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Chapitre V. Soin en psychomotricité et pratique des sports de nature :

1. Les vécus psychocorporels dans la schizophrénie

1.3. Le cas d’Arthur et de Sylvie

Arthur présente une « schizophrénie paranoïde » (nosographie CIM-10, cf. infra Annexe V-VI). Il est diagnostiqué à dix-huit ans suite à une recrudescence d’angoisses massives qui semblent être concomitantes à la séparation de ses parents. Par ailleurs, il présente également le diagnostic d’autisme Asperger qui semble entrer en contradiction avec le premier. Sylvie, elle, présente une « schizophrénie indifférenciée » (nosographie CIM-10, cf. infra Annexe V-VI) et est diagnostiquée à quarante ans suite à un isolement social important. Ce diagnostic, très récent, doit se confirmer sur le long terme. L’incertitude des diagnostics sur ces deux patients est donc patente. Comme le souligne Bourgeois (2017), « [i]l n’existe aucun signe pathognomonique (qui suffise à lui seul pour poser le diagnostic de schizophrénie). […] Deux patients recevant l’étiquette de schizophrénie peuvent n’avoir aucun symptôme en commun » (p. 125).

De toute évidence, si le mode d’entrée dans la maladie et son expression pour Arthur et Sylvie sont bien différents, leur vécu psychocorporel l’est également. Pour décrire leur vécu de la manière la plus précise possible, je base mon analyse d’une part sur l’observation de notre cycle d’escalade, sur ce qu’ils expriment au fur et à mesure des séances, et sur mon vécu (cf.

supra Chapitre IV, Partie 3) et d’autre part sur des éléments théoriques avec lesquels j’établis des liens. Il s’agit donc d’un point de vue subjectif qui ouvre des pistes de réflexion.

1.3.1. Arthur

Arthur porte des vêtements amples : il donne l’impression de nager dedans. Son jogging et son tee-shirt, qui semblent en apparence confortables, l’empêchent en réalité de déployer ses mouvements et d’ajuster convenablement son baudrier*. Par ailleurs, il lui est difficile d’identifier ses sensations corporelles : il ne localise pas les parties du corps qui ont davantage travaillé et la mise en lien des unes par rapport aux autres semble compliquée. Cette

77 segmentarisation du corps, cette difficulté de différenciation des afférences sensorielles et sa présentation vestimentaire donnent une image corporelle d’Arthur aux limites floues et fragiles.

Arthur est très attaché à la régularité, à la rythmicité des séances d’escalade ainsi qu’aux chemins que nous empruntons pour nous rendre au gymnase. Il sollicite tant ma tutrice que moi-même lorsqu’un détail change d’une séance à l’autre (raccourcissement de l’étape d’étirement, perturbation suite à l’arrivée d’un nouveau patient). Les limites spatio-temporelles que nous lui fournissons semblent le contenir et lui apporter des limites externes qu’il peut s’approprier. L’autre apparaît comme nécessaire pour lui donner des repères internes. Paradoxalement, lorsque je lui demande de resserrer son baudrier* pour assurer sa sécurité ou de se délester temporairement de son bronchodilatateur, son expression méfiante me donne la sensation d’être intrusive et d’être perçue comme menaçante, comme quelqu’un à qui il ne peut se fier.

Ainsi, en fonction du contexte, l’autre est perçu à la fois comme nécessaire ou menaçant. Cela m’évoque les situations de vertige par fusion décrit par Quinidoz (1994) (cf. supra Chapitre III, Partie 1). Le sujet pour qui la différenciation de l’objet ne s’est pas produite vit la séparation douloureusement. En effet, le risque de se séparer de l’objet est de le voir disparaitre et donc d’être anéanti en même temps que lui. Dès lors, le sujet « garde une méfiance vis-à-vis de cet objet important qui lui parait indispensable et peu sûr, il va en craindre sans cesse la disparition » (Quinidoz, 1994, p. 38). La fusion avec l’objet est alors le mécanisme de défense constituant un moyen de ne pas perdre l’objet.

