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D'après laconférence de M. Louis Pineau

Directeur de l'Office National des combustibles liquides Faite au Conservatoire des Arts et Métiers, le 10 Mars 1925

résumépar R. Lascaud

La question du pétrole s'est posée avec âpreté depuis la guerre. La France qui l'ignorait, voici sept ans à peine, ne peut plus s'en désintéresser,

car le bilan de notre territoire présente un lourd

déficit. Nos ressources en pétrole atteignent actuel¬

lement 80.MO tonnes par an. Les sous-produits de

houille et le benzol tiré du gaz d'éclairage (70.000 tonnes) ainsi que l'emploi de l'alcool dans les mo¬

teurs (70.000 tonnes) n'apportent qu'un faible appoint.

Nos besoins toujours croissants vont atteindre

2.000.000 de tonnes dont 250.000 de mazout. La si¬

tuation est grave. Il était donc nécessaire d'adopter

une politique apportant un programme à longue portée. Etudions d'abord sommairement celle sui¬

vie par les grandes nations du pétrole.

Les Etats-Unis jouissant de ressources immen¬

ses, ont pris l'habitude d'une consommation fréné¬

tique, ce qui a provoqué un cri d'alarme des géo¬

logues américains. Mais leur situation n'est point

si inquiétante. Examinons le tableau ci-après qui indique le montant de la valeur des actions des différents groupements pétroliers.

Groupes Sociétés Capital actions

auTofal du^p!" mftiol

Groupes (Standard Oil 2.850.000.000 47,5 %) o 0/

Américains (Indépendants 2.000.000.000 33,3%)

/o

Groupes (Royal Dutch 935.000.000 15,6%) 9 0/

Anglais (AngloPersian 215.000.000 3,6%) '

On voit que les Etats-Unis ont une suprématie

très nette dans le contrôle des valeurs pétrolières.

De plus, les pétroles du Mexique, de l'Amérique du Sud, de l'Alaska, des Etats eux-mêmes, les schistes bitumeux, les productions de benzol et d'alcool, lui permettent d'envisager l'avenir avec calme, malgré

les avertissements des géologues.

Américains et Anglais se sont trouvés face à face dans la conquête du pétrole; mais l'Angleterre a senti le besoin d'une paix du pétrole et cette lutte de trusts, au caractère surtout commercial, s'est terminée par une entente; mais alors il nous appar¬

tient de ne pas faire les frais du règlement, d'où nécessité pour la France d'avoir une politique du pétrole.

Politique de la France.

En temps de guerre, notre ravitaillement ne se¬

rait réellement sûr, que par nos stocks, le pétrole

de notre sous-sol et nos carburants nationaux. Pour le surplus, l'importation serait fonction de la liberté

des mers et jouirait d'une sécurité relative.

:De plus, certaines régions, où nous avons porté

notre action, ne pourraient guère nous être utiles.

La Roumanie ne donne pas de mazout; la Galicie

nous serait infailliblement coupée. Dès maintenant,

l'effort français devrait surtout se porter versl'Amé¬

rique latine, le Caucase et le proche Orient. Le pacte de San-Rémo nous a d'ailleurs reconnu le

droit à 25 % de participation dans l'exploitation

de la Mésopotamie.

L'effort privé.

L'effort privé français à l'étranger est particuliè¬

rement modeste. Il a consisté surtout dans la re¬

prise des exploitations allemandes en Pologne et

en Roumanie, pour ce dernier pays,, à égalité avec les capitaux anglais. Les grands établissements de

crédit trouvent trop aléatoires les entreprises du pétrole et le public est méfiant à leur égard.

L'effort du Gouvernement.

Le gouvernement s'est préoccupé de défendre les

droits de la France. Le pacte de San-Rémo consti¬

tue une garantie contre l'exclusion de la France

du partage des gisements de pétrole du monde.

Par la convention de février 1923, avec la Polo¬

gne, et par notre activité en Roumanie, nous avons

acquis le contrôle d'une production polonaise de

400.000 tonnes et d'une production roumaine de plus de 300.000 tonnes.

