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5.2 Schémas de rédemption jugés insuffisants (343-366)

5.2.3 Catégorie d’inclusion

Chacune des catégories précédentes fait ressortir un aspect fondamental d’une théologie de la rédemption minimalement conforme au donné révélé : d’une part, le Christ accomplit quelque chose d’essentiel que lui seul pouvait accomplir, et de l’autre, l’obtention du salut sollicite notre collaboration. Mais l’accent prépondérant de chacune de celles-ci fait davantage ressortir leur contradiction que leur complémentarité. À cet égard, deux essais de synthèses théologiques concilient particulièrement bien ces deux polarités; ceux de certains courants personnalistes (356-357) ainsi que les schémas d’inclusion de Pierre Teilhard de Chardin. Ceux-ci situent l’action du Christ en nous, à la fois confondue et distincte de notre propre agir, en l’assistant de l’intérieur tout en évitant de la remplacer. Malgré les lacunes qu’il leur reproche, Brune reconnaît que ces tentatives se rapprochent de ce qui lui semble être la solution la meilleure, mais le caractère plutôt mystique de ces schémas, qui ne cadre pas tout à fait avec le paradigme de la conceptualisation à outrance qui a dominé dans la théologie occidentale, les rend toutefois plus marginaux.

147 P. SCHOONENBERG et al., Sept problèmes capitaux de l’Église, Paris, Fayard, 1969, pp. 155-157, rapporté

dans PHDD (352).

5.2.3.1 Faiblesses reprochées à la doctrine teilhardienne

Brune ne reproche pas à Teilhard de lier très intimement les catégories de matière et d’esprit tout au long du processus d’évolution qu’il décrit, car la tradition chrétienne à laquelle il se réfère lui-même attesterait elle aussi de leur unité profonde. Selon lui, Teilhard ne distinguerait pas suffisamment, d’une part, les catégories de personne et de nature, et ramènerait le mal moral à un plan trop similaire à celui du mal physique. Compris non comme une conséquence du péché, mais comme simple imperfection naturelle d’un monde en gestation, la sainteté n’est alors plus le fruit d’une conversion personnelle impliquant la rencontre de deux libertés : elle est ramenée au même plan que la perfection morale, qui devient le résultat d’un processus évolutif à travers lequel l’humain est entraîné, considérant trop peu la nécessaire adhésion de la personne. Ce dynamisme reposant bien plus sur le Christ que sur nous-mêmes produit un schéma dont la faiblesse est comparable à ceux appartenant à la catégorie de substitution (357-359).

5.2.3.2 Forces et faiblesse des courants personnalistes (359-366)

La catégorie d’inclusion comprend aussi les divers courants personnalistes149 qui

s’intéressent au lien de solidarité entre le Christ et les humains, dans leur humanité partagée et dans leur individualité personnelle. Ces courants évitèrent les suspicions de panthéisme récurrentes en Occident et que Pie XII (1876-1958†) qualifiait de « panchristisme »150. Ils

décrivent d’abord un niveau de solidarité au plan psychologique où l’individu prendrait conscience de soi, de son unicité et de sa complémentarité avec d’autres, par l’entremise de rapports interpersonnels extérieurs. Mais pour rendre cette « réciprocité intersubjective des consciences » véritablement universelle, ils l’enracinent métaphysiquement et originairement

149 Brune relève la difficulté selon laquelle plus de philosophes que de théologiens ont publié autour de cette

problématique, et sans nécessairement l’aborder de front. Il ne se réfère donc qu’aux essais philosophiques de P.A. CHAVASSE, l’Église dans son mystère et dans son histoire, Éditions du Vitrail, 1958, et de P. HITZ, « Le mystère de l’évangélisation dans la vie des hommes », dans Masses ouvrières, novembre 1962. Le théologien L. RICHARD se réfère aux mêmes catégories mais de manière assez allusive. L. RICHARD, Le Mystère de la Rédemption, Desclée et Cie, 1959, pp. 239-240. Comme le personnalisme est un courant de pensée, une intuition commune, plus qu’un système philosophique ou théologique bien défini, les renvois aux auteurs qui l’ont élaboré dans les limites de ses ouvrages plutôt brefs ne sont pas toujours, selon Brune, très explicites et éclairants. Références rapportées dans PHDD (359-360).

au centre même de chaque personne, reliant tout esprit incarné au Christ dans une relation transcendant le temps et l’espace151. Mais les modes de fonctionnement de ces deux formes de

solidarité étant bien différents, la continuité entre l’une et l’autre ne serait pas selon Brune assurée conceptuellement.

De plus, le manque de distinction entre les catégories de personne et de conscience (ou même d’âme et d’esprit) ne permettrait pas de rendre pleinement compte d’une conscience humaine dans le Christ, en tant que Personne divine, et du statut d’une personne n’ayant pas l’usage plénier de sa conscience, comme un fœtus et une personne mentalement diminuée152.

Brune reproche également à Paul Hitz (1915-1974†) de ne pas exploiter suffisamment l’idée d’une solidarité transcendante pour : 1- résoudre le problème d’un premier péché déterminant à lui seul le destin de l’univers; 2- élucider le problème du décalage entre la vie divine communiquée dans le Christ dès l’origine, mais non manifeste, selon la doctrine de la divinisation de la nature humaine et du Cosmos, et l’état de misère dans lequel se trouve le monde à travers les époques, avant comme après la résurrection; 3- valoriser pleinement l’existence terrestre du Christ ainsi que la nôtre, du fait qu’il nous rejoint principalement à partir de sa gloire. Les limites de cette perspective amènent Hitz à puiser des éléments de doctrine chez d’autres auteurs comme Karl Rahner153.

Toutefois, chez Rahner, l’insistance sur la gloire résultant de la résurrection serait trop forte par rapport au reste de son existence et nous concernerait surtout après notre mort. De plus, si « l’humanité corporelle du Christ » agit bel et bien comme « cause instrumentale physique » transfigurant intimement le monde, le mode de cette causalité n’est pas bien explicité, ni la manière dont elle peut agir en nous sans forcer notre liberté. Brune reconnaît néanmoins que « cette conception du corps du Christ glorieux plus ou moins étendu à l’ensemble de l’univers, mais comme en son centre et sa source, et le transfigurant déjà par ses

151 P. HITZ, op. cit., pp. 13-14, rapporté dans PHDD (361).

152 Cette problématique est au cœur des débats sur l’avortement et l’euthanasie.

153 K. RAHNER, « Pour une théologie de la mort », dans Écrits théologiques, t. III, Desclée de Brouwer, 1963,

rapporté dans PHDD (364-366); L. BOROS, L’Homme et son ultime option, Salvator, 1966, pp.101 & 177, rapporté dans PHDD (364-366).

effluves divins en nous atteignant ainsi tous, directement », (366) à quelque chose qui se rapproche de la théologie qu’il tente de dégager de ses propres recherches.