Par ailleurs, lors des descentes en moulinette*, Arthur ne peut s’empêcher de saisir les prises pour se rassurer. Dès qu’il se sent descendre, il s’agrippe à la paroi. Mettre les bras le long du corps ou sur le nœud formé par la corde sur le baudrier* lui est très difficile. Cet accrochage tonique à la paroi dans lequel Arthur reste coincé régulièrement – s’il s’accroche, il ne peut redescendre via le système d’assurage* – rappelle l’accrochage tonique décrit par Robert-Ouvray (2007) qui prend deux formes fonctionnelles : « fournir des sensations d’être tenu et ainsi échapper aux angoisses de tomber, et "faire rester" l’autre près de soi et ne pas sentir l’abandon » (p. 228). Ici, l’autre serait projeté sur l’« objet-paroi ». Pour Robert-Ouvray (2007), ni l’une ni l’autre de ces positions ne permettent au sujet d’« être soutenu de l’intérieur par des stimulations venant de l’objet externe [ici, l’assureur*] » (p. 229). Effectivement, malgré notre étayage, Arthur adopte toujours la même réaction dans cette situation. La fusion avec l’objet semble se jouer tantôt avec ma tutrice et avec moi, tantôt avec l’objet-paroi. De plus, à n’importe quelle hauteur – à un mètre du sol, à mi-hauteur de la paroi, ou à huit mètres – Arthur présente cette crispation intense. Dans cette situation, la distance par rapport au sol n’est pas prise en compte, ce qui étaye l’hypothèse du vertige par fusion (Quinidoz, 1994) : « d’une part

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il y a un sentiment d’anéantissement et d’autre part il n’y a aucune perception d’espace ni même de vide » (p. 36).

1.3.2. Sylvie

L’attitude de Sylvie est signifiante : retrait relationnel, rigidité corporelle et tonique, verbalisation restreinte et discours intellectualisé, méfiance quasi-permanente envers les personnes, que ce soit envers moi, ma tutrice ou les autres patients. Ces caractéristiques m’évoquent la problématique de la « paroi tonique » de Robert-Ouvray (2007). Aux premiers âges, dans des conditions de sécurité émotionnelle et affective insuffisantes ou par hypersensibilité tonique héréditaire, le bébé peut surinvestir son pôle hypertonique. Dès lors, l’enveloppe psychocorporelle qu’il construit à travers la qualité des interactions avec son entourage se transforme en paroi tonique rigide et imperméable. « L’accrochage massif au pôle hypertonique a pour conséquence un contrôle sévère sur les pulsions et sur les objets, donnant l’impression que les sujets sont dans un système d’abrasion complet de "tout ce qui bouge" » (Robert-Ouvray, 2007, p. 191). Cela semble être le cas de Sylvie : dans un état d’hypervigilance constante, elle semble filtrer tout ce que l’autre lui renvoie mais elle semble aussi mettre une barrière à ses propres sensations corporelles et ses propres émotions. Au fur et à mesure des séances, elle constate qu’elle ne progresse pas autant que les autres, ou du moins, pas autant qu’elle le souhaiterait. Plusieurs fois, elle se retrouve face à la paroi dans une position statique, ne sachant comment progresser sur la paroi. Cela renforce l’image qu’elle renvoie : celle d’être figée dans le temps, dans l’espace et dans la relation. Cet état d’insatisfaction, d’impasse, sans possibilité de réparation est propre à la dialectique de la paroi tonique. Le sujet ne peut « rien attendre d’autrui, il cherchera à se débrouiller seul ; la dépendance devient le danger le plus important, non seulement parce qu’elle a été source d’échecs et de déceptions répétées, mais parce qu’elle induit une menace de mort ou de non exister » (Robert-Ouvray, 2007, p. 190). Les encouragements que nous lui apportons ou les questionnements que nous lui proposons semblent en effet ne rien changer pour elle. Les déceptions amoureuses qui ont marqué la vie affective de Sylvie semblent également corroborer cette hypothèse. L’autre est tenu à distance, sa paroi tonique empêche d’entrer en relation avec elle.

À partir de ces tableaux cliniques et de ces hypothèses, est-il possible de dire si la thérapie psychomotrice a été bénéfique pour Arthur et Sylvie ? Qu’est-ce que la médiation escalade leur a permis d’expérimenter ?

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2. La médiation escalade en psychomotricité : une