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Partie 1 : Introduction bibliographique

III. Le cas des effets de l’aluminium sur la douleur

Dans son livre « Aluminium utensils and disease, The Dangers Inherent In the Widespread Use of the Metal » publié en 1967, H. Tomlinson décrit les premières observations des effets secondaires de l’Al (Tomlinson, 1967). Ainsi, en 1930 une étude américaine visant à établir la meilleure méthode pour préparer du café décrit que certaines personnes développent des symptômes abdominaux lorsque le café est préparé dans une cafetière en Al. En 1932, le Dr E Pritchard a publié un article dans le British Medical Journal associant la consommation d’Al avec l’apparition de diarrhées chez l’enfant et le chien. Deux autres articles des Dr E. H. Rink et A. France, parus la même année, décrivent des douleurs abdominales associées à

l’intoxication par l’Al. De ses propres travaux, Le Dr Tomlinson décrit que les organes viscéraux de la bouche à l’anus sont les plus affectés par l’Al. Il observe des douleurs et de l’inconfort du duodénum, des phases de diarrhées et de constipations entrecoupées par des périodes de rémission, des rectocolites hémorragiques et des migraines. Les études de cas sur les patients montrent que les malades développent des douleurs de la vésicule biliaire, du duodénum, de la dyspepsie, des maux de dos et d’autres symptômes qui ne sont pas directement associés à la douleur. Dans ces différentes études, l’arrêt de l’Al améliore les symptômes des patients. Bien que ces études n’utilisent pas les mêmes méthodes d’analyse qu’aujourd’hui, la description de la distribution de l’Al dans les différents organes et les observations sur le microbiote sont en corrélation avec ce que nous observons actuellement.

Etonnamment, aucune étude ultérieure n’a évalué les effets de l’Al sur le tube digestif et ce n’est que de nombreuses années plus tard que les effets néfastes de l’Al ont été décrits.

Les études chez les patients en insuffisance rénale ont mis en évidence le rôle de l’Al dans de nombreuses pathologies dont l’ostéomalacie. Ainsi, les patients développaient des symptômes variés comme des douleurs osseuses généralisées ou localisées principalement au niveau des hanches, du dos, des pieds et des chevilles et des faiblesses musculaires notamment au niveau des membres supérieurs (Coburn and Norris, 1986).

La parathyroïdectomie précoce semble également être un facteur de risque important de développer des maladies osseuses liées à l’Al. En 2014, Cheng et ses collaborateurs ont mesuré les taux d’Al dans le sérum des patients ayant subi une parathyroïdectomie et ont évalué les symptômes en fonction de la concentration en Al dans le sérum. Ainsi, après chirurgie, les malades avec des taux d’Al élevés présentaient une proportion plus importante de symptômes résiduels tels que des douleurs osseuses, de la difficulté pour sortir d’une voiture et des démangeaisons par rapport aux patients avec des taux faibles. Dans cette étude, aucune différence significative n’a été observée au niveau des douleurs abdominales, articulaires, des maux de tête et de la faiblesse musculaire (Cheng et al., 2014).

Des douleurs liées à l’exposition chronique à l’Al ont également été décrites chez des sujets sains. Ainsi, deux études indépendantes ont décrit des phénomènes douloureux causés par des expositions chroniques à l’Al chez la femme. L’étude de Woodson décrit l’apparition progressive de faiblesses musculaires, de douleurs généralisées aux membres et au dos, et de malabsorption intestinale, causées par l’ingestion inappropriée d’antiacides oraux (Woodson, 1998). L’étude de Guillard et de ses collaborateurs réalisée en 2004, décrit quant à elle des

douleurs osseuses et de la fatigue causées par l’accumulation de sels d’Al provenant des déodorants (Guillard et al., 2004).

Dans l’industrie pharmaceutique, l’Al est également largement utilisé comme adjuvant pour les vaccins. Différentes études ont évalué l’efficacité et les effets secondaires des vaccins avec ou sans adjuvant aluminique. Les principales réactions observées au site d’injection de vaccins contenant un adjuvant aluminique sont des douleurs locales (Precioso et al., 2011; Zhu et al., 2009) et l’augmentation de la sensibilité à la douleur (Brady et al., 2009). Dans certains cas, l’Al peut persister plusieurs années au site d’injection et mener au syndrome de la myofasciite à macrophages. Ces malades développent de nombreux symptômes tels que des myalgies diffuses, de l'arthrite, des douleurs épigastriques, de la fatigue chronique, des maux de tête et des altérations cognitives (Gherardi et al., 1998; Gherardi and Authier, 2012).