La constitution d'un groupe français.

L'Etat ne pouvait envisager une participation à

des entreprises étrangères; mais la constitution

d'un groupe indépendant n'a pu être projeté que pour l'exploitation d'apports précis, faits par l'Etat,

dans des régions déterminées, telles que la Méso¬

potamie.

D'autres difficultés viennent de notre manque

d'expérience. Le profit d'une industrie pétrolière indépendante ne se fera sentir qu'à la longue. De plus, l'exploitation nécessite des apports d'argent

énormes. Une saine entreprise ne doit donc se dé¬

velopper que progressivement.

Programme d'une politique nationale des combustibles.

Prospection du territoire national.

Les travaux effectués, encore minimes, n'autori¬

sent ni renoncements ni espoirs prématurés,. La

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mière tâche a été d'instituer un régime minier, d'où

la loi du 16 décembre 1922, complétée par les dé¬

crets de 1923 et de 1925, ce qui a donné une im¬

pulsion nouvelle aux

recherches privées. L'Etat

a organisé en 1921 une campagne

de recherches, tou¬

jours en cours de développement en

Limagne,

en Seine-Inférieure, à Gabian. De même, dans nos Colonies, surtout à Madagascar et en Syrie. On en¬

visage également des missions géologiques dans

les

Alpes, peut-être des recherches dans les

Landes,

des prospections en Algérie et au Maroc.

Réduction des importations étrangères.

Le tableau ci-dessous des importations en Fran¬

ce (îes principaux dérivés du pétrole au cours des

années 1922-23 et 1924, révèle une augmentation régulière du tonnage de 16 à 18 % par an.

1922

Produits Tonnes Yaleur

(1000 fr.)

Pétrole raffiné 310.954 155.941

Essences 551 888 594.096

Huilesde graissage 187.175 174.658

Résiducombustibles (1) 77.068 20.996 1127.085 942.691

1923

Tonnes Valeur (1000 fr.)

Pétrole raffiné 297.533 153.031

Essences 727.679 835.022

Huiles de graissage 204.359 216.126

Résidus combustible il) 112.654 33.387 1.345.225 1.237.566

1924

Produits Tonnes Valeur

(1000)fr)

Pétrole raffiné 305.224 195 961

Essences 858.672 1.016.247

Huilesdegraissage 242 592 305.339

Résiduscombustibles (1) 155.694 58.235

1 582.182 1.575.782 Cette augmentation porte principalement sur l'es¬

sence, les huiles de graissage et les huiles lourdes

combustibles.

Il est urgent de restreindre nos besoins : par

exemple par l'électrilication systématique du terri¬

toire : ainsi l'Allemagne, de 1913 à 1923, réduisit

de 745.000 t. à 77.100 t. ses achats de kérosène en

Amérique. En ce qui concerne les huiles minérales employées pour la force motrice et pour le

grais-que de l'exploitation et de l'emploi et par l'usage

sage, c'est surtout par l'amélioration de la

techni-des succédanés qu'on atteindra le résultat cherché.

Technique de l'Exploitation.

L'emploi dans les moteurs d'un combustible

(1) Leschiffre d'importation des combustiblesnecomprennent pasceux desimportationsfaites directement Darla marinedeguerre.

moins coûteux ou s'employant en quantité moindre

serait une source d'économies. Le moteur Andreau

a déjà réalisé dans ce sens des

perfectionnements

considérables, L'Office national des Combustibles Liquides en commun avec l'Office des

Inventions,

a créé à Bellevue une Station nationale d'essais de moteurs qui poussera particulièrement ces études.

L'étude des anti-détonants, à laquelle s'est con¬

sacré M. l'Ingénieur Dumanois, chef des Services techniques de la Direction des Essences, l'a amené

à des conclusions d'un vif intérêt parle regain don¬

né à l'emploi des huileslampantes et par la dimi¬

nution de consommation de l'essencegrâce à l'adop¬

tion d'un moteur standard à haute compression qui permettrait l'emploi d'un carburant national à

base d'alcool. D'autres» résultats ont été annoncés : brevets Prudhomme, procédés Makhonine. L'Office

n'a pu obtenir, jusqu'ici, d'en faire l'expérimenta¬

tion.

