitement informatisé; l’information informelle, pour sa part, est vue comme étant de source verbale (humaine), contextuelle, non structurée, non factuelle, et serait mal adaptée à un traitement informatisé incapable de faire ressortir des aspects non quantitatifs, comme le contexte, ou non communicables, comme le ton de la voix ou les expressions du visage (Barlow, 1988 : 28; Mintzberg, 1989a : 73-74; Mintzberg, 1989b : 117-118; Le Coadic, 1998 : 24).

Pour Taylor (1986 : 155), les sources informelles d’information permettent d’échanger tout type d’information, de la plus fiable jusqu’à la rumeur, qui pourrait être utilisée pour prendre une décision. Choo et Auster (1993 : 285, 303) précisent que les

besoins et les utilisations de l’information mettent en relief l’importance des sources tant formelles qu’informelles d’information. Ils associent les sources informelles d’information aux contacts personnels qui se révèleraient souvent aussi importants, sinon plus, que les sources formelles (par exemple, les « sources de sources d’information » que sont les bibliothèques et les bases de données en ligne).

McKinnon et Bruns (1992 : 105, 109-125) mettent plutôt l’accent sur les modes de communication et le contexte où s’effectue la communication. Ainsi, des contacts interpersonnels peuvent s’effectuer tant dans des contextes formels (par exemple, lors d’une réunion ou encore lors d’une rencontre où un cadre doit évaluer un employé) ou dans des contextes informels (par exemple, lors d’une discussion « de corridor »). De plus, les contacts interpersonnels ne donnent pas seulement lieu à l’échange d’information fondée sur des rumeurs ou sur l’intuition, mais également à l’échange d’information extraite de documents organisationnels à caractère plus formel (un employé, par exemple, pourrait communiquer à son supérieur immédiat des données statistiques qui se retrouveront dans un rapport en voie de finalisation) (McKinnon et Bruns, 1992 : 105, 109-125).

Les notions de formalité et d’informalité se voient ainsi associées au contexte de l’échange d’information plutôt qu’aux sources elles-mêmes, particulièrement à une époque où les organisations ont adopté massivement les technologies de l’information et de la communication16 dans leurs méthodes de travail (Lievrouw et Finn, 1996 : 29-30). Ces technologies favoriseraient le développement de styles informels d’interactions, peu importe que ces dernières se fassent en personne ou non, marquant ainsi la tendance vers une informalité qui peut maintenant laisser des traces selon les technologies utilisées (pensons aux messages envoyés par courrier électronique) (Lievrouw et Finn, 1996 : 30). Lievrouw et Finn (1996 : 30-33) avancent que la perception de la formalité ou de

16

Par exemple, le télécopieur, le courrier électronique, les téléavertisseurs (pagers), les boîtes vocales, la téléconférence et les services d’information en ligne (Lievrouw et Finn, 1996 : 30).

l’informalité des communications entre individus tiendrait à l’influence de six facteurs clés issus de leur environnement informationnel/organisationnel.

Ainsi, au niveau spécifique de l’interaction même, trois dimensions permettent de comprendre les attributs fondamentaux de l’échange d’information et d’en déterminer le caractère formel ou informel : (1) la temporalité de l’interaction, soit le moment où l’interaction prend place et la durée de celle-ci; (2) l’implication des individus dans l’interaction, aux points de vue cognitif, affectif et sensoriel; et (3) le degré de contrôle ou d’influence que peuvent exercer les individus lors d’un échange d’information avec d’autres individus (Lievrouw et Finn, 1996 : 32). Au niveau plus large du contexte social dans lequel s’inscrivent les interactions, la notion de formalité ou d’informalité est modelée par les éléments suivants : (1) la culture de l’organisation (selon qu’elle suit une structure très hiérarchisée ou plus flexible); (2) les relations entre les acteurs organisationnels (et aussi entre groupes d’acteurs organisationnels) qui peuvent ou non contraindre les échanges d’information; et (3) les types de contenus autorisés ou proscrits dans les interactions entre acteurs organisationnels en fonction des relations entretenues entre eux (Lievrouw et Finn, 1996 : 31, 34). Ces six facteurs font partie du Communication Situations Model proposé par Lievrouw et Finn (1996 : 30) pour analyser les communications entre individus dans des environnements utilisant les technologies de l’information et de la communication. Les échanges d’information peuvent être considérés comme formels ou informels selon la combinaison spécifique qui est faite par les individus des éléments du contexte social et de l’interaction elle-même, dans un espace-temps précis (Lievrouw et Finn, 1996 : 39).

Les notions de formalité et d’informalité sont ainsi reliées, notamment, à la structure de l’organisation et au contexte social qui en découle. Pavy (2002 : 215, 222) met en relief les implications de la structure formelle ou informelle de l’organisation sur les capacités de changement et d’apprentissage de celle-ci. Selon lui, la structure formelle reflète une vision qui se conforme à la « règle » et qui exerce une rationalité unique dans une organisation bureaucratique « mécanique » (Pavy, 2002 : 9, 15). Cette dimension formelle de l’organisation constitue l’image officielle qui est souhaitée, que cela soit dans la vision et

les valeurs déclarées, les normes et les procédures (Pavy, 2002, 31-32). La structure informelle, pour sa part, reflète une organisation vue comme un système de réseaux entre individus, comme un « système d’éléments interdépendants ayant chacun sa propre rationalité » (Pavy, 2002 : 15). Cette dimension informelle de l’organisation reflète les motivations inconscientes et les jeux de pouvoir, les valeurs en usage, les pratiques informelles et les modes de fonctionnement utilisés, autrement dit la manière dont les acteurs organisationnels se comportent réellement (Pavy, 2002 : 31-33). Les dimensions formelles ou informelles de la structure organisationnelle exercent une influence sur les « facteurs de production » servant à créer de la valeur pour l’organisation, c’est-à-dire les savoirs, les savoir-faire, les compétences, les technologies, les systèmes d’information et les infrastructures : ces facteurs de production sont considérés comme étant « neutres » en soi et deviennent formels ou informels selon les situations où ils sont utilisés (Pavy, 2002 : 31-32).

Aux fins de notre étude, nous nous associons aux notions de formalité et d’informalité telles qu’elles sont déterminées par le contexte de l’interaction entre les individus; cela, en effet, permet d’apporter un éclairage circonstancié sur les sources d’information utilisées par les cadres.

1.2.3.5. Sources « phénomènes physiques »

Nous avons regroupé sous la dénomination « sources phénomènes physiques » tout ce qui se rapporte à la transmission d’information grâce à l’observation de processus, d’équipements, de bâtiments, etc.

Keegan (1974 : 413-414) propose une catégorie de sources nommée « phénomènes physiques » qui fournissent de l’information sur des phénomènes comme la taille d’une entreprise ou la distance entre deux endroits. Ces sources sont perçues directement par un individu plutôt que d’être obtenues par une autre source verbale ou par une source documentaire. Les observations personnelles, directes (Aguilar, 1967; Mintzberg, 1973, 1975b; McKinnon et Bruns, 1992), nous semblent également appartenir à la catégorie des

sources « phénomènes physiques » : les informations qu’elles fournissent sont obtenues alors que les cadres font la tournée des installations, observent les processus de fabrication et de vente, etc.

Puisque les sources « phénomènes physiques » ne prennent vie qu’à travers les individus qui les observent, nous les intégrons aux sources verbales pour les besoins de notre étude : les cadres sont avant tout des sources pour eux-mêmes en fonction de ce qu’ils connaissent, de ce qu’ils voient et de ce qu’ils en déduisent.