Enfin, les taux d’Al semblent particulièrement élevés chez certains patients atteints de cancer et souffrants de neuropathies. Ainsi, dans une étude sur les effets de l’oxaliplatine (médicament anti-cancéreux) sur les neuropathies, le rôle de cette molécule et du chlorure d’Al sur la sensibilité à la température a été évalué par des tests comportementaux d’hyperalgésie thermique et d’allodynie au froid (Park et al., 2015). Les auteurs ont montré que le traitement par l’Al favorisait l’augmentation de la sensibilité à l’allodynie causée par le froid après 14 et 30 jours de traitement et que cet effet était exacerbé lorsque l’Al était couplé avec l’oxaliplatine. L’augmentation de la concentration en Al associée à l’augmentation de l’expression en ARNm de Trpa1 a également été montrée dans les ganglions rachidiens des souris. Ainsi, l’injection de chlorure d’Al et/ou d’oxaliplatine perturbe le comportement des animaux en accord avec l’activation de TRPA1 et l’apparition de neuropathies périphériques. Les auteurs suggèrent que le traitement par l’oxaliplatine favorise l’accumulation progressive d’Al dans les ganglions rachidiens, et que l’hyperalgésie au froid pourrait augmenter proportionnellement à cette accumulation (Park et al., 2015).

Ces observations semblent associer l’Al à l’apparition de douleurs locales ou généralisées dépendantes de la voie d’administration. Nous allons voir maintenant que d’autres publications décrivent des phénomènes douloureux dans des environnements riches en Al, mais sans étudier le lien de cause à effet.

Le phosphure d’Al est un pesticide particulièrement utilisé dans les pays en voie de développement et peut également être ingéré intentionnellement en cas de suicide. Il est ainsi responsable de nombreuses morts par empoisonnement (Mehrpour et al., 2012). Bien que le pouvoir létal soit associé à la phosphine, gaz toxique formé en présence de moisissures ou d’acide, les mécanismes d’action de ce poison sont aujourd’hui encore mal connus. Les patients

intoxiqués par le phosphure d’Al développent de nombreux symptômes, principalement gastro-intestinaux, avec des douleurs abdominales et épigastriques sévères, des vomissements et de la dysphagie (Mehrpour et al., 2012). Bien que ces symptômes puissent être associés à la phosphine, l’implication de l’Al n’a pas été évaluée dans ces cas.

De même, les études sur les troubles musculo squelettiques (TMS) décrivent une forte prévalence de cette maladie dans l’industrie de l’Al par rapport à la population générale et au personnel travaillant dans d’autres types d’industries. De plus, la proportion de femmes qui développent des TMS dans cette industrie est plus élevée que celle des hommes (Morken et al., 2000). Ces études se sont focalisées sur les difficultés physiques et psychologiques à travailler dans ce type d’industrie et non sur les agents toxiques environnementaux rencontrés. Cependant, l’association entre la forte incidence des TMS et la durée de l’emploi suggère l’implication de l’environnement de travail, plutôt physique dans cette publication, mais rien ne permet d’exclure l’exposition chronique à l’Al comme facteur favorisant les TMS (Ljiljana Kezunović, 2004).

Ainsi, même si dans certains cas, l’Al n’est pas directement mis en cause, les divers rapports et expérimentations décrits ici semblent associer l’Al à de nombreux symptômes douloureux et favoriser l’apparition de certaines pathologies. Nous avons donc choisi d’étudier les effets de l’Al sur la sensibilité viscérale et plus particulièrement dans une pathologie ou l’hypersensibilité viscérale joue un rôle prépondérant : le syndrome de l’intestin irritable.

Le syndrome de l’intestin irritable :

mécanismes, causes et conséquences.

Définitions de la douleur, du syndrome de l’intestin irritable, et

description de ses critères diagnostiques.