Politique des Succédanés.

La Commission de la Carbonisation et quelques

sections du Comité Scientifique du Pétrole se sont

consacrées à cette étude. Dans les conditions actuel¬

les d'exploitation, la distillation des lignites, dont

l'essor est complètement arrêté chez nos voisins,

ne peut être présentée comme un élément impor¬

tant d'approvisionnement. Il en est de même de l'exploitation des schistes bitumeux, dont la tech¬

nique est insuffisante pour soutenir la concurrence.

On ne peut donc envisager l'octroi de coûteuses f primes d'entretienà des exploitations dont le mode

doit être d'abord, de toute nécessité, amélioré. La commission de carbonisation a d'abord préconisé

un certain nombre de mesures législatives ou régle¬

mentaires : débenzolage du gaz d'éclairage, inter- s

diction des fumées dans les agglomérations urbai¬

nes, emploi du coke. Elle a effectué une étude sur les résultats à attendre du développement de la

carbonisation. Elle a procédé à une vaste enquête

sur la proposition de M. l'Inspecteur général

Patard

de taxer l'emploi de toutes les houilles crues. Les

concours des camions à gazogènes ont conduit

à

des progrès considérables de la technique :

accrois¬

sement de la compression volumique, épuration des

gaz. Nous nous trouvons dès maintenant en

pré¬

sence d'une solution spéciale,i 1 est vrai, aux trans¬

ports lourds, mais intéressant au plus haut

point

notre organisation militaire en temps de guerre.

Il reste à prévoir l'approvisionnement en matières premières. La production annuelle en charbon

de

bois devrait être portée bientôt de 150.000 t.

à

400.000 t. au moins pour être doublée ensuite.

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BULLETINDE L'INSTITUT BU PIN N° 25 Juin 1926\ 435

Ceci implique un développement rapide des usines

de carbonisation et des entreprises de carbonisa¬

tion en forêt.

La France a pris une avance incontestable dans la technique de l'alcool carburant, qui est aujour¬

d'hui au point, grâce surtout aux travaux de M. Da¬

niel Berthelot et de iM, Georges Beaurne. D'autre part, les inventions et les études de MM. Guinot et Detémar, Loriette, Dumanois et Schwers, sont de la première importance; mais là aussi se pose la question de l'approvisionnement. L'issue de cette situation consisterait à « noyer » l'alcool de bette¬

rave dans d'autres sources plus abondantes et à

bon marché alcool de cellulose, alcool colonial, alcool de synthèse.

(L'Office national des 'Combustibles liquides se trouve puissamment outillé pour les recherches

afférentes à la synthèse des carburants, grâce à

l'entrée en fonctionnementdulaboratoire de Villers-Saint-Paul, près de Creil, administré par la So¬

ciété nationale de recherches sur le traitement des combustibles qui réalise une formule heureuse de collaboration entre l'Etat et les principaux groupe¬

ments industriels.

Ainsi, l'avance prise par les Allemands dans cette voie ne tardera pas à être comblée. Déjà l'étude des catalyseurs a conduit à la production du méthanol,

à partir de mélanges d'oxyde de carbone et d'hy¬

drogène avecdes rendementschimiques de lOOpour

cent. Enfin, les procédés d'hydrogénation Bergius

ont été acquis par des groupes industriels franco-belges qui projettent de les exploiter en France.

En résumé, si nous n'avons pas encore trouvé

la solution définitive et intégrale du problème des

carburants et des lubrifiants, la superposition et l'ajustement des solutions partielles ou locales déjà obtenues peuvent constituer l'objet d'une politique

•d'ensemble féconde.

La formation des cadres techniques.

L'industrie est encore sujette à des errements coûteux pour la découverte des gisements comme pour leur mise en valeur et l'emploi des produits.

Elle voudrait s'affranchir de ce gaspillage dange¬

reux, et savants et industriels, réclament des cer¬

veaux. Notre pays ne peut point faire défaut. Il faut donc faciliter nos ingénieurs l'acquisition

de connaissances techniques spéciales au pétrole.

Ainsi nous fournirons à l'activité de nos techni¬

ciens les débouchés qui lui manquent souvent et

nous formerons aussi les cadres qui nous font dé¬

faut. Tel est le but de l'Ecole Nationale du Pétrole de

Strasbourg

où professent des maîtres comme

MM. Friedel, Muller, Gault, de Chambrier; de plus,

dans le domaine de la recherche, le Gomité scien¬

tifique a vu s'assembler chaque semaine des hom¬

mes qui sont l'élite de la science française. En liai¬

son avec ce comité, des laboratoires travaillent, en maints endroits. Ainsi se trouvent jetées les bases

de notre formation technique : recherche, produc¬

tion, traitement et emploi. Attendons les résultats.

Notre politique de ravitaillement.

Dans cette attente, organisons-nous. Le marché français, très envié, voit s'affronter les concur¬

rences. Tirons parti de cette situation pour que notre pays devienne un vaste entrepôt du pétrole,

et créons-nous ainsi une solidarité avec les trusts.

Il en résulterait d'heureux effets pour le dévelop¬

pement de notre outillage et la constitution de stocks de sécurité.

L'outillage de réception et de distribution.

Des installations de ports pétroliers ont été réa¬

lisées au Havre, à 'Cherbourg, à Donges, à La Pal-lice, à Pauillac et Ambès, à Port-Saint-Louis du Rhône. Nos réservoirs d'hydrocarbures sont passés de 6'50.0i00 mètres cubes à 1.900.0'00 depuis six ans.

Nous disposons de 265 dépôts de combustibles li¬

quides. On s'occupe aussi d'améliorer la répartition

des stocks.

La flotte pétrolière.

Notre flotte citerne, qui ne dépassait pas 30.000

tonnes deadweight en 1918, comptait fin 1924, un

tonnage de 217.000 tonnes; les primes à l'arme¬

ment et à la construction donnent une nouvelle

impulsion à l'accroissement de cette flotte déjà susceptible d'importer annuellement un million de tonnes de produits.

Lès Stocks.

Effets de la loi du 16 juillet 1921, inaugurant en France le régime des stocks de réserves.

Stoks existants(en tonnes)

Dates Pétrole Essence Total

1er Janvier 1924.. . . 124.272 216.810 341.082

Février 120.374 223.170 343 554

Mars 116.301 213.426 329.727

Avril 117.603 265.344 382.947

—• Mai 120.847 286.886 407.733

Juin 125.444 284.070 409.514

Juillet 128.418 294 080 422.498

Août 123.969 281.859 405.828

Septembre 126.516 291.243 417.759

Octobre 123.604 284.131 407.745

Novembre 136.686 276.012 412.698

Décembre 146.972 272.056 419.028

Ces stocks représentent environ 4 mois de pleine

consommation pour l'essence, 5 mois et demi pour le pétrole. Des stocks d'huile de graissage et d'au¬

tres dérivés du pétrole vont se constituer mainte¬

nant.

436 BULLETIY DE L'INSTITUT DU PIN N° 25 - Juin 1926

La distillation du pétrole brut.

Cette industrie ne peut vivre qu'à l'abri de

stocks

considérables préalablement constitués.

La création

de ces usines, indispensables en de

certaines cir¬

constances, l'augmentation corrélative des

stocks,

la faculté de s'approvisionner directement

à

toutes

les sources du pétrole, la constitution de

-cadres

techniques français, la disposition pour

l'étude de

la matière première elle-même, toutes ces

considé¬

rations ont dicté un ensemble de mesures tendant

à protéger et à encourager cette

industrie. Mais il

convient d'être prudent, car une refonte trop ra¬

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